Incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris : les dégâts vus par le satellite Pleiades 1B.
Extrait d’une image acquise le 17 avril 2019.
Copyright CNES - Distribution Airbus Defence and Space
Une image qui fait le buzz et des pixels qui racontent toute une histoire…
L’incendie s’est déclaré dans la soirée du 15 avril 2019 à l’intérieur de la charpente de la cathédrale. Il a détruit la totalité de la charpente et de la toiture de la nef et du transept et entraîné l’effondrement de la flèche et d’une partie de la voûte. L’intervention des pompiers, qui a duré toute la nuit, a permis de sauvegarder la structure de la cathédrale, des deux tours. Une partie des œuvres d’art a également pu être évacuée dans des conditions très difficiles.
Le 17 avril, plusieurs images de satellites d’observation de la Terre étaient publiées par Airbus Defence and Space, Digital Globe et Planet. Ces images sont surtout des images d’actualité. Dans le cas de l’incendie de Notre-Dame, elles ne sont pas utilisées opérationnellement pour évaluer les dégâts : les pompiers étaient sur place, au plus près des flammes, dès le début du feu et des drones ont survolé la cathédrale dans la soirée du 15 avril. J’y reviens à la fin de cet article.
Par contre, ces images sont l’occasion de voir comment les satellites d’observation peuvent contribuer à la gestion des catastrophes et quels sont leurs avantages et leurs limites pour les situations d’urgence.
L’image du satellite Pléiades-1B est un bon exemple pour une petite explication sous la forme d’une série de questions réponses… Combien de temps faut-il pour acquérir une image satellite à très haute résolution dans les cas d’urgence et sans préavis ? L’image de la cathédrale Notre-Dame est très instructive…
Comment fonctionnent les satellites Pleiades
Sur une orbite héliosynchrone à 694 km d’altitude, chacun des deux satellites Pléiades repasse au-dessus d’un même point tous les 26 jours. A chaque orbite parcourue en 98 minutes, il traverse l’équateur à 10h15 en heure locale (on parle de LTDN pour Local Time Descending Node ou heure locale du nœud descendant). L’instrument des satellites Pléiades balaie un champ assez étroit de 20 km (on parle de fauchée ou swath) : comme pour un appareil photographique équipé d'un téléobjectif, voir des détails fins de loin impose un champ d’observation réduit.
Pour permettre d’observer n’importe quel point de la Terre, la plateforme du satellite peut basculer rapidement pour s’orienter dans n’importe quelle direction. Un peu comme un trépied haut de gamme permettant à un photographe de faire un gros plan d’un footballeur en pleine action depuis le bord du terrain : il faut pouvoir orienter rapidement le téléobjectif de manière fluide puis stabiliser très vite l’appareil. On parle d’ « agilité » (pour en savoir plus, lisez cet article). Tous les satellites d’observation à très haute résolution sont des satellites agiles (même s’ils ne m’appartiennent pas…)
Ils n'acquièrent pas des images de tous les points de la terre mais seulement des régions sur lesquelles on souhaite acquérir des images. Il faut donc programmer les satellites, c’est-à-dire transmettre au satellite la liste des images à acquérir. C’est le début du cycle de vie de l’image :
- Programmer le satellite.
- Attendre que le satellite survole la zone d’intérêt ou pointe son instrument et acquérir l’image.
- Transmettre les données à une station de réception.
- Traiter les images.
- Les diffuser aux utilisateurs.
Toutes ces étapes qui combinent des délais de prise de décision et des délais liés aux caractéristiques de l’orbite, du système d’observation dans sa globalité et aux conditions météorologiques vont finalement définir la performance dans le cas d’une situation d’urgence : combien de temps va-t’il s’écouler entre le déclenchement de la catastrophe et la réception des premières images…
Quand l’image de la cathédrale a-t-elle été acquise ?
