Toujours la vue des étoiles me fait rêver, aussi simplement que me donnent à rêver les points noirs représentant sur la carte géographique villes et villages. Pourquoi, me dis-je, les points lumineux du firmament nous seraient-ils moins accessibles que les points noirs sur la carte de France ? »
Extrait d’une lettre à Théo, Vincent Van Gogh, Arles, Juillet 1888
(une lettre similaire a été écrite à Emile Bernard le 26 juin 1888)
Savoir garder ses distances : le diagramme HR ou diagramme de Hertzsprung-Russell, reliant la
luminosité des étoiles à leur température effective. Extrait de la présentation de la mission Gaïa
par Frédéric Arenou, ingénieur de recherche du CNRS à l’observatoire de Meudon.
Crédit image : Gédéon
Le Kourou de Gaïa : ça tire à Sinnamary
Cela fait vraiment plaisir de voir un nouveau lancement réussi en Guyane ! Un tir en plein jour, avec des images superbes en direct sur la WebTV d’Arianespace.
Décidément, la fin décembre devient un rendez-vous classique pour Ariane et Soyouz. En particulier pour les missions d’observations de la Terre ou les missions scientifiques, les vols avec un numéro pair : après VS02 avec Pleiades-1A, VS04 avec Pleiades-1B, le vol Soyouz VS06 a mis en orbite jeudi 19 décembre 2013 la très ambitieuse mission Gaia de l’Agence Spatiale Européenne (ESA).
Le nom s'écrit Gaia et non Gaïa, justement parce qu’il s’agit d’un programme européen, même si la sonde spatiale a été principalement conçue et fabriquée à Toulouse, une ville où on conserve l’accent.
Beaucoup d’émotion aussi pour les équipes d’Astrium qui ont assuré la maîtrise d’œuvre et relevé un énorme défi technologique : c’est très probablement le dernier satellite qui s’envole sous le nom Astrium. Dès 2014, avec Cassidian, la filiale du groupe EADS sera rebaptisée Airbus Defence and Space…
En piste pour les étoiles : lancement réussi du satellite Gaia
Gaia est le 25ème satellite scientifique lancé par Arianespace. Le décollage parfait a eu lieu à 9:12:19 UTC soit 6:12:29 en Guyane et 10:12:19 à Toulouse. La retransmission vidéo, également accessible depuis le site du CNES, a démarré 20 minutes avant le H0. Pour les toulousains, la Cité de l’espace organisait une retransmission du lancement.
Après le lancement réussi, il a fallu patienter un peu pour être totalement rassuré… Sur son blog Rêves d’espace, Isabelle donne quelques repères de la chronologie de lancement. La séparation du satellite a lieu à H+41:58. Le dernier burn de l’étage Fregat à H+1:00:00. Par contre, le vrai signal du succès complet du lancement, c’est la fin du déploiement du pare-soleil de Gaia, au plus tard à 1:38:00 (si c’est le système redondant qui fonctionne).
Avant de parler du milliard d’étoiles cartographiées par Gaia, on en a vu quelques-unes en plein jour : celles qui figurent sur le joli logo de la mission Gaïa sur la coiffe du lanceur Soyouz. Il y a aussi 5 étoiles peintes sur le bras de soutien du véhicule de transport de la fusée Soyouz. 5, c’était le nombre de lancements effectués jusqu'au 18 décembre par la fusée Soyouz en Guyane. La sixième étoile va maintenant pouvoir étre ajoutée.
La pose du logo de la mission Gaia sur la coiffe du lanceur Soyouz VS06. Crédit image :
ESA - CNES - Arianespace - Optique Vidéo du CSG - S. Martin
Les étoiles les plus proches vues par Gaia. Après celles de la coiffe, celles du bras de transport
du vaisseau Soyouz. Les russes aiment bien les symboles. La 6ème étoile va pouvoir être ajoutée.
Merci Isabelle !
Gaia appelée à régner sur les étoiles
Dimanche 29 septembre, dans le cadre de la Novela et de ciel en Fête, le groupe Midi-Pyrénées de la 3AF (Association Aéronautique et Astronautique de France) proposait en partenariat avec la Cité de l’espace une conférence sur la mission Gaïa.
