Le 7 octobre 2023, vers 6h du matin (heure locale), le Hamas lance une attaque de grande ampleur contre Israël. Au lendemain de la commémoration de la guerre du Kippour, le jour du Shabbat, la date n’est pas choisie au hasard.
Déluge d'Al-Aqsa est l'attaque la plus meurtrière sur l’état hébreu depuis sa création en 1948 : le nombre de morts dépasse celui des vingt dernières années. Israël réagit en lançant l’opération Epées de fer (Swords of Iron).
A l’est de la bande de Gaza, une partie des cibles visées par l’attaque du Hamas.
Extrait d’une image acquise par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023 à 08:18 UTC. La bande SWIR
met en évidence les zones récemment brûlées par les explosions de roquettes (points représentés en rouge).
En bas, une version en pleine résolution (sans les toponymes) et ici une version en champ plus large.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne
Le jour de l’attaque terroriste
Alors que les premières images provenant de satellites à très hautes résolution commencent à sortir et montrent les dégâts des bombardements israéliens sur la bande de Gaza, l’image présentée ici a été acquise quelques heures après le début de l’attaque terroriste du Hamas.
Elle a été prise par le satellite européen Sentinel-2A le 7 octobre à 08:18 UTC soit 11:18 en heure locale.
Prise de loin avec une résolution moyenne, elle est moins glaçante que les photographies ou les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux. Elle donne néanmoins une idée de l’ampleur de l’attaque et du drame qui s’est joué à proximité immédiate de la bande de Gaza, là où les massacres ont succédé aux tirs de roquettes.
Le site du festival Nova (#TribeofNova) se situe tout près du kibboutz Re'im, au nord-est, là où on distingue une série de points rouge au nord d’une série de parcelles cultivées en forme de L quadrillé. 270 personnes sur les 3500 participants ont été assassinées par le Hamas pendant les premières heures de l’attaque.
Voici une version très zoomée de l’image en couleurs naturelles (avec augmentation du contraste) centrée sur le site. On distingue les couleurs des chapiteaux du festival Nova et on peut identifier au moins quatre panaches de fumée à proximité de la route 232 où étaient garées les voitures des jeunes participant à la rave party.
Au nord-ouest du kibboutz de Re’im, le site du festival Nova le jour de l’attaque. Extrait très fortement
zoomé avec annotations de l’image acquise par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023 à 08:18 UTC.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne. Vignette photo : compte Instagram du festival Nova Israël.
Analyse : Gédéon
Sentinelle impuissante
Au niveau plus global, une comparaison avec une image prise dix jours plus tôt permet de mieux se rendre compte de l’ampleur de l’attaque :
L’est de la bande de Gaza et les zones touchées pour l’attaque du Hamas. Comparaison entre l’image acquise
par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023 à 08:18 UTC et une image du 27 septembre 2023.
La bande SWIR met en évidence les zones récemment brûlées par les explosions de roquettes.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne
La même image en couleurs naturelles, moins facile à analyser, montre davantage la fumée des incendies causés par les explosions. Voici une vue en champ large couvrant l’ensemble de la bande de Gaza et quelques extraits sur des zones touchée par l’attaque terroriste.
En Israël, à proximité de la bande de Gaza, les zones ciblées par l’attaque du Hamas. Extrait d’une image
acquise par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023 à 08:18 UTC. Image en couleurs naturelles.
En haut, vue d’ensemble. En bas, zoom, sans toponymes, sur des zones particulièrement touchées.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne
Deux versions superposables de l’image acquise par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023 à 08:18 UTC.
A gauche, représentation en couleurs naturelles. A droite, avec le mode SWIR.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne
Je vous recommande le fil d’actualité et les cartes publiées par le journal le Monde pour des explications détaillées.
Le bilan est atroce : 200 civils tués à Kfar Aza, 108 à Be’eri, 50 victimes à Nir Oz, 15 personnes à Netiv HaAsara au nord de la bande de Gaza, 20 morts à Sderot. A Zikim, juste au nord de la bande de Gaza, la base militaire Bahad 4 a également été attaquée.
Selon un communiqué de l’armée israélienne publié vendredi 13 octobre, il y aurait au moins 120 otages. Le même jour, le bilan du ministère de la santé israélien fait état de plus de 1200 morts et 3391 blessés.
Dans la bande de Gaza, les bombardements de Tsahal ont fait 1537 morts et 6612 blessés, selon le ministère de la santé gazaoui.
