Décollage de la navette Columbia pour la mission STS-78. A bord, le module européen Spacelab
et 7 astronautes dont le français Jean-Jacques Favier. Crédit image : NASA
Le 15 juin 2021, l’Association des Amis de la Cité de l'espace a remis son Grand Prix 2020 à l’astronaute français Jean-Jacques Favier à l’occasion d’une des premières soirées organisées en public après le confinement.
25 ans presque jour pour jour après la mission STS-78, c’est l’occasion de revenir sur la carrière de cet astronaute atypique, le premier scientifique à voler avec ses propres expériences, qui a également consacré beaucoup d’énergie à l’enseignement et à la sensibilisation des jeunes au spatial et aux sciences et techniques.
Cela mérite un petit portrait sur le blog Un autre regard sur la Terre…
Un premier anniversaire : les 25 ans de la mission STS-78
Aujourd’hui, pratiquement jour pour jour, c’est le 25ème anniversaire du lancement de la mission STS-78 : la navette Columbia a décollé le 20 juin 1996 depuis le Kennedy Space Centre.
Jean-Jacques Favier fait partie des 7 membres de l’équipage en tant que spécialiste charge utile. Columbia emporte dans sa soute le laboratoire européen Spacelab pour une mission en sciences de la vie et d’expérience en microgravité.
Le décollage se passe presque nominalement. Presque…
Après la récupération des boosters à poudre, la NASA constatera qu’un des joints de liaison entre les segments du propulseur était endommagé, un dommage similaire à celui qui avait causé la catastrophe de Challenger en 1986. Le vol s’est finalement bien passé mais cette anomalie a entraîné un retard de la mission STS-79.
Déclarer sa flamme sans bougie
Toujours du côté des flammes et de la combustion, pour la petite histoire, juste avant l’ouverture des jeux d’Atlanta, la navette Columbia emportait aussi, pour la première fois, la flamme olympique (éteinte) : elle a fait cette année-là un record de distance et d’altitude…
Avant cette mission, Jean-Jacques Favier a été « doublure » de la spécialiste de charge utile Chiaki Mukai pour la mission STS-65 / IML-2 (International Microgravity Laboratory) également sur la navette Columbia.
Un record d’altitude et de distance pour la flamme olympique : quelques jours avant l’ouverture des jeux d’Atlanta, elle embarque à bord de la navette Columbia. C’est une première : l’expérience sera renouvelée en 2013 avant les jeux olympiques d’hiver de Sotchi en Russie. Crédit image : NASA
A Hunstville (Marshall Space Flight Center), il a parfaitement joué le rôle de Coordinateur Interface Equipage (CIC/APS) et sa performance a certainement contribué à son affectation par la NASA comme membre de l’équipage de la mission STS-78.
L’équipage de la mission STS-78 : Terence T. Henricks (commandant), Kevin R. Kregel (pilote),
Susan J. Helms, Richard M. Linnehan et Charles E. Brady, Jr. (spécialistes mission),
Robert Brent Thirsk et Jean-Jacques Favier (spécialiste charge utile). Crédit image : NASA
Une sélection pas naturelle : la persévérance d’un candidat astronaute
Pour les plus jeunes qui veulent devenir astronaute (l’appel à candidature de l’ESA qui s’est terminé le 18 juin a eu énormément de succès avec plus de 22589 candidats dont 5419 femmes), sachez que la sélection n’est pas une garantie de voler un jour.
Jean-Jacques Favier est sélectionné par le CNES en septembre 85. 4 mois avant l’accident de la navette Challenger… Une catastrophe qui a de lourdes conséquences sur le programme Space Shuttle et sur le programme européen Hermès (abandonné en 1992). En France, c’est aussi le moment où le CNES se mobiliser pour envoyer une femme française dans l’espace.
Bref, ni la période idéale ni le meilleur profil pour gagner un ticket pour une mission spatiale...