L’originalité de cette conférence était de proposer un tour d’horizon complet de la mission avec ses enjeux et ses objectifs scientifiques, le défi technologique de réalisation d’une mission spatiale exceptionnelle et une architecture informatique innovante pour l’exploitation des résultats. Le succès du lancement de Gaia est l’occasion d’un petit retour sur cette conférence.
Parallaxe mais presque : trois regards sur la mission Gaia
C’était aussi l’occasion de découvrir trois métiers à travers l’expérience des trois intervenants :
- Le scientifique et l’astronome, avec Frédéric Arenou, ingénieur de recherche à l’observatoire de Paris Meudon.
- L’ingénieur et le chef de projet, avec Vincent Poinsignon, chef de projet de la mission Gaia chez Astrium Satellites.
- L’informaticien et l’architecte du système d’information, avec Véronique Valette, chef de projet DPCC au CNES.
"The most difficult problem in astronomy?" Présentation des objectifs scientifiques de la
mission Gaia par Frédéric Arenou, ingénieur à l'observatoire de Paris Meudon. Crédit image : Gédéon
La plupart des photographies de cet article proviennent de la conférence donnée à Toulouse. D'autres extraits sont disponibles dans une galerie de photos sur google+.
Le grand défi : un euro sur la Lune
Gaia va cartographier plus d'un milliard d'étoiles de notre galaxie, la Voie Lactée, avec une précision inégalée. Gaia est le successeur de la première mission d’astrométrie spatiale européenne Hipparcos (1989-1993).
En rappelant l’histoire de l’astrométrie, Frédéric Arenou présente les objectifs ambiteux de la mission Gaia : la sonde doit cartographier en 3D plus d’un milliard d’objets de notre galaxie, déterminer leur distance de la Terre et leur vitesse propre.
La précision angulaire nécessaire est extraordinaire : comprise entre 7 microsecondes d’arc (uas) pour les étoiles les plus brillantes (magnitude 12) et 300 microsecondes d’arc pour les moins brillantes (magnitude 20).
Une seconde d’arc, c’est un angle : un cercle de 360 degrés, découpé en 60 minutes de 60 secondes. Sur un rapporteur d’écolier, c’est vraiment tout petit… Eh bien, une microseconde d’arc, c’est un million de fois plus petit.
J’ai trouvé plusieurs analogies pour donner un point de repère : 10 microsecondes d’arc, c’est l’angle sous lequel on voit un cheveu à 1000 kilomètres, ou une pièce d’un Euro sur la Lune (après les lapins, il paraît donc qu’il y a des pièces d’un Euro sur la Lune).
Un bon résumé est peut-être : « trouver une aiguille dans une botte de foin » (normal pour une mission au point de Lagrange).
A côté de la mission principale d'astrométrie, Gaia doit rechercher et inventorier des dizaines de milliers d'objets inconnus à ce jour : étoiles naines brunes et blanches, supernovæ, planètes naines et astéroïdes du système solaire... et même des exoplanètes.
Contrôle thermique de Gaia : pas de liberté pour les degrés
Vincent Poinsignon, le chef de projet de la mission Gaia chef Astrium, explique comme les besoins des scientifiques se traduisent en véritables défis techniques pour les ingénieurs.
Le satellite, d'une masse de deux tonnes, doit être positionné pour effectuer correctement ses mesures au voisinage du point de Lagrange L2, à 1,5 millions de km de la Terre, dans la direction opposée au Soleil.
Trois exigences majeures déterminent les choix de conception du satellite :
- Détecter toutes les étoiles jusqu’à la magnitude 20.
- Assurer la stabilité de l’angle de base.
- Assurer la stabilité de pointage du satellite.
Pour y parvenir, 7 années de développement ont été nécessaires à un consortium industriel de plus de 50 sociétés européennes et américaines, sous la Maîtrise d’œuvre d’Astrium à Toulouse, pour mettre au point les instruments les plus sophistiqués jamais développés en Europe.
