Le bilan 2023 des lancements orbitaux du blog Un autre regard sur la Terre.
Image de fond : deuxième essai en vol du Starship de SpaceX le 18 novembre 2023 et séparation
« à chaud » des deux étages. Un des échecs les plus réussis de l’année 2023.
Crédit image : SpaceX
2023 dans l’espace : une nouvelle année record
Tout nouveau, tout chaud, voici le bilan de l’année spatiale 2023 du blog Un autre regard sur la Terre. Comme d’habitude, je commence avec cet article par une synthèse des lancements orbitaux, mettant l’accent sur les lanceurs, les pays de lancement, les masses mises en orbite et l’activité des principaux opérateurs. Dans un deuxième article, je reviendrai plus en détail sur les satellites mis en orbite en 2023, leurs propriétaires et leurs missions.
Une nouvelle année record ? Comme l’an dernier. En anglais, on utilise le terme « skyrocketing » pour qualifier une activité qui monte en flèche. C’est bien le cas en 2023 pour l’activité spatiale mondiale comme le prouvent les chiffres qui suivent, même s’ils montrent aussi une forte disparité selon les pays et confirment le rôle très prédominant, voire monopolistique, de SpaceX.
En Europe, malgré une rythme de lancement en forte baisse (seulement trois lancements) lié à la disponibilité des lanceurs, il y a eu une belle démonstration de l’excellence scientifique avec le lancement de la mission JUICE, le suspense au cours du déploiement de ses instruments et les premières images d’Euclid. Le dernier lancement d’Ariane 5 a également été un moment très émouvant pur beaucoup d’entre nous.
Première partie : un résumé de l’année spatiale 2023 en quelques chiffres
Une croissance contrastée : l’inflation en baisse ?
En 2023, il y a eu au total 223 tentatives de lancements orbitaux, avec 211 lancements réussis, 11 échecs et une anomalie majeure (vitesse orbitale atteinte mais satellite injecté à trop basse altitude).
C’est un nouveau record mais la croissance du nombre de lancements (+19%) est plus modeste qu’en 2022 (+33%). Le bilan 2022 est disponible ici.
Le nombre total de satellites effectivement déployés en orbite est très impressionnant : près de 2900 satellites. Cela représente une augmentation de 17% par rapport à 2022, augmentation également plus modeste que celle constatée en 2022 (36% par rapport à 2021).
Evidemment, ce sont d’abord des satellites de télécommunications en orbite basse, du fait du nombre très élevé de satellites Starlink et, dans une moindre mesure, de satellites Oneweb déployés. Suivent les satellites d’observation de la Terre et de reconnaissance (à usage militaire) : 252 satellites. Troisième catégorie : les satellites technologiques (157), catégorie dans laquelle j’inclue les satellites à vocation éducative et certains précurseurs de satellites opérationnels.
L’année spatiale 2023 résumée en quelques chiffres.
Image de fond : second vol d’essai du Starship avec les 33 raptors en fonctionnement.
Crédit image : SpaceX. Infographie : Gédéon
Big is beautiful : une nouvelle tendance à confirmer ?
Encore plus impressionnant, la masse totale satellisée, qui avait dépassé 1000 tonnes en 2022, a atteint 1519 tonnes en 2023 selon mes estimations. C’est l’indicateur qui est le plus en hausse cette année : +46%, alors que le nombre de satellites mis en orbite n’augmente « que » de 17%.
Conséquence directe : la masse moyenne des satellites qui baissait de manière continue depuis plusieurs années a augmenté à nouveau en 2023. Elle atteint 525 kg, en hausse de 25%.
L’explication principale est le déploiement massif d’une nouvelle génération de satellites Starlink, la version V2mini : chaque satellite est plus de 2,5 fois plus massif que la première version. A partir de mi-juillet, seule la version V2mini est déployée par SpaceX. Avec un nombre réduit de satellites (un grosse vingtaine) à chaque lancement mais une masse totale équivalente.
