Le rover chinois sur la lune Yutu photographié par l’atterrisseur Chang’e-3 au moment
où le lapin retrouve sa liberté.
Les temps chang’e
Pierrot se sentait seul... Il a enfin un nouveau compagnon !
Contrairement à ce que le titre de cet article semble dire, le rendez-vous a bien eu lieu : samedi 14 décembre 2013, la Chine est devenue la troisième puissance mondiale, après les Etats-Unis et la Russie à réussir un alunissage en douceur, celui de la sonde Chang'e-3.
Il était environ 13h11 UTC. Un premier freinage avait ramené le périgée de l’orbite de la sonde chinoise à une altitude de 15 km d’altitude. La descente a duré 12 minutes. La sonde s’est posé dans Mare imbrium à 43 kilomètres au sud du cratère Laplace F (19,51°W, 44,12°N).
La dernière phase de l'alunissage de la sonde lunaire chinoise Chang'e-3
Après l’arc-en-ciel, la pluie…
Les premiers commentaires dans les medias faisaient état d’une erreur à l’alunissage, par rapport au site prévu à l’origine (Sinus Iridum ou « baie des arcs-en-ciel »). En réalité, ce changement pour alunir dans la mer des pluies a été décidé et annoncé à l’avance par les autorités chinoises, qui ont souhaité alunir une orbite plus tôt. Ce communiqué n’a apparemment pas été lu…
Un peu plus tard, vers 20h35 UTC, nouvelle étape et nouveau succès : Yutu hao, un rover piloté à distance, le « Lapin de jade », a quitté la sonde pour commencer un programme d’exploration et d’expériences scientifiques à la surface de notre satellite naturel, à la grande satisfaction des ingénieurs du Beijing Aerospace Control Center in Beijing, à Pékin.
Les équipes de contrôle du Beijing Aerospace Control Center in Beijing à Pékin
Sacré Graal !
L’opération a été filmée par une caméra fixée sur « l’atterrisseur » et transmises vers la Terre. Le lapin de jade doit faire notamment des prélèvements géologiques : il embarque une foreuse.
Le 1er décembre, c’est une fusée Longue Marche 3B, ou Chang Zheng 3B (CZ-3B) qui avait lancé la sonde Chang'e-3, à partir de la base de lancement de Xichang, dans le Sichuan, au sud-ouest de la Chine. Le 6 décembre, la sonde avait été mise en orbite autour de la Lune à une altitude circulaire à 100 km d’altitude. Pas de coup du lapin malgré l’accélération au décollage.
La procédure de changement d’orbite avant l'alunissage de la sonde Chang’e-3
Me too avec Yutu : le lapin de Jade a six roues
Les images prise par la caméra de l’atterrisseur montrent le robot Yutu hao quittant la rampe de la plateforme et laissant des traces de roues bien nettes sur le sol lunaire.
Le nom du rover semble avoir été choisi après un vote en ligne auquel auraient participé des millions de chinois : dans la mythologie chinoise, le lapin lunaire, le « lièvre de la Lune », habite le satellite naturel de la Terre, où il fabrique l'élixir d'immortalité dans son mortier. Il est le compagnon la déesse chinoise de la Lune : Chang'e.
Gros lapin
Dans sa version 2013, le « lapin de jade» est un rover à six roues, d’une masse d’environ 140 kilogrammes. Sa mission doit normalement durer au moins trois mois.
La charge utile du robot mobile comporte une caméra panoramique, un bras articulé avec un dispositif d’analyse des roches pour spectrométrie, et un radar pour sonder le sol. Il a également une caméra de navigation et un système d’évitement d’obstacle quand il n’est pas piloté depuis le sol.
L'atterrisseur est équipé d'un télescope fonctionnant dans l'ultraviolet pour l'étude de la Voie Lactée et d'étoiles variables, une caméra en ultraviolet lointain pour l'étude de la magnétosphère terrestre et de trois caméras fournissant une vue à 360 degrés autour de la base.
Le rover Yutu et la sonde Chang'e-3 ont des panneaux solaires qui les alimentent en énergie électrique. Ils embarquent également une petite source radioactive (pastilles de plutonium 238) qui sert à réchauffer les équipements pendant la nuit lunaire.
Avant l’alunissage, la sonde Chang’e a établi une cartographie précise en 3D.
Une autre image du lapin de Jade sur la Lune prise par l’atterrisseur
Yutu sur youtube
La Chine continue à démontrer sa capacité à respecter scrupuleusement les objectifs de son plan spatial ambitieux, avec l’objectif de poser un chinois sur la Lune, à partir de 2025.
