Vue panoramique du centre de contrôle ATV-CC pendant les opérations précédant l’amarrage
de l’ATV George Lemaître à l’ISS. Crédit image : Planète Sciences Midi-Pyrénées
Les capteurs de contact latéraux n’ont rien détecté : l’amarrage de l’ATV-5 s’est fait parfaitement dans l’axe et à moins d’un millimètre du centre du mécanisme de docking du module russe Zvezda. Pour fixer les idées, la spécification indique que l’écart doit être inférieur à 10 cm. L’ATV-5 a fait 100 fois mieux !
« Bull’s eye docking »
En plein dans le mille… C’est le titre choisi par l’Agence Spatiale Européenne pour annoncer sur son site Internet la nouvelle : le 12 août 2014, le cinquième et dernier ATV « George Lemaître » s’est parfaitement amarré à la Station Spatiale Internationale.
J’ai eu la chance d’assister à cette opération depuis le centre de contrôle ATV-CC au CNES Toulouse. Je remercie vivement l’équipe projet et la direction du CST de m’avoir invité à cet évènement. Le fait que le CNES prenne la peine d’inviter des représentants de l’association Planète Sciences montre l’importance que l’agence spatiale française accorde à la diffusion de la culture scientifique et technique, en particulier en direction des jeunes et des enseignants.
Parmi les VIP, il y avait notamment Jean-Yves Le Gall, le Président du CNES, Marc Pircher, le directeur du CST, Marc Chappuis, le Secrétaire Général pour les Affaires Régional (SGAR) de Midi-Pyrénées, Jean-Jacques Favier, spationaute français (mission STS-78) et actuellement président de la société Blue Planet, Thomas Reiter, Directeur des vols habités à l’ESA ou Jean-Baptiste Desbois, directeur de la Cité de l’espace.
Les opérations étaient commentées par Lionel Baize, le premier chef de projet de l’ATV-CC. Patrice Benarroche, chef des opérations pour le CNES, supervisait les operations d’amarrage dans la salle de contrôle.
La vidéo en débat : on va s'amarrer
Avant de présenter le centre de contrôle en pleine action, quelques explications au sujet du principal écran présenté au public pendant les opérations de rendez-vous : une caméra sur le module Zvezda qui filme l’approche de l’ATV ou des vaisseaux Soyouz qui s’y amarrent.
C’est aussi l’image qui les cosmonautes à bord de l’ISS utilisent pour surveiller l’approche et, en cas d’anomalie, déclencher un manœuvre d’évitement (« Abort » ou CAM).
Image prise à bord de l’ISS pendant les opérations de docking de l’ATV George Lemaître.
Sur l’écran de contrôle, l'astronaute allemand Alexander Gerst surveille le bon déroulement des
opérations et peut si nécessaire annuler l’opération. Crédit image : Oleg Artemyev
Dans l’image de la caméra sont incrustées des informations qui permettent de bien suivre la progression des opérations si on sait les décrypter…
L’image affichée à l’écran correspond à la situation à 13h26’30’ UTC’, 3 minutes environ avant l’amarrage de l’ATV. Elle montre la partie avant de l’ATV. En bas à gauche, on voit le mécanisme de docking proprement dite, le système russe que les européens ont installé sur l’ATV. Réutiliser ce qui marche : une bonne idée dans le spatial ! La partie. Sur la gauche de ce mécanisme, les trois optiques des caméras de l’expérience LIRIS qui n’existait pas sur les quatre premiers ATV.
Légèrement au-dessus du centre de l’écran, dans un carré noir, un cercle en pontillés blanc avec une croix centrale. C’est un dispositif très important : une mire d’alignement. Elle n’est pas plate : la croix est dessinée au bout d’un petit mât à l’avant du plan du cercle. Si l’ATV n’arrive pas dans l’axe de visée de la caméra, la croix se décale par rapport au centre du cercle. On détecte ainsi visuellement les erreurs d’alignement de l’axe de l'ATV. Simple et de bon goût, comme pas mal de dispositifs imaginés par les russes. Ici, l’ATV est parfaitement aligné.
Exemple d’écran utilisé pour surveillé le bon déroulement du rendez-vous entre l’ATV et l’ISS.
A 13h26’30’’ UTC, l’ATV George Lemaître est à 11 mètres du port d’amarrage du module Zvezda.
