Centrale de Tchernobyl : décontamination après après l’explosion du réacteur 4 en avril.
Crédit image : atomically speaking / CC BY-NC-ND 2.0
Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, une série d’erreurs pendant un essai de sécurité entraînent l’explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl et la fusion du cœur.
C’est le début de la plus grave catastrophe nucléaire, longtemps la seule classée au niveau 7 sur l’échelle INES, avant celle de Fukushima au Japon.
2019, dites 33…
33 ans se sont écoulés depuis l’accident et la région de Tchernobyl est toujours une zone interdite.
C’est l’occasion de faire un petit retour en arrière et d’évoquer le rôle déterminant des satellites d’observation dans le suivi de la catastrophe : comme les nuages radioactifs, les satellites ne sont pas arrêtés par les frontières…
En 2019, il semble facile d’avoir rapidement une image de n’importe quelle région du monde. L’image suivante, par exemple, montre la région et la centrale de Tchernobyl, près de Prypiat en Ukraine, vues le 13 avril 19 par un des deux satellites européens Sentinel-2 (programme Copernicus).
Les images n’ont pas toujours été aussi disponibles : en 1986, alors que les soviétiques ne communiquaient aucune information, obtenir une image à haute résolution prouvant que quelque chose de grave se passait à Tchernobyl fut un exploit.
La centrale de Tchernobyl vue par le satellite Sentinel-2 le 13 avril 2019. Au centre,
extrait centrée sur le réacteur n°4 et l’arche. En bas, composition colorée avec le canal proche infrarouge
mettant en évidence l’occupation des sols. Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
L’espion qui venait du froid
C’est la Suède qui lance l’alerte : le 28 avril au matin, une radioactivité anormale est détectée dans la centrale nucléaire de Forsmark mais l'analyse montre que la contamination est extérieure à la centrale et vient de l'est de l'Europe. L’agence France Presse publie l'info dans l’après-midi.
En suède, la centrale nucléaire de Forsmark en juillet 2008. C'est là qu'une alerte à la radioactivité est
déclenchée en avril 1986. L'anomalie provient en fait de l'est de l'Europe.
Crédit image : Elin Bergqvist / Vattenfall
L’espion qui venait du haut
Au début, les soviétiques démentent l’accident mais, le 29 avril, un point rouge brillant et un panache de fumée sur une image du satellite américain Landsat 5 confirment un problème, malgré la résolution modeste des images (30 mètres pour l’instrument Thematic Mapper, 60 mètres pour le Multispectral Scanner).
Extrait de l’image acquise le 29 avril 1986 par le satellite américain Landsat 5. En haut, bande 7 uniquement
(bande SWIR). En bas, composition colorée des bandes 7, 4 et 2. Crédit image : USGS / Earth explorer
Dans le livre «Chernobyl Record: The Definitive History of the Chernobyl Catastrophe », Richard F. Mould rapporte que des images ont été acquises par un satellite espion américain KH-11 (résolution au sol de l’ordre de 10 à 15 cm) et interprétées par le NPIC (National Photographie Interpretation Center, aujourd’hui intégré à la NGA). Ces images ont certainement fourni des éléments plus précis mais il était impossible d’en faire état publiquement. Est-ce qu’elles ont circulé dans les milieux autorisés ?
SPOT publicitaire : SPOT 1 à la une
C’est surtout le premier satellite d’observation français SPOT 1, lancé le 22 février 1986 et en cours de recette en vol au moment de l’explosion du réacteur, qui va faire parler de lui à l’occasion de la catastrophe. Le CNES le programme en urgence pour fournir des images de la centrale de Tchernobyl… J’ai déjà évoqué cette aventure dans un article publié à l’occasion des 30 ans du premier satellite SPOT.
Gérard Brachet, directeur de Spot Image, demande une programmation prioritaire du satellite SPOT 1. Une demande similaire vient également de Suède, via Satimage, le partenaire de Spot Image en Suède. Signée par Roland Petterson, elle est adressée à Jean Malacamp. Manuscrite, sur un joli papier quadrillé, le bon vieux temps…
Demande de programmation transmise à Spot Image par la
Swedish Space Corporation via le partenaire suédois Satimage.
Extrait d’une étude de Johan Gärdebo (Royal Institute of Technology)
présentée à Toulouse en Janvier 2016.