Je profite de ce bilan 2023 pour vous proposer un nouveau graphique pour résumer les tendances dans l’activité spatiales depuis 2015, l’année où on commence à parler vraiment de new Space, avec plusieurs indicateurs qui matérialisent cette évolution. C’est très synthétique mais également très intéressant à décrypter…
New space ou big space : quelques chiffres pour résumer l’évolution de l’activité spatiale entre 2015 et 2023.
Infographie : Gédéon. Image de fond : dernier lancement d’une fusée Ariane 5. Crédit : Arianespace
11 pays en orbite
Les 11 pays ayant déjà réussi un lancement orbital dans le passé, les « usual suspects », ont tous lancé en 2023 au moins au moins une fusée qui a atteint la vitesse orbitale. Il y a néanmoins des disparités majeures.
Le trio de tête est inchangé avec USA, Chine et Russie sur les trois marches du podium. Un fait notable, l’Europe, avec le dernier lancement d’Ariane 5, les déboires de Vega C et le retard d’Ariane 6, cède la quatrième place à l’Inde (à la fois en nombre de lancements et en masse totale satellisée).
Sur tous les critères (nombre de lancements, nombre de satellites, masse mis en orbite), les Etats-Unis confirment leur première place sur le podium avec une avance considérable sur la Chine et la Russie.
Rappel : je nomme pays lanceur un pays ou un groupe de pays (pour l’Europe) à partir du territoire duquel un lancement orbital est réussi. Avec quelques curiosités… Par exemple, en 2023, le lanceur Electron de Rocket Lab est comptabilisé en partie en Nouvelle-Zélande et en partie aux USA où il a effectué ses premiers vols en 2023.
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : pays lanceurs, nombre de lancements, nombre de satellites
et masse totale satellisée. Infographie : Gédéon. Image de fond : Décollage de la mission Falcon Transporter-7
en avril 2023 et récupération du booster. Crédit image : SpaceX
SpaceX acteur dominant : vers une situation de monopole ?
En 2023, la progression (lancements, nombre de satellites et masse totale satellisée) est à nouveau très liée à la poursuite du déploiement de la constellation Starlink de SpaceX et notamment la montée en puissance de la version miniV2, plus lourde, entraînant le besoin de lancer plus de fusées Falcon 9 pour assurer la mise en orbite des sateliites Starlink (1047 satellites Starlink V1.5 et 937 satellites V2mini).
Au total, SpaceX a effectué 96 lancements orbitaux réussis, déployé en orbite 2507 satellites, correspondant à une masse totale satellisée de près de 1261 tonnes (soit plus de 85% de la masse totale satellisée dans le monde et 88% du nombre total de satellites mis en orbite).
SpaceX est une société américaine et le gouvernement américain s’appuie sur elle pour ses projets stratégiques (espace militaire ou retour sur la Lune). Par contre, SpaceX pourrait presque être considéré comme un pays à part entière, pays leader dans le domaine spatiale avec un niveau d’activité presque équivalent à celui de tous les autres pays réunis, Etats-Unis compris.
La rapidité pour atteindre cette position dominante est très impressionnante. Elle peut aussi inquiéter, aux Etats-Unis et ailleurs, avec le risque d’une position de quasi-monopole sur le marché monopolistique.
Vols habités : à nouveau en baisse
Le seul indicateur à nouveau en baisse concerne l’homme et la femme dans l’espace avec un total de 6 vols habités (un de moins qu’en 2022, en baisse de 14%).
Il est vrai qu'un vol habité sans cosmonautes n'améliore pas les statistiques de l'année 2023. Ce fut le cas de la mission Soyouz MS-23 en février 2023, partie à vide pour remplacer le Soyouz-MS 22 arrimé à la Station Spatiale Internationale et endommagé par un impact de micro-météorite.
One small step for woman, one giant leap for man?
Au total, seulement 21 astronautes (-12,5%) ont goûté au vol en impesanteur de longue durée en 2023. 12 novices ont vécu cette expérience pour la première fois.