Le 17 avril 2019, à 11h22m08s UTC très exactement, soit 13h22 en heure locale à Paris. Ce genre de précision est rarement donné quand les images sont publiées. Heureusement, le catalogue des images des opérateurs de satellites permet en général de retrouver tous les paramètres d’acquisition.
Voilà ce que j’ai trouvé en consultant le catalogue Geostore d’Airbus Defence en Space :
Copie d’écran d’une consultation du catalogue Geostore. Il donne toutes les informations sur les images
acquise dans une zone donnée pendant une période donnée. Source : Airbus Defence and Space
En fait, on constate qu’une première image a été acquise dès le 16 avril à 10h40m34s UTC mais la couverture nuageuse la rend totalement inexploitable.
L’incendie de Notre-Dame ayant démarré le 15 avril dans la soirée (vers 18h15), cela signifie que les équipes de programmation d’Airbus Defence and Space ont réagi immédiatement en demandant l’acquisition d’images du centre de Paris dès le passage du 16 avril et pendant les jours suivants.
Copie d’écran d’une consultation du catalogue Geostore. Une première image est acquise par le satellite
Pleiades-1B dès le 16 puis le 17. D’autres images sont acquises le 18 et le 19. La couverture nuageuse rend
l’image du 16 avril inexploitable. On peut également noter qu’aucune autre programmation d’image sur Paris
n’avait été faite depuis le 21 mars 2019. C’est bien l’incendie de Notre-Dame que a attiré l’attention
des satellites Pléiades. Source : Airbus Defence and Space
Le mieux est l’ennemi du bien…
Est-ce les opérateurs de satellites d’observation s’amusent à acquérir des images avec des nuages. Pas vraiment… En général, ils tiennent compte d’une prévision météorologique de toutes les zones d’intérêt et ne tentent des acquisitions que s‘il y a de bonnes chances d’avoir une zone sans trop de nuages. Normalement, le taux de couverture nuageuse est un de critères de choix des images.
Dans le cas d’une catastrophe, quand on souhaite acquérir une image le plus rapidement possible, la situation est différente : on accepte une couverture nuageuse plus importante en espérant que la zone d’intérêt sera quand même visible. Pari raté pour le 16 avril et la première image exploitable est donc celle du 17 avril.
Pourquoi ne voit-on pas davantage de détails ? Pourquoi l’image n’’est-elle pas prise à la verticale de la cathédrale ?
Prendre la première image disponible présente d’autres inconvénients...
Le satellite n’est pas forcément dans les conditions idéales de prise de vue. Dans le cas de l’image du 17 avril, le satellite Pléiades ne passe pas exactement au-dessus de Paris. Il en est même assez loin.
Cela explique l’effet de perspective important visible sur l’image publiée par Airbus Defence and Space.
Un air penché… Le centre de Paris vu par le satellite Pléiades 1B. Image acquise le 17 avril 2019.
L'image d'origine publiée par Airbus Defence and Space est accessible ici.
Copyright CNES – Distribution Airbus Defence and Space
A nouveau, le catalogue d’images nous donne les détails. Deux paramètres caractérisent la direction de la prise de vue :
- L’angle d’incidence : l’angle de la direction du satellite vu du sol par rapport à la verticale du lieu observé.
- L’angle de prise de vue : l’angle de la direction du lieu observé par rapport à la verticale du satellite.
Ces deux angles sont légèrement différents. Rappelez-vous la Terre n’est pas plate… Pour compliquer un peu, les paramètres de l’image mentionnent les angles mesurés le long de la trace du satellite et perpendiculairement à la trace.
Paramètres d’acquisition de l’image Pléiades du 17 avril 2019 et définition des angles d’incidence et
de prise de vue. Crédit image : Airbus Defence and Space
Dans le cas de l’image du 17 avril, l’angle d’incidence est d’un peu plus de 35° et l’angle de prise de vue de 31°.