C’est le début de la phase FA2 pour « Final Approach 2 ». L’ATV vient de quitter le point d’attente S41.
Dans 3 minutes, il s’amarrera à l’ISS. Crédit image : Planète Sciences Midi-Pyrénées
L’ATV s’incruste chez Zvezda
Et les incrustations ?
- En haut à droite s'affiche l’heure courante en temps universel coordonné. Ici 13h26’30’’.
- En haut au milieu de l’écran, « PCE DUPL ACTIVE 2 » indique que la liaison radio de proximité (Proxlink) entre l’ATV et la Station Spatiale Internationale est établie, normalement à partir du point S0, lorsque l’ATV est à 30 km derrière l’ISS et 5km en dessous de son orbite.
- Sur la gauche de l’écran, une série d’indicateurs d’état de l’ATV ou du port de docking :
- VM_FA_2 et FA_2 : le mode de fonctionnement de l’ATV (ici FA_2 signifie Final Approach, 2ème phase)
- MSU READYAUTO : MSU, c’est l’abréviation de Monitoring Safety Unit, le système de surveillance et de sécurité de l’ATV, qui peut, cas de problème, déclencher une manœuvre anti-collision (Collision Avoidance Manœuvre ou CAM). C'est l'un des rares logiciels de classe A, le standard de développement le plus exigeant de l’ESA développé par l'industrie spatiale en Europe.
- RDS READY : RDS signifie « Russian Docking System ». Le port d’amarrage du module Zvezda. Il est prêt, ça tombe bien !
- En bas à gauche, les informations sur l’attitude (P0 et R0) et, au-dessus de l’indicateur « NO_FAILURE », la distance (rho) et la vitesse (phi) de l’ATV. Au moment où j’ai photographié cet écran, l’ATV est à une distance de 11,1 mètres de l’ISS, selon les mesures transmises par l’ATV lui-même.
Les plus KURZ ne sont pas toujours les meilleures
A droite, sous l’indicateur « KURS », les mêmes informations (distance et vitesse) mesurées par le radar KURS de l’ISS. L’information de distance est assez différente. La mesure transmise par L’ATV est la plus précise.
Dans le centre de contrôle, un beau travail d’équipe et une organisation rodée
Revenons à la salle de contrôle.
Un autre écran permet aux visiteurs de suivre l’enchaînement des étapes du rendez-vous et le passage par les différents points d’attente (S1 à 18 km, S2 à 3500 mètres, S3 à 250 mètres, S4 à 19 mètres et S41 à 11 mètres toujours derrière l’ISS).
Les différentes conditions à remplir pour poursuivre la séquence sont matérialisées par des feux qui passent progressivement au vert. En voici deux exemples :
Les écrans d’information pour les visiteurs de l’ATV-CC. Les voyants qui passent au vert montrent
la progression des opérations, ici à -18 mètres et – 11 mètres. Notez qu’au point S3 la condition
d’alignement (S3 SLEW) était déjà remplie, ce qui explique la couleur du feu. Une amélioration du
logiciel à prévoir ? Crédit image : Planète Sciences Midi-Pyrénées
Un centre de contrôle pour un véhicule automatique ?
ATV : Automatic Transfer Vehicle. ATV-CC : centre de contrôle de l’ATV. Cela semble paradoxal mais l’explication est assez simple : contrairement à d’autres véhicules cargo comme l’HTV japonais ou le Cygnus américain, l’ATV européen a été conçu pour réaliser un rendez-vous et un amarrage à l’ISS de manière totalement automatique, sans pilotage à distance et sans utiliser de senseurs de l’ISS (c’est le cas avec les véhicules de ravitaillement Progress).
Par contre, comme il s’agit de la Station Spatiale Internationale, les contraintes de sécurité drastiques des vols habités s’appliquent. Le bon déroulement de la mission et le fonctionnement de l’ATV sont contrôlés en permanence et un certain nombre de « check points » sont prévus : l’ATV ne peut poursuivre sa mission de manière autonome que si tous les feux sont au vert.
