Airbus Defence and Space a publié le 11 août des extraits d’une image de Toulouse prise par le satellite Pléiades Neo 3 en juin 2021. Une des rares images de France métropolitaine vue par Pléiades Néo rendues publiques après le Mont Saint Michel et Paris.
Voici un autre endroit bien connu des amateurs d’espace qu’il faut absolument visiter si vous passez à Toulouse : la Cité de l’espace.
Extrait d’une image acquise par le satellite Pléiades Neo 3 le 16 juin 2021 : la Cité de l’espace à Toulouse.
Crédit image : Airbus Defence and Space
Un bond de géant pour l’observation de la Terre
La prise de vue légèrement oblique (angle de 21,3°) met en évidence les bâtiments (la célèbre cocotte et l’Astralia hébergeant la salle Imax et le planétarium) et les différents éléments d’exposition : la fusée Ariane 5, la station Mir, etc.
Le niveau de détail est impressionnant : la réplique d'Eagle, le module lunaire (LM) de la mission Apollo 11, pratiquement au centre de l’image, est facilement reconnaissable.
Et impossible de ne pas voir l’empreinte géante peinte au sol au pied de la fusée Ariane 5. Elle avait été réalisée à l’initiative de l’Association des Amis de la Cité de l’espace et de Planète Sciences Occitanie, en partenariat avec la Cité de l’espace, pour célébrer dignement le cinquantième anniversaire des premiers pas sur la Lune en juillet 2019.
A l’époque, le satellite Pléiades avait déjà immortalisé la scène avec plusieurs images acquises depuis l’espace. La nouvelle image prise par Pléiades Neo 3 le 16 juin est une excellente occasion de constater le progrès en termes de résolution par rapport à la précédente génération de satellite : le niveau de détail est de 30 cm. Pour la petite histoire, la taille de la botte de Neil Armstrong est presque exactement de 30 cm. Un beau symbole…
30 cm : le pied !
Il est assez facile de se faire une idée de ce que représentent 30 cm avec une règle d’écolier ou un mètre roulant.
En fonction de votre corpulence, la largeur entre vos deux épaules correspond approximativement à deux pixels du satellite Pléiades Neo. C’était plutôt un pixel pour la première génération de satellite à très haute résolution français.
Cela veut dire qu’on peut assez facilement compter les personnes présentes sur une place ou dans une rue.
30 cm : la résolution des satellites Pléiades Neo illustrée avec un mètre roulant et une chemise.
Depuis l'espace, à 620 km d'altitude, la largeur de la chemise représente environ 2 pixels.
Crédit image : Gédéon / Un autre regard sur la Terre
"Dis Papa, Pléiades Neo, c'est mieux que mes jumelles pour ragarder les oiseaux ?"
C’est beaucoup moins intuitif de comprendre ce que veut dire voir des détails de 30 cm depuis une orbite à 620 km.
Je pourrais vous expliquer qu’un pixel de Pléiades Neo correspond à un dixième de seconde d’arc et que l’ouverture de l’instrument est de 1,29° mais je doute que cela vous parle.
A titre de comparaison, une paire de jumelles clasisique, par exemple un modèle 8 x 42, couvre un champ de 7°environ, soit 124 mètres à 1000 mètres de distance. Mais quels détails permet-elle de voir à cette distance ? L'oeil du milan royal, celui d'une mouche ?
Pour fixer les idées, j’ai choisi une analogie « au ras des pâquerettes » : si les ingénieurs d’Airbus Defence and Space, pendant les essais au sol avant le lancement de Pléiades Neo 3, avaient pointé le satellite vers l’horizon dans la direction de la ville de Paris, l’instrument aurait pu acquérir une image couvrant pratiquement la totalité de la ville du bois de Boulogne au bois de Vincennes.