Il y a eu seulement 4 femmes pour 17 hommes : le ratio ne s’améliore pas vraiment…
Voilà pour cette première partie de bilan très synthétique. La suite de ce texte revient plus en détails sur les différents indicateurs. Il y a beaucoup de chiffres mais j’espère que les visuels les rendent plus digestes et permettent de sentir un peu les tendances qui s’y cachent et de dégager quelques enseignements sur l’évolution des activités spatiales dans le monde.
Deuxième partie : chiffres complémentaires, faits marquants et analyse détaillée
2023 : toujours une accélération au second semestre
Un seul chiffre résume bien le rythme de l’activité spatiale en 2023 : au niveau mondial, il y a eu plus de 4 lancements réussis par semaine !
Au niveau mensuel, le rythme varie entre 12 et 29 tentatives de lancement par mois, avec comme en 2022, une accélération au second semestre (21 tentatives en moyenne de juillet à décembre contre un peu plus de 16 de janvier à juin).
Mars et décembre sont les deux mois les plus actifs avec respectivement 22 et 28 lancements réussis (25 et 29 tentatives).
Les lancements orbitaux de l’année 2023. Analyse mensuelle : nombre de fusées lancées, nombre de satellites
et masse satellisée. Infographie : Gédéon. Image de fond : Gros plan sur les tuyères au moment du décollage
de la Delta IV Heavy emportant la mission NROL-68 du National Reconnaissance Office (NRO) en juin 2023
depuis Cape Canaveral Space Force Station. Crédit image : United Launch Alliance (ULA)
Il y a eu en moyenne 241 satellites déployés en orbite chaque mois (à comparer à 206 en 2022), avec deux mois « calmes » (140 et 152 satellites déployés respectivement en avril et août) et trois mois avec plus de 300 satellites déployés (335 en janvier, 317 en mars et un record de 378 satellites déployés en juin 2023).
Paradoxalement, le nombre de satellites déployé au second trimestre (208 en moyenne) est plus faible qu’un premier trimestre (274 en moyenne).
La masse moyenne satellisée est de 127 tonnes par mois, avec un pic à 179 tonnes en septembre. Ici aussi, les gros bébés ont été mis en orbite au second semestre : la masse moyenne d’un satellite lancé au second semestre est de 734 kg, à comparer à 365 kg de janvier à juin.
Quelles destinations dans l’espace en 2023 ?
L’orbite LEO (Low Earth Orbit) ou orbite basse reste la destination la plus populaire ou la plus encombrée : plus de 8 lancements sur 10, plus de 98,5% du total des satellites et près de 90 de la masse satellisée concernent l’orbite basse. Notez que je continue à distinguer un peu artificiellement sur les graphiques orbite LEO et orbite dite « ISS » pour identifier les missions vers l’ISS (il faut ajouter les deux missions Shenzhou-16 et Shenzhou-17 pour couvrir tous les vols habités
2023 confirme également un petit regain d’intérêt pour l’orbite géostationnaire ou apparentée : elle représente 25 lancements en 2023 en hausse de 19% par rapport à 2022. Cette évolution se voit aussi dans une moindre mesure au niveau du nombre de satellites (un de plus qu’en 2022) : l’arrêt d’Ariane 5 réduit le nombre de lancements doubles.
Mais c’est surtout la masse totale satellisée à destination de l’orbite GEO qui augmente significativement : 125 tonnes au total soit une hausse de 22% par rapport à 2022.
Même situation en orbite MEO (autour de 22000 km d’altitude) avec un nombre de satellites en baisse (-33%) mais un doublement de la masse totale satellisée (14,8 tonnes selon mes estimation), avec quatre satellites de télécommunication (O3b Mpower) et quatre satellites de navigation (1 GPS américain, un Uragan-K2 russe et deux Beidou chinois).