Vincent Poinsignon présente la charge utile de Gaia, le plus grand instrument en Sic
jamais réalisé. Crédit image : Gédéon
Avoir un tore : les bonnes raisons
Quelques chiffres et ordres de grandeurs résument bien les prouesses qui ont été réalisés :
- Le plus grand instrument optique réalisé en Carbure de Silicium.
- La stabilité optique de 10 µsecondes d’arc sur la période de rotation du satellite (6 heures) correspond à un déplacement de 1 angstroem sur le bord des miroirs primaires. C’est une stabilité 2000 fois plus grande que celle des satellites d’observation de la Terre.
- L’alignement optique des télescopes et du plan focal est effectué à quelques microns près.
- Gaia embarque 2 horloges atomiques pour séquencer les opérations bord avec une précision meilleure que 15 nanosecondes. Les mêmes horloges sont embarquées sur les satellites Galileo.
- La stabilité thermique du banc optique est de l’ordre de quelques millionièmes de °C.
- Le plan focal, avec son milliard de pixels est refroidi à -113°C ± 1°C.
Les températures à bord de Gaia : grand écart et stabilité extrème. Crédit image : Gédéon
Toute la lumière sur les magnitudes élevées
Jackie Jouan, un ancien d’Astrium, qui connaît bien les missions Hipparcos et Gaia, assistait à la conférence. Il avait également écrit un texte très clair qui présente la filiation entre Hipparcos et Gaia. Il m’a autorisé à le reprendre dans cet article. J’utilise des guillemets : il est difficile d’être plus clair et pédagogique sur un sujet aussi technique…
D’hipparcos à Gaia : saut technologique pour le grand écart
« On ne peut présenter le programme Gaïa sans le replacer dans son contexte historique : le programme Gaïa existe grâce à l’immense succès de la mission Hipparcos dans les années 90. Le satellite Hipparcos, y compris l’instrument fût conçu et réalisé lui aussi par… Astrium, encore Matra Espace à l’époque de sa genèse (1981).
Les astronomes ont eu besoin de tout temps de connaître la direction des étoiles pour les observer mais aussi leur distance afin d’en déduire leur comportement physique dans l’environnement galactique. Seule la mesure de la parallaxe d’une étoile permet d’acquérir ces données de manière fiable.
Gaïa permettra d’obtenir ces deux paramètres fondamentaux pour un milliard d’étoiles de la Voie Lactée durant les cinq années d’observation prévues. Cette mission principale sera complétée par d’autres observations : position et vitesse d’astéroïdes, identification de comètes, d’étoiles doubles (un des grands succès d’HIPPARCOS), ainsi que de nouvelles planètes.
Mais comment a-t-on pu passer d’une mission Hipparcos, considérée comme infaisable par certains à la fin des années 70, à une mission Gaïa 200 fois plus exigeante en précision de mesure angulaire, destinée à l’observation de dix mille fois plus d’étoiles et mesurant d’autres paramètres fondamentaux tels que brillance, température, composition et masse de nombreuses étoiles."
Comparaison entre les objectifs et les performances des missions Hipparcos et GaIa.
Crédit image : Gédéon
"Le principe d’observation développé pour Hipparcos a été repris : la direction de chaque étoile observée est associée à la direction par couple d’un grand nombre d’autres étoiles distantes angulairement d’environ 106.5 degrés, angle de base qui sépare les axes optiques des deux télescopes de la charge utile. La précision de mesure finale est obtenue par l’analyse de la position de l’image de chaque couple d’étoiles sur une gigantesque matrice de détecteurs CCD (un milliard de pixels couvrant 0.38 m² !) complétée par un traitement mathématique de toutes ces mesures permettant de diminuer progressivement l’incertitude et d’obtenir la précision angulaire finale de 10 microarcsecondes exigées par les astronomes.
Apparaissent immédiatement les deux contraintes essentielles de conception : une stabilité thermo mécanique très élevée de l’instrument associée à une stabilité de pointage quasi parfaite pendant la période d’observation. Un vrai challenge si on ajoute que c’est la rotation du satellite qui assure le déplacement ultra précis de l’image de l’étoile le long d’une barrette CCD !