Automatique sous contrôle : 24/24 et 7/7 pour les anges gardiens
Le terme « centre de contrôle », et non « centre de pilotage » est donc bien choisi : c’est là que sont surveillés tous les systèmes de l’ATV et que toutes les mesures transmises sont analysées. Si tout se passe bien, comme le 12 août dernier, les télécommandes envoyées depuis le centre de contrôle autorisent l’ATV à passer à l’étape suivante qu’il exécute de manière autonome. Si nécessaire, le directeur de vol (Flight Director), qui a accès à tous les paramètres transmis par l’ATV, peut décider d’interrompre la manœuvre de rendez-vous, même si les astronautes qui surveillent également la phase finale du docking ne détectent pas d’anomalie.
Quatre scénarios préprogrammés peuvent être déclenchés en cas d’anomalie : HOLD ou RETREAT (l’ATV s’arrête ou on revient à la position d’attente précédente), ESCAPE (manœuvre pilotée par le logiciel de bord de l’ATV) ou ABORT (similaire à ESCAPE mais avec un système de sécurité quand le système nominal est défaillant). Les deux derniers scénarios sont déclenchés quand l’ATV est proche de l’ISS (moins de 20 mètres). Dans ce cas, l’ATV reçoit une impulsion de freinage de 5 m/s qui l’éloigne de l’ISS et le fait passer en dessous.
En dehors des phases critiques de la mission, une activité importante est l’analyse de la mission depuis le lancement et l’injection en orbite jusqu’à la rentrée dans l’atmosphère en passant par les opérations de phasage, le support propulsif pour rehausser l’orbite de l’IS, le désamarrage et la rentrée contrôlée dans l’atmosphère. Pour chacune de ces étapes, les équipes préparent et optimisent les manœuvres et les opérations en vérifiant qu’elles rentrent dans le domaine de fonctionnement de l’ATV (en tenant compte de son état réel), qu’elles sont réalisables dans les conditions d’environnement (par exemple éblouissement des capteurs par le soleil), qu’elles respectent les contraintes de sécurité de l’ISS et cherchent à optimiser la consommation d’ergols. Le savoir-faire du CNES en mécanique spatiale est un atout important.
Quand Pierre de Fermat veille sur George Lemaître
Le centre de contrôle principal de l’ATV est installé au Centre Spatial de Toulouse (CST), le plus grand site du CNES, avec, depuis la coopération avec les russes sur la station MIR, une grande expérience des opérations et des vols habités.
Pendant une mission, il fonctionne 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Ici , on ne prend pas la tangente et la descente n'est pas infinie.
L'ATV-CC est un gros système informatique avec des centaines d’ordinateurs et d’écrans. Le centre de contrôle est redondé avec deux chaînes informatiques fonctionnant en parallèle et un troisième centre permet de développer et tester les nouvelles versions. 180 terminaux sont actifs pendant la phase de rendez-vous.
C’est surtout une organisation opérationnelle bien rodée avec des dizaines de personnes qui ont répété à maintes reprises tous les scénarios en simulant toutes les pannes possibles. Chacun a un rôle bien défini.
La première photo de cet article est une vue panoramique de l’ATV-CC installée dans le bâtiment Pierre de Fermat. Elle donne une idée de l’organisation :
- A gauche, la salle de mécanique spatiale (« flight dynamics sytem »), avec 15 personnes qui se relaient pour le calcul des corrections d’orbites et les manœuvres.
- A droite, la salle des experts du véhicule ATV (« Engineering Support Room ») où sont présentes les équipes de l’ESA et d’Airbus Defence and Space qui ont conçu l’ATV et le connaissent dans ses moindres détails. Thales Alenia Space a réalisé le module de service pressurisé.
- Au centre, la salle de contrôle principale avec les équipes opérationnelle. Les rangées successives et les positions dans les rangées correspondent à différentes fonctions.
Les opérations sont coordonnées avec le centre de contrôle de Moscou (TSOUP) et celui de Houston (avec un centre de secours à Huntsville en Alabama).
Les équipes du centre du contrôle ATV-CC au travail pendant la phase de rendez-vous.
Les différentes fonctions sont identifiées par les panneaux posés au-dessus des consoles.
Crédit image : Planète Sciences Midi-Pyrénées
Faire ami-ami avec les experts
Trois équipes opérationnelles conduisent donc les opérations à l’ATV-CC durant toutes les phases de la mission:
- L’Operations Management Team (OMT), équipe ESA, qui a la responsabilité de la mission ATV et de la définition des opérations en cas d’anomalies non prévues. Elle est aussi responsable de l’interface avec l’IMMT (ISS mission management team).