Une image qui tombe à pic…
A ce jour, je n’ai pas vu d’autres images acquises le 7 octobre, le jour de l’attaque du Hamas.
Contrairement aux images des satellites à très haute résolution qui ont commencé à être programmés pour acquérir des images après l’attaque, cette image a été acquise « par hasard » à l’occasion d’un passage « naturel » d’un des deux satellites Sentinel-2, dont la mission consiste à couvrir l’ensemble des terres émergées.
Malgré sa résolution modeste (comparée à celle des satellites Pléiades Neo d’Airbus Defence and Space ou Worldview-3 de Maxar), elle présente un grand intérêt pour tous ceux qui s’intéresse à l’OSINT, l’Open Source Intelligence ou le renseignement à partir de sources ouvertes.
En particulier en raison de la diversité de ses bandes spectrales : la bande SWIR, déjà mentionnée, correspond à une plage de longueurs d’onde dans l’infrarouge à courte longueur d’onde et la bande proche infrarouge, juste au-dessus du spectre visible, qui met bien en évidence les panaches de fumées ou les zones détruites par les bombardements.
La bande proche infrarouge a une meilleure définition (10 mètres) que la bande SWIR (20 mètres).
Une autre représentation de la même image acquise par le satellite Sentinel-2A le 7 octobre 2023.
Le canal proche infrarouge met également en évidence les zones brûlées.
Crédit image : Copernicus / ESA / Union européenne
Le défaut ? L’acquisition des images est directement liée au déplacement du satellite le long de son orbite à 786 km d’altitude. Avec une peu plus de 14 orbites par jour et une bande de terrain de 290 km de largeur couverte à chaque passage (swath), à l’équateur, il ne couvre qu’environ 4000 km par jour : le satellite Sentinel-2A met donc une dizaine de jours pour repasser au-dessus d’une région donnée, cinq jours en combinant les capacités des deux satellites Sentinel-2A et Sentinel-2B.
C’est un peu mieux à la latitude de la bande de Gaza (31°N) mais la fréquence de passage reste similaire. Hasard de la mécanique orbitale, le satellite est bien passé au-dessus d’Israël quelques heures après l’attaque.
Des satellites agiles : la clé de l'imagerie réactive à très haute résolution
C’est la raison pour laquelle les équipes qui utilisent les satellites et l’imagerie réactive pour la gestion des crises (catastrophes naturelles ou industrielles, crises humanitaires ou conflits) préfèrent utiliser les satellites agiles, à la fois pour leur très haute résolution et pour leur capacité à pointer une cible décalée par rapport à leur orbite : la visée oblique dégrade un peu la résolution mais permet de garantir une acquisition d’image chaque jour, voire plusieurs fois par jour quand on dispose d’une constellation de plusieurs satellites.
La seule contrainte : ils doivent être programmés à l’avance et sont rarement aux premières loges quand un événement inattendu se produit. Réduire le laps de temps entre le déclenchement de l’événement et l’acquisition de la première image exploitable fait l’objet d’efforts chez tous les opérateurs, par exemple en exploitant des signaux faibles permettant d’anticiper l’acquisition des images (alerte précoce, niveau de risque, OSINT via les réseaux sociaux, etc.)
Les satellites du programme européen Copernicus, malgré une résolution plus modeste, peuvent donc parfois jouer un rôle essentiel dans les premières heures suivant un événement majeur, comme cet été avec les incendies ou les inondations en Europe et dans le monde.
C’est malheureusement aussi le cas ici en Israël.
La diffusion des images à haute résolution du territoire israélien
Dans le cas de la très haute résolution, la performance des derniers satellites commerciaux, avec 30 cm de résolution, en fait des outils intéressants pour compléter les satellites militaires dans le cas de conflits, comme au Sahel, en Ukraine ou pour la crise en cours en Israël.
Dans la plupart des pays ayant une activité spatiale, le législateur a souvent mis en place une loi spatiale qui s’applique aux opérateurs de systèmes spatiaux qu’il s’agisse de lancements ou d’exploitation de satellites, par exemple pour l’observation de la Terre.
En France, il s’agit de la loi n° 2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales, modifiée par une récente ordonnance (n° 2022-232 du 23 février 2022) relative à la protection des intérêts de la défense nationale dans la conduite des opérations spatiales et l'exploitation des données d'origine spatiale.
Alors que les systèmes d’observation à très haute résolution peuvent avoir potentiellement des usages pour la défense, leur exportation peut être traitée par les règles existantes relatives au contrôle export sans nécessité de cadre juridique particulier. La question est différente pour les images qu’ils produisent : nombre de cessions très élevées, dématérialisation compliquant la connaissance certaine du destinataire final.