En pratique, au lieu de couvrir une largeur de 20 km quand l’image est acquise à la verticale, ici la prise de vue couvre une fauchée d’environ 30 km. Les détails visibles sont donc moins fins : un même nombre de pixels (30000 dans le cas du satellite Pléiades) couvre un terrain plus vaste.
Le télescope du satellite Pléiades couvre un champ d’environ 1,65°. Par comparaison, en photographie cela correspond à un appareil reflex plein format avec un téléobjectif de 800 mm et un doubleur de focale ! Le trépied doit être parfaitement stable…
Quand l’instrument du satellite Pléiades vise à la verticale, chaque pixel couvre un carré de 70 cm de côté au sol. Dans le cas de l’image de la cathédrale Notre-Dame, un pixel correspond environ à environ un mètre au sol.
L’illustration suivante, provenant également du catalogue Geostore, montre l’impact de cette inclinaison sur l’emprise de l’image : la zone effectivement couverte passe d’un carré à un rectangle allongé quand l’incidence augmente.
Variation de l’emprise des images en fonction de l’angle d’incidence.
Les quatre images ont été acquises par le satellite Pléiades-1B entre le 16 et le 19 avril 2019.
Source : catalogue Geostore d’Airbus Defence and Space
Un satellite qui prend la tangente… Où est Pleiades 1B au moment où l’image est acquise ?
Le satellite Pléiades n’est donc pas du tout à la verticale de Paris au moment où il acquiert l’image de la cathédrale Notre-Dame.
Il est à environ 460 km à l’ouest, entre Quimper et Lorient, pour la petite histoire là où la première image de Pléiades a été acquise.
Pour visualiser l’orbite du satellite Pléiades-1B, j’ai utilisé le site www.in-the.sky.org, un outil très sympa qui plaira aux amateurs d’espace et d’astronomie. Ce guide du ciel nocturne est développé par Dominic Ford, un astronome qui travaille par ailleurs sur la mission Plato de l'ESA… Je le rajoute sans hésitation à ma liste des outils recommandés. La carte obtenue confirme la prise de vue de très oblique. Au centre, la ville de la Flèche. Celle de Notre-Dame a complètement disparu…
Calsky donne une position similaire (voir une copie d’écran ici) mais la carte est moins précise.
Position du satellite Pléiades-1B le 17 avril à 11 h22 UTC au moment où il acquiert l’image de Paris.
Vous avez dit agilité et visée oblique ? Source : www.in-the-sky.org (Dominic Ford)
Le jeu des différences : comment estimer les dégâts d’une catastrophe à partir d’une image satellite ?
Estimer les dégâts revient à identifier les différences entre la situation avant une catastrophe et ce qu’on peut constater juste après l’accident ou la crise.
Dans le cas de la cathédrale de Notre-Dame, on connaît parfaitement la configuration des lieux avant l’incendie : plans, dessins d'art, photographies in situ, modèles 3D comme celui du jeu Assassin's Creed d'Ubisoft… Il existe une multitude de références de la « situation normale ».
Ce n’est pas toujours le cas quand une catastrophe naturelle se produit dans un lieu isolé. Certaines régions du monde ne sont pas toujours bien cartographiées.
Pour cette raison, le travail de cartographie rapide en cas crise s’appuie souvent sur des images appelées images de référence. Airbus Defence and Space et Digital Globe ont publié de telles images de référence de Notre-Dame de Paris, des images acquises quelques mois avant l’incendie. Comme les conditions de prise de vue, et notamment l’angle d’incidence, varient beaucoup, les images « avant » et « après » ne sont pas facilement superposables mais leur comparaison facilite le travail des photo-interprètes chargés de la cartographie des dégâts.
Sur son site Internet, Airbus Defence and Space propose un outil de visualisation interactive permettant de comparer l’image acquise le 17 avril à une image de référence.
Sur le site d’Airbus Defence and Space, comparaison de deux images du satellite Pléiades
acquises avant et après l’incendie. L’outil interactif est accessible ici.