- L’ATV-CC Flight Control Team (FCT), l'équipe CNES qui est responsable de l’exécution des opérations définies prévues dans le plan de vol nominal :
- La FCT est placée sous l’autorité du « Flight Director ATV ». Le Flight Director (FD) a l’autorité opérationnelle pour tout ce qui concerne le temps réel, dirige la conduite des opérations, fournit les directives aux différentes équipes du CNES, et coordonne les opérations avec les FD des Centres de Contrôle Mission de l’ISS de Moscou et de Houston.
- L’ « ATV Interface Officer » (AIO) est l’interlocuteur des Centres de Contrôle Mission de l’ISS de Moscou ou de Houston, et de leurs représentants à l’ATV-CC, pour tout ce qui concerne l’organisation opérationnelle entre les différents centres.
- Le Responsable Opérations (Operations Manager) est chargé d’organiser et diriger le déroulement de l’exécution des opérations en interne ATV-CC selon le Plan de Vol et du Plan Journalier Détaillé des Opérations ISS. Il est en relation avec les équipes planning de l’ISS pour les opérations ATV.
- L’équipe Véhicule commande et surveille l’ATV. Elle est responsable du suivi de l’état du véhicule et de toutes les actions associée. Elle calcule et gère les ressources de l’ATV (carburant, puissance, etc.)
- L’équipe de Mécanique Spatiale est responsable de toutes les activités relatives à la mécanique de vol : calcul des paramètres d’orbite et des manœuvres de phasage avec l’ISS et de désorbitation, la prédiction des trajectoires, la surveillance de la navigation lors du rendez-vous et du départ, et les prédictions opérationnelles.
- L’équipe Sol (GC) gère la totalité des moyens opérationnels de l’ATV-CC, et garantit leur cohérence. Elle est en charge du matériel informatique, des applications logicielles, de l’environnement du traitement de données et de tous les aspects communication et réseau avec les entités externes.
- L’Engineering Support Team (EST), qui est composée d’experts du véhicule ATV : son rôle étant d’assister la FCT pendant les opérations avec un suivi détaillé des sous-systèmes de l’ATV. Elle peut proposer des actions spécifiques pour améliorer ou sécuriser les opérations en fonction de l’état du vehicule, des investigations approfondies de certains sous-systèmes et participle à la résolution d’anomalies.
L’organisation opérationnelle du centre de contrôle de l’ATV. Crédit image : CNES
Travail d’équipe
Le bon fonctionnement du centre de contrôle dépend beaucoup des bonnes relations au sein des équipes. Cet esprit d’équipe s’est construit au fil des opérations et des répétitions.
Vous verrez sur les photos que les opérateurs portent des chemises avec un ou plusieurs écussons ATV. Le nombre d’écussons correspond aux nombre de missions réalisées. Peu d’opérateurs présents dans la salle de contrôle le 12 août portaient 4 écussons. Cela signifie que les équipes se sont largement renouvelées entre la mission Jules Verne en 2008 et la mission George Lemaître en 2014.
La formation est donc également un volet important des activités du centre de contrôle. C’est l’ATAC, l’ATV Training Centre.
Les dernières étapes du rendez-vous, avant le verrouillage définitif du mécanisme de docking et la vérification des connexions (électriques et fluides) entre l’ATV et l’ISS. Le cargo européen devient temporairement un module de l’ISS. Crédit image : Planète Sciences Midi-Pyrénées
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur l’ATV George Lemaître :
- Les autres articles dans la catégorie satellites et lancements.
- Sur le site du CNES, les pages sur l’ATV-CC, le dossier sur le centre de contrôle de l’ATV mis à jour pour la mission George Lemaître et une maquette en papier de l’ATV proposée par l’ESA.
- Sur le site de l'ESA, les pages sur l'ATV et le blog de l'ATV George Lemaître.
- De belles photographies du rendez-vous de l’ATV-5 prises par le cosmonaute Oleg Artemyev à bord de l’ISS.
- Sur Google+, une galerie de photos prises dans l'ATV-CC pendant les opérations de rendez-vous.