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : répartition par orbite visée (lancements,
nombre de satellites et masse satellisée). Infographie : Gédéon
Loin de la Terre…
Avec 6 lancements (contre 7 2022) et 7 missions (-61%), l’activité est en baisse avec moins de monde en route vers la Lune en 2023 et surtout moins de cubesats. 2023 est quand même un bon cru avec de très belles missions scientifiques et d'exploration :
La sonde indienne Chandraayan-3, lancée en juillet 2023 par un lanceur LVM3 (anciennement GSLV Mk III), a réussi à faire alunir en douceur son atterrisseur Vikram puis à déployer le rover Pragyan le 23 août 2023.
Lancée le 10 août 2023 par une fusée Soyouz, la sonde russe Luna-25 a connu un sort moins glorieux : elle s’est écrasée sur la surface lunaire le 19 août après l’échec d’une manœuvre orbitale (durée de propulsion trop longue).
Un troisième mission lunaire, la sonde japonaise SLIM (Smart Lander for Investigating Moon) a été lancée le 6 septembre 2023 par une fusée H2A 202.
Des missions « de derrière les fagots » vers les points de Lagrange L1 et L2
Une fusée PSLV a mis en orbite une autre sonde indienne, Aditya-L1, lancée à destination du point de Lagrange L1, avec sept instruments pour étude les couches externes du soleil.
En petite forme au niveau des lanceurs, l’Europe (ESA) confirme son excellence dans les missions scientifiques avec le lancement de la mission JUICE vers Jupiter et ses Lunes par l’avant-dernière mission Ariane 5 (mission VA 260) en avril 2023 et le lancement du télescope Euclid en juillet par une fusée Falcon 9 de SpaceX à destination du point de Lagrange. Ses premières images livrées en fin d'année sont extraordinaires. Pour JUICE, la route est longue et il faudra attendre encore un peu pour voir les résultats...
Enfin le 13 octobre, une Falcon Heavy de SpaceX a lancé la mission américaine Psyche qui devrait se placer en orbite autour de l’astéroïde du même nom en juillet 2029. Là aussi, il faudra un peu de patience pour ce grand rendez-vous.
Puissances spatiales : les écarts se creusent encore…
Onze pays ou groupes de pays ont donc effectué au moins un lancement orbital et peuvent revendiquer en décembre 2019 le titre de « puissance spatiale ». Puissances très inégales si on regarde un peu les détails, avec un podium déjà très déséquilibré et le reste du monde loin derrière…
Etats-Unis et SpaceX sur la première marche
En termes de nombre de lancements, de satellites mis en orbite, de masse totale satellisée ou encore de propriété des satellites mis en orbites les Etats-Unis, grâce à l’impressionnante cadence de lancement de SpaceX, sont loin devant :
- 103 lancements réussis sur 109 tentatives, dont 91 fusées Falcon 9 et 5 Falcon Heavy de SpaceX.
- 2521 satellites déployés en orbite, dont 1984 satellites de la constellation Starlink de SpaceX.
- 1284 tonnes satellisées au total, dont 1261 tonnes par SpaceX et 1064 tonnes uniquement pour la constellation Starlink.
Au total, les Etats-Unis ont effectué près de 49% des lancements et mis en orbite 87% des satellites lancés en 2023. On pourrait presque résumer que USA = SpaceX = Starlink : à elle seule, l’activité de la société d’Elon Musk représente 83% de la masse totale satellisée dans le monde en 2023.
La mise en orbite des satellites de la constellation Starlink représente plus de 70% de la masse totale satellisée dans le monde en 2023.
La ligue des champions
Avec près d’un tiers des lancements orbitaux réussis en 2022, la Chine confirme sa deuxième place sur le podium avec 66 lancements réussis sur 67 tentatives, 213 satellites mis en orbite pour une masse totale satellisée d’un peu plus de 123 tonnes selon mes estimations, en baisse par rapport à 2022 (177 tonnes). Pour comparer au leader, la Chine lance certes un nombre important de fusées (2 tiers du score américain mais son activité, en termes de nombre de satellites ou de masse totale satellisée, ne représente que 10% de l’activité effectuée depuis le territoire américain.
La Russie confirme sa troisième place avec 19 lancements tous réussis, en légère baisse de 10% par rapport à 2022 (21 lancements). 68 satellites ont été lancés depuis le sol russe et près de 77 tonnes mises en orbite (en hausse de 10%.