La prochaine étape de ce programme est l’envoi d’une nouvelle mission vers la Lune, Chang’e-5, avec un objectif de retour d’échantillon avant 2020. Les essais de rentrée atmosphérique devraient avoir lieu en 2015.
Game changer
Au cours des deux dernières semaines, les passionnés d’espace ont appris trois nouvelles qui illustrent les évolutions importantes du paysage de l’aventure spatiale :
- La mise en orbite d’un premier satellite de télécommunications commercial par le lanceur Falcon 9 de SpaceX. Space X fait ainsi une entrée réussie dans le club des lanceurs de fusées, même si la nouvelle société n’a pas encore le même livre d’or que celui d’Arianespace avec 215 missions Ariane et 57 succès consécutifs avec Ariane 5.
- Le lancement de la sonde indienne Mangalyaan vers Mars. Ce lancement a également été effectué également le 1er décembre. Est-ce une coïncidence ? La planète rouge devient-elle un autre terrain de compétition entre les nouvelles nations spatiales ? Mangalyaan devrait atteindre l’orbite martienne en septembre 2014, pratiquement deux ans après le lancement de la mission MSL Curiosity.
- Et… Le lancement de la sonde chinoise Chang’e-3.
Tout cela confirme que l’espace reste un domaine que les nations utilisent pour afficher leur dynamisme et leur puissance.Les drapeaux, même en orbite ou sur la Lune, pèsent lourd...
A un moment où les industriels européens cherchent à tout prix à améliorer leur compétitivité, il n’est intéressant de noter que les initiatives politiques et institutionnelles des états jouent un rôle déterminant.
I’ll be back, mais tard…
Cela paraît étonnant mais aucun objet fabriqué par l’homme ne s’est posé en douceur sur la Lune depuis près de 40 ans. Le dernier alunissage en douceur, celui de la sonde soviétique Luna 24, remonte au mois d’août 1976, il y a plus de 37 ans.
A pied ou en voiture, la Chine y parvient aussi...
Voici une petite liste des sondes automatique qui se sont posées en douceur sur la Lune. Il y a également les six missions Apollo qui emmenaient les douze veinards qui ont marché sur la Lune. Il y a donc eu une petite interruption de 1976 à 2013…
- 1966 :
- Luna-9 (Planitia Descensus)
- Surveyor 1 (cratère Flamsteed P)
- Luna-13 (Oceanus Procellarum)
- 1967 :
- Surveyor 3 (cratère Surveyor)
- Surveyor 5 (Mare Tranquillitatis)
- Surveyor 6 (Sinus Medii)
- 1968 : Surveyor 7 (cratère Tycho)
- 1970 :
- Luna-16 (Mare Fecunditatis), retour d’échantillons.
- Luna-17 (Mare Imbrium)
- Rover Lunokhod-1, avec un record de durée de vie
- 1972 : Luna-20 (cratère Apollonius C), retour d’échantillons
- 1973 :
- Luna-21 (cratère Le Monnier)
- Rover Lunokhod-2
- 1974 : Luna-23 (Mare Crisium)
- 1976 : Luna-24 (Mare Crisium), retour d’échantillons
- et... 2013 : Chang'e-3 et le rover Yutu (Mare Imbrium)
Yutu est le sixième véhicule mobile à se poser sur la Lune après les deux missions Lunokhod-1 (de novembre 1970 à septembre 1971) et Lunokhod-2 (de janvier 1973 à mai 1973) et les rovers des trois dernières missions Apollo (15, 16 et 17) entre juillet 1971 et décembre 72.
La dernière mission Apollo s’est achevée le 19 décembre 1972 : elle a ramenée sur Terre 111 kilos de roches lunaires, pratiquement la masse du Lapin de Jade.
En décembre 1972, l’astronaute Eugene Cernan à l'arrière du rover de la mission apollo 17
photographié par Harrison Schmitt. Le parapluie inversé à l’avant n’est pas un parapluie : c’est une
antenne à grand gain. Il y a aussi une caméra de télévision visible à l'avant.
Crédit image : NASA.
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans la catégorie « satellites et lancements ».
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans la catégorie « ailleurs dans l'espace ».
- Un article sur Neil Armstrong et les missions Apollo.
- Sur le site The Space Review, un article de Dwayne Day sur les isotopes radioactifs utilisés par le Chine sur ma mission Chang’e-3.
- Des informations sur les paramètres orbitaux de la sonde Chang’e-3 collectées par Bill Gray.