Les articles 23 à 25 de la loi spatiale abordent donc le cas des données spatiales :
« Tout exploitant primaire de données d'origine spatiale exerçant en France une activité présentant certaines caractéristiques techniques définies par décret en Conseil d'Etat doit préalablement en faire la déclaration à l'autorité administrative compétente.
Ces caractéristiques techniques sont notamment fonction de la nature des données acquises, de leur provenance et de leur précision.
L'autorité administrative compétente s'assure que l'activité des exploitants primaires de données d'origine spatiale ne porte pas atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, notamment à la défense nationale, à la politique extérieure et aux engagements internationaux de la France.
A ce titre, elle peut, à tout moment, prescrire les mesures de restriction à l'activité des exploitants primaires de données d'origine spatiale nécessaires à la sauvegarde de ces intérêts. »
La version initiale de la loi donnait plus de détails sur les caractéristiques techniques : « Ces caractéristiques techniques sont notamment fonction de la résolution, de la précision de localisation, de la bande de fréquence d'observation et de la qualité des données d'observation de la Terre faisant l'objet de la programmation d'un système satellitaire ou reçues. »
Les mesures de restrictions font l’objet de documents spécifiques régulièrement mis à jour. l’État se réserve ainsi la possibilité d’occulter définitivement ou temporairement certaines zones quand des es impératifs de sécurité (nationale ou découlant des accords de défense) sont en jeu.
La loi prévoit aussi une possibilité de réquisition des moyens civiles au profit de la défense nationale.
2 mètres puis 40 centimètres
Dans le cas d’Israël, il y a une subtilité supplémentaire liée à la loi américaine.
Il s’agit de l’Amendment Kyl-Bingaman (alias KBA pour les intimes) qui indique qu’aucune licence pour l’acquisition ou la distribution d’images satellites couvrant le territoire d’Israël ne peut être accordée à un opérateur américain que si la résolution (GSD ou Ground Sampling Distance) est inférieure celle d’autres sources commerciales :
“All licenses issued by the Commercial Remote Sensing Regulatory Affairs Office (CRSRA) include a standard condition implementing the requirements of the Kyl-Bingaman Amendment. This Notice formally specifies the resolution available from commercial sources of the State of Israel for that purpose, such that this license condition now prohibits the dissemination of satellite imagery over Israel at a resolution finer than 0.4 m GSD; this condition does not distinguish between new and archived data.”
Initialement fixée à 2 mètres au moment de la première publication de la loi (National Defense Authorization Act) en 1997, la limite est descendue à 40 cm depuis juillet 2020. Il est intéressant de noter que l'évolution de cette limite de GSD est faite en analysant ce qui est disponible commercialement au niveau international : dans la logique de développement du marché commercial d'observation de la Terre, le gouvernement américain est très pragmatique.
C’est la raison pour laquelle les images des dégâts des bombardements à Gaza publiées par la société Maxar le sont avec une résolution légèrement dégradée.
On pourrait penser que cette limitation ne s'applique qu'aux opérateurs américains. En réalité, toutes les sociétés commercialisant des images à très haute résolution (il y en a peu), s'intéressent au marché américain et respectent de facto les même règles. L’Amendment Kyl-Bingaman est devenu une sorte de jurisprudence mondiale, sauf en Russie ou en Chine par exemple.
Vraies images et lutte d’influence informationnelle
Le déferlement d’images et de vidéos sur les réseaux sociaux, vraies ou truquées, notamment sur X-Twitter, montre que l’information est désormais un élément majeur de la lutte d’influence en cas de conflit.
Nul doute que les images satellites, même avec une résolution légèrement dégradée, des bombardements dans la bande de Gaza, vont participer à cette lutte d’influence. Après l’écœurement ressenti immédiatement après l’attaque du Hamas, l’opinion publique pourrait évoluer rapidement en "voyant" le sort des populations civiles dans la bande de Gaza, avec les images prises sur place ou à travers l'oeil du satellite.
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur la gestion des crises et des catastrophes.
- Les autres articles sur le thème de la sécurité et des conflits.
- Le texte actuel de la loi spatiale française.
- Un rapport sur l’évolution du droit de l’espace en France.
- Le document américain sur les restrictions concernant la résolution des images sur le territoire israélien et son évolution récente (limite de résolution baissée à 40 cm).