A eux trois, Chine, Russie et Etats-Unis représentent plus de 89% des lancements réussis en 2023, près de 97% des satellites et près de 98% de la masse satellisée. Le reste du monde, même avec la seconde division (les quelques pays au pied du podium) est un peu dans l’épaisseur du trait.
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : Cumul des lancements effectués au cours de l’année par les USA,
la Chine et la Russie. Les Etats-Unis reprennent la première place dès le début de l’année.
Infographie : Gédéon. Image de fond : crédit SpaceX.
Deuxième division
Loin du podium, alors que l’activité globale augmente, l’Europe paie le manque de disponibilité de ses lanceurs (déboires de Vega C, arrêt d’Ariane 5, Ariane 6 en retard sans biseau avec Ariane 5, arrêt de la coopération avec les russes après l'invasion de l'Ukraine) : avec seulement 3 lancements, elle cède sa quatrième place à l’inde sur tous les critères : nombre de lancements (3), nombre de satellites (15) et masse satellisée (13,7 tonnes).
Les indiens se rapprochent des cow-boys
L’inde a effectué 7 lancements, tous réussis, et mis en orbite 52 satellites pour une masse totale de 14,3 tonnes.
En sixième place, malgré l’échec du nouveau lanceur H3 et l’absence de lancements de la fusée Epsilon, le Japon regagne sa place dans le club des pays qui ont réussi au moins un vol orbital en 2023. Ses deux lanceurs H2 ont mis en orbite 3 satellites pour une masse totale de 4,9 tonnes.
Avec 6 lancements effectués par Rocket Lab depuis son territoire, la Nouvelle-Zélande occupe la septième place.
Derrière, la République de Corée confirme l’essai réussi en 2022 avec deux succès de ses lanceurs KSLV-II (Nuri) et GYUB TV2 et neuf petits satellites mis en orbite.
Israël a réussi son seul lancement de l’année : un lanceur Shavit 2 a mis en orbite le satellite de reconnaissance Ofeq-13.
La Corée du nord s’y a prise à 3 fois avant de réussir le premier vol orbital de son nouveau lanceur Cheonlima-1 (ou Chollima-1) et la mise en orbite d’un satellite de reconnaissance.
Enfin, l’Iran a effectué deux tentatives de lancements : en mars 2023, la fusée Qaem-100 a connu un échec pour son premier vol orbital. 6 mois plus tard, un lanceur Qased a réussi la mise en orbite du petit satellite de reconnaissance Noor 3.
Les lancements orbitaux de l’année 2022 : évolution de la masse totale satellisée par les cinq principaux
pays lanceurs. Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage d’un lanceur LM-5, le plus gros lanceur chinois
en service. A bord, Yaogan 41 pourrait être un gros satellite de reconnaissance en orbite géostationnaire.
Crédit image : CASC
Types de fusée : les lanceurs lourds en tête
En 2023, 34 familles de lanceurs ont tenté un vol orbital et 27 ont effectué au moins un vol orbital réussi.
Les barres vertes du graphique suivant permettent de voir l’activité de chaque type de lanceur.
Evidemment le niveau d’activité de SpaceX écrase un peu les autres. Cette partie du graphique montre aussi les stratégies des différents acteurs, entre un nombre limité de types de lanceurs volant souvent (typiquement la Falcon 9) ou une famille de lanceurs pour des missions spécifiques (les différentes fusées chinoises Long March ou Chang Zheng complétées par de plus petits lanceurs ou les différentes versions de la vénérable fusée Soyouz (17 lancements tous réussis).
Les lancements orbitaux de l’année 2022 : types de fusée et familles de lanceurs.
Infographie : Gédéon. Image de fond :. Crédit image : United Launch Alliance
La partie basse du graphique montre les familles de lanceurs classés par pays, avec le nombre de lancements et le nombre de satellites mis en orbite. Malgré le succès insolent de SpaceX, les fusées chinoises restent dans la course, avec à la fois une multitude de lancement des différentes versions de Chang Zheng mais aussi une montée en puissance des petits lanceurs Kuaizhou ou Ceres.