L’obtention de telles performances est en grande partie le fruit de développements technologiques conduits souvent conjointement par l’ESA et Matra Marconi Space (NDLR : Astrium encore pour quelques jours) dans les années 90. La maitrise de la technologie du SiC (Carbure de Silicium), tant pour la réalisation de pièces de structure que de miroirs a été déterminante et a permis de concevoir un instrument intégralement réalisé dans ce matériau.
Il faut également mentionner les techniques de polissage ionique aboutissant à la réalisation de miroirs asphériques de qualité astronomique. Les travaux de développement des détecteurs à transfert de charges (menés sur contrat ESA chez EELV en Angleterre) ont été déterminants pour la conception du plan focal. A ces développements technologiques essentiels, il convient d’ajouter les choix techniques systèmes : prise en compte des données de l’instrument dans la boucle de pilotage du satellite, contrôle thermique passif pour l’ensemble satellite, l’élimination de toute source susceptible de perturber la stabilité. »
Cette synthèse vous paraît claire ? Une explication aussi lumineuse est même étonnante quand on parle de magnitude 20. Merci Jackie !
Big data : réussir avec des mégaflops
Un milliard d’étoiles, un milliards de pixels… Que va devenir l’impressionnant volume de mesures collectées par Gaia pendant la durée de la mission, entre 2014 et 2019 ? Il va falloir les traiter…
Gaia transmettra mille millions de millions de bytes tout au long de sa durée de vie. C’est plus d’un million de CD, 223000 DVD ou encore 2000 ans de musique….
Ce n’est pas seulement la quantité de données mais aussi la quantité de traitements qui justifie qu’on parle dans ce cas de « Big data ».
Véronique Valette (CNES) présente les challenges du traitement des données Gaia.
Crédit image : Gédéon
Du cœur à l’ouvrage : la technologie, c’est de l’Hadoop !
L'énorme puissance de calcul pour relever ce challenge est estimée à 6000 GFlops/sec (6000 milliards d'opérations par seconde), soit 6 teraflops.
Un des centres de traitement principaux des données du satellite est installé au CNES, à Toulouse. A la fin de la mission, il comportera 6000 cœurs de calcul.
L'architecture du système de traitement des données Gaia au CNES (DPCC).
Crédit image : Gédéon
Pour relever le défi posé par le traitement des données au sol, le CNES a fait développer une architecture informatique, matérielle et logicielle innovante, avec un « framework Java libre » pour faciliter la mise en place d’une infrastructure de calcul distribuée et évolutive : deux chaînes de traitement en début de mission, une dizaine à la fin. Le truc qui change tout : « amener les traitements aux données et non les données aux traitements ». Je vous passe les détails…
1er décollage de Gaïa le 23 août 2013. La sonde Gaïa quitte Toulouse à bord d’un avion-cargo Antonov.
Une belle photographie prise depuis l’aéroport de Blagnac. Visiblement, Gaïa aime les moyens
de transport russes. Crédit image : Vincent Poinsignon.
En savoir plus :
- Sur le site de l’Observatoire de Paris, les pages du GEPI (Galaxies, Etoiles, Physique et Instrumentation), quelques pages pédagogiques (Action Spécifique Gaïa), une page d'actualités de la mission Gaia et les pages perso de Frédéric Arenou.
- Sur le site d’Astrium, une présentation de la mission Gaia, une plaquette en anglais décrivant Gaia et l’organisation industrielle et quelques informations sur les points de Lagrange.
- Sur le site du CNES (Centre National d’Etudes Spatiales), une présentation de la mission Gaia, des informations plus détaillées sur le site des missions scientifiques du CNES et le dossier d’information du CNES sur la mission Gaia.
- Sur le site de l’ESA (Agence spatiale européenne), les pages sur la mission Gaia et le blog pour suivre les préparatifs du lancement.
- « Rêves d’espace », le blog perso d’Isabelle pour suivre la campagne de lancement en Guyane et les denrières nouvelles du lancement.
- Une galerie de photos sur google+ : la conférence organisée par l’A3F sur la mission Gaïa en septembre 2013 à la Cité de l’espace.
- Le site du Groupe régional Midi-Pyrénées de la 3AF.
- Le site de la Cité de l’espace.