En Libye, inondations et coulées de boue dans la ville de Derna vues par le Sentinel-2
le 12 septembre 2023 après le passage de la tempête Daniel. Couleurs naturelles. Cliquer sur l'image
pour voir l'animation. Crédit image : ESA / Copernicus / Union européenne. Infographie : Gédéon
Après le tremblement de Terre au Maroc, un autre désastre majeur touche l’Afrique : le 11 septembre 2023 en Libye, des pluies diluviennes et la rupture de deux barrages sur l’Oued Derna déclenchent des inondations et des coulées de boue dévastatrices dans la ville côtière de Derna.
C’est la tempête Daniel qui, après avoir entraîné des inondations meurtrières au nord de la Grèce, s’est rechargé au-dessus des eaux chaudes de la Méditerranée avant de causer des dégâts considérables dans la région de Derna (Darnah).
Les anglo-saxons parlent de "Medicane" pour Mediterranean Hurricane ou de cyclone subtropical méditerranéen. Les spécialistes estiment que le réchauffement climatique pourrait augmenter leur fréquence.
Spectacle de désolation
Les premières images à haute résolution (ici un tweet relayant des images publiées par la société Planet) montrent des dommages considérables. Le bilan va être très lourd…
Mercredi 13 au soir, les autorités locales recensaient plus de 5 300 morts. 10 000 personnes sont toujours portées disparues. Abdoulmenam Al-Ghaithi, le maire de Derna, a déclaré qu'il craignait un bilan dépassant 20 000 décès.
|
Avant et après le passage de la tempête Daniel : un tweet de Nahel Belgherze (@WxNB_)
avec deux images acquises le 2 et le 12 septembre 2023 par les satellites Skysat.
Crédit image : Planet
Je n'ai pas encore d'images à très haute résolution sous la main. Dans cet article, je passe donc en revue ce qu'on peut voir sur des images offrant une résolution plus modeste : 10 mètres. Il s'agit des satellites Sentinel-2 du programme européen Copernicus. Cet exercice OSINT (Open Source Intelligence) est très instructif.
Rupture de deux barrages
La rupture du barrage le plus en amont de Derna, à 13 km au sud, suivie de celle du second barrage plus proche de la ville au nord, est à l'origine du désastre.
Le premier barrage cède dans la nuit du dimanche 11 au lundi 12 septembre vers 2h30 du matin.
Il s'agit de barrages dits "en remblais" dont la forme caractéristique est visible sur l'image satellite. Il semble que le réservoir en amont du barrage était à sec avant le passage de la tempête. L'oued récupère l'eau de tout le bassin versant. La pluie intense et l'apport d'eau par les affluents ont dépassé la capacité du réservoir en amont du premier barrage. La "surverse" a fragilisé puis entraîné la rupture du barrage.
Deux extraits d'images des satellites Sentinel-2 acquises le 7 et le 12 septembre 2023 avant et après la catastrophe montrent la zone du barrage amont.
En Libye, rupture du barrage le plus en amont de la ville de Derna. Deux images acquises par
les satellites Sentinel-2 le 7 et le 12 septembre 2023. Couleurs naturelles.
Crédit image : ESA / Copernicus / Union européenne. Infographie : Gédéon
C'est peut-être encore plus visible sur les mêmes images des satellites Sentinel-2 représentées en utilisant la bande proche infrarouge.
Dans ce type de représentation, la végétation active apparaît en rouge (image du 7 septembre). L'image du 12 septembre, le lendemain de la catastrophe, montre que les cultures implantées le long des rives du Wadi Derna ont été balayées par la crue rapide qui a ensuite dévasté la ville.
En Libye, le Wadi Derna et la ville de Derna. Extraits deux images acquises par
les satellites Sentinel-2 le 7 (en haut) et le 12 septembre 2023 (en bas). Représentation utilisant le
canal proche infrarouge. Crédit image : ESA / Copernicus / Union européenne. Infographie : Gédéon
Derna, ville martyre attaquée au nord et au sud
Après avoir déjà subi les vents très violents et les pluies intenses accompagnant la tempête Daniel, la ville de Derna se retrouve piégée entre la vague d'eau et de boue causée par la destruction des barrages et par la surcote au niveau du littoral. C'est la baisse de pression au passage de la tempête (une dépression) qui entraîne la surélévation du niveau de la mer.
Malgré la couverture nuageuse et la résolution limitée, l'image du satellite Sentinel-2 du 12 septembre montre les eaux boueuses et le chaos dans Derna. Sur l'image du 7 septembre, on distingue le barrage aval tout proche, détruit après la rupture du premier barrage.
Les dégâts à Derna en Libye après le passage de la tempête Daniel : animation créée à partir de deux
extraits d'images des satellites Sentinel-2 acquises le 7 et le 12 septembre. La résolution de
10 mètres ne montre pas les détails mais permet de voir l'étendue des eaux boueuses.
Crédit image : ESA / Copernicus / Union européenne. Infographie : Gédéon
La couleur de la mer : un marqueur de l'ampleur des dégâts
Un autre indicateur de l'ampleur de la catastrophe à Derna est la couleur de l'eau de la Méditerranée à proximité.
Dans les images représentées avec la canal proche infrarouge, elle apparaît en noir quand elle est limpide. C'est le cas sur l'image du 7 septembre.
Les couleurs de l'image du 12 septembre indiquent la présence massive de matière en suspension (boue, sable, débris, etc.)
Evolution de la couleur de l'eau de mer à Derna après la rupture des deux barrages et les inondations.
Crédit image : ESA / Copernicus / Union européenne. Infographie : Gédéon
Ce phénomène peut également être vu sur des images de résolution beaucoup plus modeste, comme ici une une image acquise par l'instrument MODIS du satellite américain Aqua.
La couleur de l'eau de mer à Derna vue par l'instrument MODIS du satellite Aqua le 13 septembre 2023.
Crédit image : NASA / EOSDIS
En savoir plus :
- Un article du blog Un autre regard sur la Terre sur les inondations causées par la tempête Daniel en Grèce.
- Les autres articles sur l'utilisation des satellites d'observation après une catastrophe naturelle.
- Sur le site du Washington Post, des images à très haute résolution "avant / après" acquise par les satellites de la société Maxar Technologies