Avec une capacité plus modeste, le lanceur Electron de Rocket Lab maintient également un bon rythme.
Le succès de la réutilisation chez SpaceX
Concernant SpaceX, il faut également mentionner le succès de la stratégie de réutilisation. Même si je n’ai toujours pas vu de chiffres précises sur son impact sur les coûts de lancement, il faut reconnaître que son ampleur (le nombre de vols de chaque booster de la fusée Falcon 9) dépasse toutes les prévisions et les hypothèses de ceux qui doutaient initialement de son intérêt.
Du Falcon 9 avec du vieux
Un seul chiffre suffit à fixer les idées et ce chiffre est incroyable : en 2023, Space X n’a utilisé que 4 boosters neufs pour effectuer 91 lancements Falcon 9, tous réussis.
Le doyen des boosters a été récupéré 19 fois (avant d’être perdu en mer pendant son retour sur la barge). 3 boosters ont volé 17 fois et 2 autres 16 fois. En moyenne, un booster a volé 6 fois en 2023 et près de 12 fois depuis son premier lancement.
Sur l'année 2023, quatre boosters (B1069, B1075, B1076 et B1077) ont volé chacun huit fois. trois autres (B1063, B1067 et B1071) ont effectué trois vols. Ces sept boosters ont assuré 55% des lancements Falcon 9 en 2023.
C’est très impressionnant et il faut effectivement reconnaître le bien-fondé de la stratégie basée sur la réutilisation et le côté visionnaire d’Elon Musk et des équipes de SpaceX.
La puissance de la réutilisation des boosters des lanceurs Falcon 9 en 2023. Infographie : Gédéon.
Image de fond : crédit SpaceX
Covoiturage et service de livraison pour le dernier kilomètre
2023 confirme également la mode du covoiturage en bus avec des lancements embarquant une multitude de petits satellites. C’est le cas par exemple :
- des quatre missions Transporter-6 (janvier 2023), Trasnporter-7 (avril 2023), Transporter-8 (juin 2023) et Transporter-9 (novembre 2023) qui emportait un total de 347 satellites en 4 lancements,
- des trois missions chinoises Chang Zheng 2D (14 satellites en janvier et 41 en juin) ou Lijian-1 (26 satellites en juin)
- ou encore d’un lancement Soyouz le 27 juin 2023 emportant 49 satellites.
Ce modèle est un concurrent de poids pour les petits lanceurs conçus pour mettre en orbite des petits satellites. Le prix au kilo sera déterminant et se faire une place au soleil sera un défi.
Ce covoiturage massif présente quelques opportunités d’offres de services autour des lanceurs : on voir fleurir une multitude de solutions pour assurer la livraison du « dernier kilomètre » (the last mile) avec une variété de « dispenseurs » de petits satellites ou de « space tugs ».
Cet intermédiaire est destiné à faciliter les interfaces entre les constructeurs de petits satellites et les opérateurs de lancement. Il entraîne aussi un nouveau risque : à côté des échecs de lancements, on voit se multiplier en 2023 les situations de « satellites bien mis en orbite mais non déployés » à la suite d’un problème au niveau du dispenser.
J’ai comptabilisé 27 satellites, des petits et des moins petits, qui ont connu cette mésaventure en 2023…
Parfois ça rate… Onze échecs et une anomalie de lancement en 2023
Il y a eu 11 échecs et une anomalie majeure (mise en orbite mais impact très important sur la mission ou durée de vie des satellites), un taux relativement bas (4,8%) compte tenu du nombre total de lancements orbitaux réalisés en 2023 mais en légère augmentation par rapport à 2022 (3,7%).
Il y a eu 5 échecs et une anomalie de lanceurs américains :
Le 9 janvier 2023, le sixième et dernier vol du Launcher One de Virgin Orbit aurait pu être le premier lancement orbital depuis le Royaume-Uni. Un défaut du lanceur n’a pas permis de mettre en orbite les 9 petits satellites sous la coiffe du lanceur.