La distance à vol d’oiseau entre Toulouse et Paris est de 600 km, pas loin de l’altitude de l’orbite de Pléiades Neo. La distance entre la fondation Louis Vuitton, près du jardin d’acclimatation, et le Théâtre du Soleil à l’entrée du bois de Vincennes, est de 14 km, soit exactement la fauchée (swath en anglais) des images acquises par le satellite Pléiades Neo.
Les satellites jumeaux meilleurs que vos jumelles
Eh bien, à cette distance, Pléiades Neo est capable de voir une personne débout sur le second étage de la Tour Eiffel ou sur n'importe lequel de ces monuments emblématiques de Paris.
Revenons à vos jumelles ? Est-ce qu'elles vous permettent de voir l'oeil d'un moustique à 1000 mètres de distance ? Pléiades Neo en est capable !
Infographie illustrant la fauchée des satellites Pléiades Neo : 14 km.
Depuis Toulouse à 600 km de distance, Pléiades Neo peut facilement voir un visiteur sur le deuxième étage
de la Tour Eiffel ou au sommet de l‘Arc de Triomphe. Fond image : extrait d’une image de Paris acquise par le
satellite SPOT 6 (Crédit Airbus Defence and Space). Infographie : Gédéon.
Mon analogie, qui va plaire aux adeptes de la Terre plate, a quelques limites si on prend en compte la rotondité de la Terre : il n'est pas possible de voir Paris en visant l'horizon depuis Toulouse. Même le sommet de la Tour Eiffel n'est pas visible : à 600 km de distance de Paris, il faudrait être dans un ballon stratosphérique à 30 km d'altitude pour apparaître sur l'image.
J'espère quand même que cette analogie donnera des idées aux ingénieurs d'Airbus Defence and Space pour les essais des satellites Pléiades Neo 5 et Pléiades Neo 6, en visant un monument emblématique de Toulouse (pourquoi pas la Cité de l'espace et sa fusée Ariane 5) ou de ses environs. Il y a quelques détails techniques à régler, par exemple faire tourner le satellite sur un de ses axes pour simuler le déplacement sur son orbite mais rien d'infaisable : une telle expérience a déjà été réalisée à l'occasion des essais de SPOT 1 et de SPOT 4.
Les instruments avaient été placés dans le radôme de mesure d'antennes situé sur le site d'Airbus Defence and Space rue des cosmonautes. Le radôme ne sert plus pour les mesures d'antennes qui sont désormais effectuées dans la grande salle anéchoïde d'Astrolabe mais sa silhouette familière reste bien connue des toulousains.
Appareil photo de course et trépied de course
Si Pléiades Neo était un appareil photo reflex plein format, son téléobjectif serait énorme : une focale de 1600 mm (pour obtenir la même couverture de champ, environ 1,29°) et son capteur serait bien meilleur que celui des meilleurs réflex professionnels.
Il faudrait aussi un très bon trépied pour faire des images nettes et suivre un objet en mouvement, par exemple Lionel Messi en train de courir entre Barcelone et le PSG. J'en reparlerai un peu plus loin : comment fixer un trépied dans l'espace ?
La matrice de son capteur serait de 2000 mégapixels ! Ici, je triche un peu : les images de Pléiades Neo ne sont pas produites par une matrice mais par un ensemble de barrettes de détecteurs. Un peu comme sur une photocopieuse qui balaie une feuille de papier : c’est le déplacement du satellite le long de son orbite qui assure le balayage dans la seconde direction. Dans le cas de Pléiades Neo, chaque ligne de l'image est scannée par 47000 détecteurs. C'est énorme !
Viser rapidement et précisément un objet en mouvement à grande distance : il faut un très bon téléobjectif
(pour les cadreurs en haut des gradins d'un stade de football) ou un gros télescope (pour les astronomes amateurs)
et aussi un très bon trépied. C'est pareil pour les satellites d'observation avec un petit détail :
sur quoi prendre appui quand on est en orbite autour de la Terre ?
