Edith Bouvier, journaliste au Figaro, grièvement blessée, et William Daniels, photographe indépendant, ont finalement échappé à l’enfer du quartier de Baba Amr : ils sont de retour en France depuis vendredi 2 mars après 9 jours à Homs, Les habitants du quartier et les rebelles n’ont pas cette chance. C’est le 22 février qu’une série d’explosions a visé la maison qui leur servait de centre de presse : l'américaine Marie Colvin (Sunday Times) et le photographe français Rémi Ochlik ont été tués par ces bombardements.
Jeudi, le quartier de Baba Amr, pilonné sans relâche par le régime syrien depuis presqu’un mois, a été pris par les troupes gouvernementales. La Croix-Rouge n’est toujours pas parvenue à entrer à Baba Amr : les autorités syriennes bloquent toute aide humanitaire. La communauté internationale, en raison de la position de la Russie et de la Chine, reste impuissante. La situation en Syrie est "inacceptable, intolérable", a affirmé vendredi le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. Il appelle la Syrie à "laisser entrer sans conditions préalables" l'aide humanitaire dans le pays et l'ensemble des parties à cesser "toute violence".
Un drame visible depuis l’espace
En cherchant sur Google Earth où était exactement la ville de Homs, j’ai regardé un peu par hasard s’il existait des images satellite récentes. J’ai commencé par le satellite Envisat dont les images sont systématiquement mises en ligne sur les sites Miravi de l'ESA (Agence Spatiale Européenne) ou Modis Rapid Response de la NASA. Même si la résolution est moyenne (300 mètres et 500 mètres), les capteurs MERIS et MODIS ont l’avantage de fournir une couverture systématique et quotidienne (quand on combine les différents satellites).
C’est une image du satellite Aqua qui a retenu mon attention : acquise le 15 février 2012, elle n’est a priori pas très intéressante à cause de la couverture nuageuse. En y regardant de plus près, j’ai été frappé par l’ombre d’un nuage assez marquée, une trace ou sol en forme de pointe d’ouest en est. Au nord, l'étendue d'eau est le lac Al Assad, au niveau du barrage de Tabqa, sur l'Euphrate dont on voit bien le cours.
|
Image acquise par le capteur Modis du satellite américain Aqua le 15 février 2012. A gauche, la scène complète à environ 1 km de résolution. A droite, extrait centré sur Homs. L’image est échantillonnée ici à 500 mètres de résolution. Crédit image : NASA/GSFC, Rapid Response
En bien, ce n’est pas un nuage ! En affichant l’image sous Google Earth, on constate que la pointe coïncide exactement avec la position de la ville de Homs. Il s’agit bien d’un panache de fumée sombre du aux bombardements syriens. J’ai déjà publié sur ce blog plusieurs images d’Envisat montrant les panaches de fumées de grands incendies de forêt (voir par exemple ces exemples en Grèce ou en Israël) mais c’est la première fois que je vois directement les effets de bombardements sur des images satellites à moyenne résolution.
La même image visualisée dans Google Earth en utilisant les fichiers kml fournis par le site
Modis Rapid Response. L’origine du panache de fumée est bien la ville de Homs en Syrie.
Qu’est-ce qui explique cet effet à la fois spectaculaire et choquant ? Il s’agit de l'explosion et de l’incendie d'un pipeline à la périphérie de Homs et bombardé dans la journée du mercredi 15 février 2012. Toute la journée, l’épaisse fumée qui s’est dégagée était visible sur les images satellite. Ce pipeline alimentait une raffinerie de Homs. Digital Globe a également publié une image en très haute résolution de cet incendie.
Image satellite de l’incendie du pipeline de Homs acquise le 15 février 2012.
Crédit image : © DigitalGlobe 2012
Cette image illustre un des rôles particuliers des satellites d’observation. Lorsque les journalistes ou les photographes les plus courageux sont contraints de quitter ou quand les communications par téléphone ou internet sont coupées volontairement (comme par exemple le site suédois www.bambuser.com) ou non, que les satellites sont parfois le seul moyen d’obtenir un minimum d’information sur ce qui se passe réellement sur le terrain. Ils ne peuvent pas tout voir mais les informations qu’ils fournissent sont souvent irremplaçables.
Des images satellites qui confirment l’ampleur des destructions à Homs
Ce rôle est particulièrement bien illustré par des images photo-interprétées que l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch a publiées vendredi 2 mars 2012 sur son site Internet.
Il s’agit d’images à très haute résolution provenant des satellites d’observation de la société américaine Digital Globe. Elles ont été interprétées et analysées par les experts d’Human Rights Watch.
Je reprends ici quelques unes de ces images et des extraits des analyses confirmant l’intensité des bombardements dans les environs du quartier Baba Amr à Homs. L’image la plus récente utilisée a été acquise le 25 février 2012, avant que l’armée syrienne en commence une attaque terrestre à partir du 29 février. L’analyse des dégâts est faite en comparant la dernière image à d’autres images acquises entre quatre et six semaines plus tôt.
La carte produite à partir de ces images permet de se faire une idée de l’ampleur des destructions :
Carte produite par les analystes d’Human Rights Watch à partir d’images satellites fournies par
la société Digital Globe. Crédit image : © 2012 DigitalGlobe
- Les cercles rouges indiquent des bâtiments détruits ou endommagés. Il y en a 640 dans le décompte présenté par HRW, qui indique que le chiffre est probablement sous-estimé : les dégâts sur les murs ne sont pas toujours visibles sur les images satellite.
- Les cercles jaunes correspondent à des cratères de bombardements dans les champs ou sur les routes. 950 cratères sont visibles sur les images analysées par les photo-interprètes d'Human Rights Watch.
Des extraits de l’image permettent également de voir des chars et des véhicules d’infanterie blindés à l’ouest de Baba Amr. Un dernier extrait montre également des nuages de poussière causés par les bombardements. On peut noter que les photointerprètes continuent à utiliser en priorité des images en noir et blanc. Ce sont des images panchromatiques, avec une seule bande spectrale large correspondant au spectre visible. C'est dans le mode panchromatique que les satellites offrent en général la meilleure résolution, permettant d'identifier les détails.
Quelques extraits de l’image utilisée par Human Rights Watch.
Crédit image : © 2012 DigitalGlobe
Après Homs et la reprise du quartier de Baba Amr, la ville de Rastane est à son tour la cible de l'armée syrienne. Qousseir est également contrôlée en partie par les rebelles.
En savoir plus :
- Sur le site de l’organisation Human Rights Watch, la page sur les bombardements à Homs.
- Sur le site stateondemand.state.gov, d’autres images montrant l’artillerie du régime de Bachar al-Assad déployée autour de Homs le 10 février 2012.
- Des vidéos amateurs montrant l’incendie du pipeline à Homs sur youtube et sur le site de la Radio Télévision Suisse.
- Sur le site Big Picture du journal Boston Globe, des photographies prises à Homs au début du mois de février 2012.
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, d’autres articles dans la catégorie sécurité et défense.