Copyright CNES – Distribution Airbus DS
Pourquoi est-il intéressant de disposer de plusieurs satellites d’observation ?
Après l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, au moins trois opérateurs de satellites à haute résolution ont publié des images des dégâts vus de l’espace :
- Airbus Defence and Space : image acquise par le satellite Pléiades le 17 avril.
- Digital Globe : satellite Worldview-2 pour l’image du 17 avril et Worldview-3 pour l’image d’archive du 2 septembre 2018.
- Planet : image acquise par un satellite Skysat le 17 avril. Ici, l’image publiée par la société Planet, et une variante que j’ai pivotée de 90° pour faciliter la lecture en perspective.
A nouveau, je crois qu’il s’agit d’abord d’images d’actualité qui n’ont pas été utilisées de manière opérationnelle.
Néanmoins, les services de fourniture d’images satellites en urgence, comme Copernicus Emergency Mapping Service (Copernicus EMS) ou la charte internationale espace et catastrophes majeures utilisent tous le même modèle : s’appuyer sur un nombre important de satellites d’observation pour s’assurer qu’on obtienne très rapidement une image exploitable.
Le choix des satellites mis en œuvre dépend du type de catastrophe et de sa localisation. Par exemple, un satellite a résolution moyenne comme Sentinel-2 convient à la cartographie des zones brulées dans une forêt. Par contre, un satellite optique à très haute résolution est indispensable après un tremblement de terre touchant une ville. Les satellites radar sont souvent incontournables après une inondation quand la couverture nuageuse reste dense (par exemple les inondations en région parisienne en juin 2016).
Notre-Dame de Paris : les images prises par les drones
Les premières images satellite ont été acquises le 17 avril. Dès la soirée du 15, des images de drones étaient publiées :
- Dans la nuit du 15 au 16 avril, pendant l’incendie.
- Dans la soirée du 16 avril, sur le site russe Gigarama, une image à 360° permettant de se faire une bonne idée des dégâts de l’incendie. Très impressionnant : on peut naviguer dans l'image...
Des images de drones publiées pendant et après l’incendie de Notre-Dame de Paris.
En bas, captures d’écran du site russe Gigarama.ru. Pour naviguer dans l'image à 360°, c'est ici.
A quoi bon utiliser des satellites quand on peut faire voler un drone et cartographier finement les dégâts ?
Eh bien, ce n’est pas toujours possible… Les drones peuvent être mis en œuvre quand les secours, les « first responders », sont sur place. Imaginez une catastrophe à l’autre bout de la Terre dans une zone isolée, sans moyens de communication après un tremblement de Terre ou un cyclone, comme à Haïti en janvier 2010 ou au Mozambique après le passage d’Idai. Dans ce type de situation dramatique, les satellites sont souvent un des rares moyens d’avoir une première estimation de la situation réelle et de préparer le déploiement de l’aide internationale.
Si les drones sont parfaits pour une mission tactique, les satellites sont irremplaçables quand il s’agit de couvrir de larges zones ou des régions inaccessibles, parfois pour des raisons politiques.
Concernant les images publiées sur le site russe gigarama.ru (on peut naviguer ici dans l'image à 360°), j'ai des doutes sur leur origine. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse d'images réalisées avec l'autorisation des pompiers ou de la police française : le drone semble faire une vol vertical à partir du lieu de décollage. Je suis surpris qu'un vol officiel n'ait pas fait un tour complet de la cathédrale. Je me trompe peut-être...
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur les satellites et la gestion de catastrophes.
- Les autres articles sur les images d’actualité.
- Les autres articles sur l’acquisition des images satellite.
- L'image du satellite Pléiades sur le site d'Airbus Defence and Space et l'outil de comparaison "avant - après".
- L'image à 360°des dégâts de Notre-Dame de Paris sur le site gigarama.ru