Le défi de Pléiades Neo : numériser la Terre
Encore quelques chiffres pour fixer les idées : par rapport aux images acquises par le tout premier satellite SPOT 1, qui a lancé l’observation de la Terre commerciale, celles de Pléiades Neo représentent mille fois plus de pixels pour une surface donnée.
En traitement de l’information et en volume de stockage, on change d’unité : couvrir la totalité des terres émergées avec SPOT 1 représentait approximativement 1,5 terapixels (1 tera = 1012 soit 1 suivi de 12 zéros).
Avec Pléiades Neo, la même couverture représente désormais 1,5 petapixels (1 tera = 1015 soit 1 suivi de 15 zéros).
Numériser la Terre… Combiner très haute résolution et large couverture :
le nouveau défi des satellites Pléiades Neo. Infographie : Gédéon / Un autre regard sur la Terre
La quadrature du globe : concilier très haute résolution et grande capacité d'acquisition
Le défi paraît insurmontable. Comment couvrir rapidement la Terre ou toutes les zones intéressant les clients d'Airbus Defence and Space avec 30 cm de résolution et 14 km de fauchée ?
Chaque satellite Pléiades Neo 3 effectue un tour de la Terre en 97 minutes environ. Cela fait 15 orbites par jour. Avec 14 km de fauchée, cela ne représente chaque jour au niveau de l'équateur qu'un peu plus qu'un 200ème de la circonférence terrestre.
Les concepteurs de Pléiades Neo ont utilisé deux solutions pour acquérir de grandes surfaces chaque jour :
La première solution est l'agilité du satellite permettant d'orienter rapidement l'instrument de prise de vue. En pratique, c'est l'ensemble du satellite, grâce à ses actionneurs gyroscopiques et son système de contrôle d'attitude, qui pivote pour permettre d'acquérir des images avec une visée oblique. A chaque orbite, le satellite Pléiades Neo peut ainsi accéder à un corridor de prise de vue beaucoup plus large que la bande de 14 kilomètres couverte par l'instrument point à la verticale.
"Dis Gil, c'est quoi un satellite Agile ?"
Question typique que vous pose un enfant pendant les vacances...
L'agilité est une fonction clé des satellites à très haute résolution : elle permet d'élargir les zones visibles à chaque passage mais aussi de faire de la "stéréo rapide" en visant vers l'avant puis vers l'arrière la même zone d'intérêt. La plateforme du satellite joue le rôle de trépied de course. Un trépied sans support en orbite autour de la Terre...
Petit bricolage en vacances pour illustrer les possibilités de prises de vue permises par l'agilité des satellites
Pléiades Neo. Une carte IGN des Hautes-Pyrénées à l'échelle 1/100000ème : 1cm = 1km. Les carrés de papier
calque font 14 cm de côté (la fauchée de Pléiades Neo) et correspondent à une acquisition typique
d'un satellite Pléiades Neo. Crédit image : Gédéon / Un autre regard sur la Terre
En haut de la carte, le premier carré bleu correspond à une acquisition à la verticale centrée sur l'aéroport de Tarbes Lourdes Pyrénées à Ossun. Au centre une acquisition large (3 carrés rouges) avec dépointage pour couvrir la totalité du Val d'Azun. En bas, une stéréo avant / arrière pour faire un beau modèle numérique de terrain de la brèche de Roland, du cirque de Gavarnie et du cirque de Troumouse. Quelques uns des modes d'acquisition permis par l'agilité des satellites Pléiades Neo...
La Terre est bleue comme un orange et un deuxième satellite Pléiades Neo va la survoler
La deuxième solution consiste à exploiter plusieurs satellites identiques, c'est-à-dire déployer une petite constellation pour augmenter la capacité d'acquisition par rapport à celle d'un seul satellite.
Il y avait deux satellites Pléiades de première génération (Pléiades-1A et Pléiades-1B), il y aura quatre satellites Pléiades Neo.