Quelques jours plus tard, depuis Kodiak en Alaska, le vol inaugural du petit lanceur RS1 développé par la startup ABL Space Systems échoue également, avec l’extinction prématurée des moteurs du premiers étages après 11 secondes de vol. Les deux satellites Varisat-1A et Varisat-1B sont perdus.
Le 23 mars, C’est également au cours du vol inaugural de la fusée Terran 1 de Relativity Space que le second étage ne s’allume pas, entraînant l’échec de la mission baptisée « Good Luck, Have Fun ». No luck, no fun…
Deux échecs très réussis à Boca Chica
Du côté des fusées géantes, on retiendra surtout les deux tests du Starship V1.0 de SpaceX (Starship Integrated Flight Test) en avril et novembre 2023. Space X reste fidèle à la logique « fail fast and learn » et il est remarquable de constater que le champion américain a pu effectuer un second moins de 7 mois après le premier, alors que le système de lancement et le lanceur lui-même devaient être modifié en profondeur.
Le deuxième vol fut aussi un échec avec la destruction des deux étages (« rapid unscheduled disassembly » pour reprendre la terminologie de SpaceX après des anomalies de fonctionnement. On peut néanmoins parler d’échecs très réussis, avec validation du nouveau système de lancement, bon fonctionnement des 33 moteurs raptors de l’étage Super Heavy, allumage du second étage et séparation en mode « hot-staging » (le premier étage pousse encore).
“With a test like this, success comes from what we learn” écrit SpaceX dans un communiqué du 18 novembre 2023. Je ne sais pas dire si les résultats des deux premiers tests confirment la validité du design du Starship ou s’il reste des problèmes de fond à résoudre mais, quoique qu’on pense de SpaceX et de son fondateur Elon Musk, force est de constater la profonde détermination à aboutir rapidement, la capacité d’exécution remarquable et la solidité financière, au moins à court terme, pour poursuivre cette aventure.
Fin décembre, c’est Firefly Alpha, un lanceur de taille beaucoup plus modeste qui connaît une anomalie au cours de son quatrième vol. Un défaut de fonctionnement du second étage ne permet pas d’injecter la charge utile, Tantrum, un démonstrateur d’antenne à balayage électronique développé par Lockheed Martin, sur la bonne orbite.
La Chine a connu un seul échec en 2023 : un des sept lancements de la fusée Ceres-1 (Gǔshénxīng) de la société Galactic Energy effectué en 2023 n’a pas atteint ses objectifs, entraînant la perte d’un satellite d’observation Jilin-1 Gaofen.
Au Japon, c’est le nouveau lanceur H3 qui a dû être détruit au cours de son vol inaugural le 7 mars 2023 depuis la base de Tanegashima. L’autodestruction a été déclenchée environ 14 minutes après le décollage, après une défaillance de l’allumage du second étage, entraînant la perte du satellite d’observation ALOS-3.
7 mars 2023 : premier vol du lanceur japonais H3. La défaillance du second étage a entraîné la perte
du satellite d’observation ALOS-3. Credit: JAXA
Le 19 septembre 2023, après 7 vols réussis aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande, La fusée Electron de Rocket Lab, pour son quarantième vol, a connu son seul échec de l’année 2023, également après une défaillance de l’étage supérieur. Le seul satellite à bord, un satellite radar de Capella Space, n’a pas été mis en orbite. Un retour en vol réussi a eu lieu moins de trois mois plus tard, le 19 décembre 2023.
La Corée du Nord a dû s’y reprendre à trois fois pour réussir un vol orbital de son nouveau lanceur Cheonlima-1 et parvenir à mettre en orbite le troisième exemplaire du satellite de reconnaissance Manligyeong-1 (observation de la Terre à usage militaire). Le vol inaugural du 30 mai 2023 et la seconde tentative du 23 août depuis le site de lancement de Sohae ont été des échecs, après des défaillances du deuxième (en mai) et du troisième étage (en août).