La première image panchromatique du satellite SPOT 1 est acquise le 1er mai, reçue et traitée à Kiruna en Suède. La résolution au sol est de 10 mètres, équivalente à celle du satellite Sentinelle-2. Mieux résolue que l’image Landsat 5, elle confirme l’accident et sa publication va faire le buzz… La chaîne TV ABC News en diffuse des extraits. Le journal USA Today décrit SPOT comme l’ "ultimate spy cam" !
La première image panchromatique de l’accident de la centrale de Tchernobyl acquise par le satellite SPOT 1
le premier mai 1986. Extrait du catalogue Geostore d’Airbus Defence en Space
Quelques jours plus tard, le 7 mai 1986 à 8h51 UTC, une seconde image de la centrale est acquise à nouveau par le satellite SPOT 1. Voici une version multispectrale de cette image avec un extrait centré sur la centrale.
Une image multispectrale de l’accident de la centrale de Tchernobyl acquise par le satellite SPOT 1
le 7 mai 1986. Copyright CNES / distribution Airbus Defence en Space SAS
Les premières images à haute résolution provenant d'un satellite commercial agitent beaucoup la communauté du renseignement américain. Si SPOT 1 avec ses pixels de 10 mètres ne peut rivaliser avec la résolution des satellites militaires Key Hole (KH-11), son arrivée très médiatique change néanmoins la donne...
De 1986 à 2019, l’évolution du site de Tchernobyl suivi par les satellites d’observation…
Travaux de déblaiement, protection du réacteur 4 et premier sarcophage, évolution de la végétation, construction et mise en place de l’arche : au fil des années, les générations successives de satellites SPOT surveillent le site de la centrale de Tchernobyl. Plusieurs exemples sont disponibles ici.
En avril 2011, alors que SPOT 1 vient de fêter ses 25 ans, on commémore le 25ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl. A cette occasion, Airbus Defence and Space publie un recueil des images satellites de la centrale.
En 2007, des images à très haute résolution montrent le début du chantier de l'arche géante qui doit recouvrir le premier "sarcophage" qui donne des signes de faiblesse. Elles proviennent du satellite coréen Kompsat-2. La résolution est de 1 mètre pour les images panchromatique, 4 mètres pour les images multispectrales, pour une fauchée de 15 km. Voici deux extraits d'une image acquise le 22 juillet 2007.
A Tchernobyl, début du chantier de construction de l’arche qui doit recouvrir
le réacteur numéro 4. Deux extraits d’une image acquise par le satellite d’observation Kompsat-2 le 22 juillet 2007.
Crédit image : KARI / Distribution Airbus Defence and Space
Liquidation des liquidateurs
A propos de grands travaux, il y a eu aussi un grand nettoyage. L’animation suivante réalisée à partir d’une série temporelle d’images provenant de google Earth montre l'évolution du cimetière de matériel irradié à Rassorva, à environ 28 km au sud de la centrale.
Une casse géante ? A propos de casse, en voyant ces images, il est impossible de ne pas penser aux premiers « liquidateurs », qui sont intervenus juste après l’explosion. Les « first responders » ont payé un lourd tribut pour tenter de limiter la casse pour limiter la casse… Leur sacrifice volontaire ou involontaire doit être salué.
En quelques années, tout le matériel entreposé (dont les hélicoptères des fameux "liquidateurs") a totalement disparu. Question : où tout ce matériel est-il allé ?
A Rassorva, au sud de la centrale de Tchernobyl, la disparition du cimetière de matériel irradié :
véhicules, blindés, hélicoptères… Séquence d’images provenant de Google Earth acquises entre 2002 et 2016.
Source : Google Earth. Animation : Gédéon
Sur place, avant le nettoyage, cette photographie montre ce qu'on pouvait voir voir…
Une alliance pour l’arche
Lancé fin 2011, le satellite à très haute résolution Pléiades-1A fournit ses premières images de la centrale de Tchernobyl (sous la neige) en février 2012. Il va suivre la fabrication et la mise en place de l'arche, le plus grande structure mobile terrestre, par le consortium Novarka, associant Vinci Construction et le groupe Bouygues.
L’arche doit à terme recouvrir le réacteur numéro 4 dont le sarcophage donne des signes de faiblesse.