Ils sont mis en orbite héliosynchrone (SSO pour Sun Synchronous Orbit), une orbite presque polaire. La légère inclinaison permet au satellite de survoler chaque région à même heure locale avec le même éclairage du soleil.
"Dis Papa, c'est quoi une orbite héliosynchrone ?"
Tu as toutes les joies solaires
Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté.
Amoureux de la poésie, c'est Paul Eluard qui m'a inspité pour la second petite manipe pédagogique imaginée pour expliquer ce qu'est une orbite héliosynchrone et pouquoi Airbus Defence and Space a choisi de mettre quatre satellites Pléiades Neo en orbite.
Couverture de la planète bleue par un puis deux satellites Pléiades Neo.
Infographie : Gédéon / Un autre regard sur la Terre
J'ai utilisé ici des élastiques verts et rouges pour représenter les traces au sols des satellites Pléiades Neo 3 et Pléiades Néo 4. Il serait plus exact d'utiliser un long ruban qu'on enroulerait autour de l'orange sans passer exactement au-dessus des pôles mais en effectuant un léger décalage à chaque tour, un peu comme pour faire une pelote de ficelle.
L'échelle n'est pas respectée : pour représenter la fauchée de 14 km, il faudrait un élastique ou un ruban très très fin. Si vous avez des élastiques jaunes et bleus, contactez-moi : je dois préparer la mise à jour pour Pléiades Neo 5 et Pléiades Néo 6.
Un tuyau si vous voulez réutiliser cette manip en classe avec des élèves pendant la World Space Week : cela marche aussi avec un pamplemousse ou une pastèque mais il faut des élastiques plus longs. A défaut, un bon vieux globe terrestre et une maquette en carton de Pléiades Neo feront aussi l'affaire.
Dernier arrêt avant l'orbite
Le lancement du 2ème satellite Pleiades Neo (Pléiades Neo 4) a eu lieu le 17 août 2021 depuis le Centre Spatial Guyanais. Moins de quatre mois après le lancement de Pléiades Neo 3.
La mission Vega VV19 a aussi mis en orbite quatre petits satellites. Un lancement pour les lêve-(très)-tôt ou les couche-(très)-tard : le H0 était fixé à 1h47 UTC, sans marge. 3h47 du matin à Paris,Toulouse ou Gavarnie !
Et la fenêtre de tir était étroite... C'est un petit effet pervers de l'orbite héliosynchrone : on vise une heure de rendez-vous très précise en orbite, donc on lance à une heure très précise.
Dernière ligne droite avant le lancement du satellite Pléiades Neo 4 par la fusée Vega VV19.
Crédit image : Arianespace / ESA / CNES / CSG
La campagne de lancement du satellite Pléiades Neo 4 a été particulièrement courte : le satellite PNEO4 avait été transporté sur site dès la fin du mois de mars avec Pléiades Neo 3, avait été testé pendant la même campagne puis stocké à Kourou en attente de son lancement. Il était prêt et n’attendait que le lanceur Vega VV19…
Ainsi, la campagne PNEO4 a été extrêmement optimisée pour un satellite de cette classe :
- Durée de la campagne d’à peine plus de 2 semaines entre l’arrivée des équipes et le lancement.
- Couplage du satellite sur l’adaptateur 3 jours après le démarrage effectif de la campagne.
- Installation de la coiffe sur le composite satellite-adaptateur le lendemain.
- Le reste de la campagne a essentiellement consisté à former les équipes à la sécurité du CSG, aux opérations du côté du lanceur pour l’installation du composite sur VV19, à participer à toutes les revues préalables au lancement et à remballer tout le matériel pour le retour vers Toulouse.
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre :
- Le lancement du satellite Pléiades Neo 3.
- Les premières images du satellite Pléiades Néo 3.
- Le cimetière d'avions de Tucson vu par le satellite Pléiades Neo.
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur les satellites Pléiades de première génération.
- Les autres articles sur l'acquisition et le traitement des images.