Enfin, en Iran, le 4 mars 2023, le nouveau lanceur Qaem-100, développé par les Gardiens de la révolution, n’est pas parvenu à mettre en orbite le satellite Nahid-1 au cours de la première tentative de vol orbital depuis le Centre Spatial de Shahrud.
SpaceX, Arianespace, United Launch Alliance, Northrop Grumman et Rocket Lab : un mot sur les opérateurs de lancement commerciaux
L’analyse des lancements pour chaque opérateur commercial confirme les chiffres précédents, la domination insolente de SpaceX et la mauvaise passe pour Arianespace, qui conserve une petite deuxième place.
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : nombre de lancements et masse totale mise en orbite
pour SpaceX, Arianespace, United Launch Alliance, Northrop Grumman et Rocket Lab.
Infographie : Gédéon. Image de fond : crédit SpaceX
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : nombre de satellites et orbites visées
pour SpaceX, Arianespace, United Launch Alliance, Northrop Grumman et Rocket Lab.
Attention, les échelles verticales varient selon les opérateurs.
Infographie : Gédéon. Image de fond : crédit United Launch Alliance
Cette année, je n’inclue toujours pas les opérateurs chinois dans ce panorama mais je vais devoir m’y mettre si les lancements de gros satellites pour les pays tiers se développent.
Les lancements orbitaux de l’année 2023 : profil des clients des opérateurs
SpaceX, Arianespace, United Launch Alliance, Northrop Grumman et Rocketlab.
Infographie : Gédéon. Image de fond : crédit SpaceX
En guise de conclusion…
C’est fini pour ce bilan des lancements orbitaux 2023.
Si vous n’avez pas encore d’indigestion, dans un prochain article, je présenterai une analyse détaillée des satellites mis en orbite en 2023. C’est toujours un peu plus compliqué quand on veut prendre en compte les masses de chaque satellite, surtout quand leur nombre atteint près de 3000.
Les informations publiées ici proviennent soit de sources ouvertes soit d’hypothèses que je fais à partir d’informations connues (par exemple la capacité de lanceurs). Le point le plus délicat est l’estimation de la masse des satellites mis en orbite qui n’est pas toujours connue de manière précise. C'est ici que la marge d'erreur est la plus forte : je l'estime à 3 à 5%, plus proche de 3 que de 5.
J’ai tenté de faire un maximum de vérifications mais n’hésitez pas à me signaler les erreurs, vos commentaires sur ce que vous inspirent ces chiffres ou les suggestions pour améliorer ce texte. Merci d’avance.
En attendant, je vous souhaite une excellente année 2024, dans l’espace et sur la Terre !
J’espère que l’année spatiale 2024 sera aussi riche que 2023 et que l’Europe spatiale connaîtra de nouveaux succès. Un de mes voeux est de pouvoir écrire en milieu d'année un article sur le succès du premier lancement d’Ariane 6 et sur la mise en orbite de nouveaux satellites français ou européens comme Biomass, EarthCare ou Microcarb destinés à mieux comprendre notre climat et son évolution : l’épisode de froid de janvier 2023 ne doit pas nous faire oublier que 2023 a été l'année la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial…
J'espère également que les questions de développement durable ou de soutenabilité vont continuer à prendre de l'importance dans le domaine spatial, non seulement en ce qui concerne le rôle joué par les satellites (climat, océan, Copernicus) mais aussi pour les activités spatiales elles-mêmes : débris, encombrement des orbites et gestion du trafic, impact des lancements et aussi et peut-être surtout des rentrées atmosphériques sur le climat...
Historique des versions et principales modifications
- 11/01/2024 : première version.
- 15/01/2024 : correction chiffres vols habités et mise à jour illustration chiffres clés.
En savoir plus :
- Le bilan des lancements orbitaux 2022.
- Les bilans de l'activité spatiale des années précédentes sur le blog Un autre regard sur la Terre.
- Les autres articles dans la catégorie satellites et lancements.