La construction de l'arche est un projet titanesque : jusqu'à 1200 ouvriers ukrainiens ont travaillé simultanément sur le chantier. Ici, l'arche montée avant son transfert au-dessus du réacteur 4, vue par le satellite Pléiades en mars 2016 :
L'arche assemblée avant son transfert au-dessus du réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl,
vue par le satellite Pléiades le 27 mars 2016. Crédit image : CNES / distribution Airbus Defence and Space SAS
Pour suivre le chantier dans la durée, des satellites radar sont également utilisés. Ils ont l'avantage de voir à travers les nuages. Cela arrive...
Ici une image prise par le satellite TerraSAR-X en avril 2011. Il faut savoir interpréter ces images…
La centrale de Tchernobyl vue par le satellite TerraSAR-X en avril 2011.
Crédit image : DLR / Airbus Defence and Space GmbH
En décembre 2016, toujours sous la neige, plus de 30 ans après l'accident, le satellite Pléiades voit enfin l'arche installée au-dessus du réacteur n°4, après avoir coulissé sur ses rails. L'arche ne sera totalement équipée que début 2019.
L'arche installée sur le réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl. Image acquise par le satellite Pléiades
en décembre 2016. Crédit image : CNES / distribution Airbus Defence and Space SAS
Les rayons au pays du soleil levant
Tchernobyl est resté longtemps le seul accident classé au niveau 7 de l'échelle INES. 25 ans après la catastrophe, en mars 2011, après le grand tremblement terre et le tsunami qu’il déclenche, la centrale de Fukushima rejoint ce club.
Le tremblement de terre puis le tsunami endommagent les systèmes de refroidissement et de secours des réacteurs et d'autres éléments de la centrale. Le réchauffement au cœur des réacteurs et l'hydrogène accumulé provoque d'énormes explosions. Le Japon avait d'abord classé l’accident au niveau 4.
Les satellites d’observation ont à nouveau été abondamment utilisés avec le programme européen de cartographie d’urgence Copernicus et la charte internationale espace et catastrophes majeures.
Echelle internationale des événements nuclaires (INES, International Nuclear Event Scale). Source : ASN / AIEA
Tchernobyl : comme à Verdun, un symbole de la capacité de l’homme sur son environnement
En voyant les images de Tchernobyl prises par satellites, je pense aussi à Verdun : l'action de l'homme y a aussi bousculé le paysage.
Autour de la forêt, les parcelles agricoles suivent les limites de la zone d'exclusion, comme sur cette image acquise aujourd'hui par le satellite européen Sentinel-2. Ce n'est pas l'arbre qui cache la forêt, c'est la forêt qui cache les champs...
Parcellaire agricole autour de Tchernobyl. A titre de comparaison, un extrait de l'image Sentinel-2 (en haut)
du 26 avril 2019 et les images multispectrales de SPOT 1 acquise en mai 1986 et octobre 1988 (en bas)
Je vous encourage également à aller voir photos et reportages tournés sur place. Il faut trier mais il y a du très bon, instructif et effrayant. Il y a aussi malheureusement de nombreux « fakes ».
La roue de l’infortune
C'est quand même une image prise par satellite qui m'a le plus ému : la grande roue abandonnée de Prypiat vue par le satellite Pléiades en mars 2016. Comme pour le climat ou la biodiversité, un symbole de ce que nous laissons aux générations futures ?
La grande roue de Prypiat, près de la centrale Tchernobyl, vue depuis l’espace. Extrait d’une image
acquise par le satellite Pléiades le 27 mars 2016. Crédit image : CNES / distribution Airbus Defence and Space SAS
Au final, quand on est ingénieur, passionné de sciences et techniques et de vulgarisation, Tchernobyl interroge le métier, son éthique, ses responsabilités et la complexité des choix technologiques. Le sujet énergie est particulier difficile à aborder sereinement.
Un tweet un peu long
Cet article est inspiré d’une série de tweets (thread) publiée en avril 2019 sur mon compte twitter (@RegardSurTerre) à l’occasion de 33ème anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl et mettant l’accent sur le rôle des satellites.
En général, j’écris d’abord les articles et je le diffuse avec un message sur twitter. C’est la première fois que je fais le contraire. J’espère que cela vous plaira…
En savoir plus :
- La série d’articles du blog Un autre regard sur la Terre sur la catastrophe de Tchernobyl.
- La série d’articles du blog Un autre regard sur la Terre sur la catastrophe de Fukushima et le grand tremblement de Terre du Japon.
- D’autres articles sur les satellites SPOT et Pléiades.