Les astronautes français sélectionnés en 1985. Photo souvenir devant le siège du CNES
à Paris en 1985. De gauche à droite : Jean-François Clervoy, Claudie André-Deshayes, Jean-Jacques Favier,
Jean-Pierre Haigneré, Frédéric Patat, Michel Tognini et Michel Viso. Ils n'ont pas changé...
Crédit image : CNES / Traphot
Jean-Jacques Favier n’est pas pilote. Avec ses 193 cm, il est trop grand pour le vaisseau Soyouz.
C’est d’abord la ténacité, la motivation et la force de conviction de Jean-Jacques Favier. Son voyage dans l’espace a commencé par une année sabbatique aux Etats-Unis. Pas exactement pour des vacances...
Il rejoint la NASA comme chercheur détaché du CEA. C’est là qu’il soumettra une nouvelle candidature, directement auprès de la NASA, et sera sélectionné en 1992. Ténacité et motivation, n’est-ce pas ! Et au final, un séjour dans l’espace qui n’a pas coûté très cher au contribuable français…
Un autre anniversaire : le 13 avril…
Né en 1949, Jean-Jacques fête ses 12 ans le lendemain du vol historique de Youri Gagarine.
Le cadeau de ses parents : un exemple du roman de Jules Verne « Le tour du monde en 80 jours » avec une dédicace disant : « Tu feras partie de la génération qui le fera en 80 minutes ».
Cela doit aider à susciter ou confirmer une passion et une vocation.
Finalement, il a presque atteint cet objectif : à bord de Columbia, il fera le tour de la Terre en 88 minutes… Le retour sur Terre de Jean-Jacques Favier et des coéquipiers se déroulera sans encombre. Ce ne sera pas le cas sept ans plus tard pour Columbia, avec le second accident d'une navette spatiale au moment de la rentrée dans l'atmosphère de la mission STS-107 en février 2003. Un nouveau drame qui signera le début de la fin du programme Space Shuttle.
Un cadeau et une dédicace prémonitoire : comme Gagarine, faire le tour de la Terre en 80 minutes...
Fan de métal : la physique de l’emploi
En fait, la passion de Jean-Jacques Favier, c’est d’abord le métal.
Pas la musique…
Il est physicien. 6ème astronaute français, c’est surtout le premier scientifique et le premier physicien à faire voler ses expériences en orbite puis à les accompagner à bord… Un astronaute français atypique, avec un patch du CEA à côté de celui du CNES sur la combinaison de vol.
Ingénieur en électrométallurgie à l'Institut national polytechnique de Grenoble en 1971, il obtient un DEA de physique des solides. Il a fait deux thèses, à l’Ecole des Mines de Paris (1976) puis en métallurgie physique à l’Université de Grenoble (1977). Il est alors chercheur au Centre de Grenoble du CEA.
Sa deuxième thèse est notamment à l'origine du programme franco-américain Mephisto (Matériel pour l'étude des phénomènes intéressant la solidification sur Terre et sur orbite) d'étude de la solidification d'alliages en microgravité (un modèle est exposé dans le hall du CADMOS à Toulouse, un autre au musée de l’air et de l’espace au Bourget).
Finalement, peut-être que pour la musique...
Modèle de vol de l’instrument MEPHISTO au CNES à Toulouse en 1992 avant son départ vers les Etats-Unis
pour être intégré dans la navette spatiale Columbia. Après la mission, Il est revenu en France et
est désormais exposé au musée de l’air et de l’espace au Bourget. Notez le logo CEA sur l'épaule
de de la combinaison de vol de Jean-Jacques Favier. Crédit image : CNES et NASA
Jean-Jacques Favier est auteur ou coauteur de plus de 160 publications scientifiques, certaines très récentes exploitant les résultats obtenus à bord du Space Shuttle.
Les sciences, les technologies, l’innovation sont toujours restées au cœur de l’activité professionnelle de Jean-Jacques, en tant que Directeur Adjoint des Technologies Spatiales puis Directeur Adjoint de la Stratégie et de la Prospective, ou comme cofondateur de Blue Planet.
Enseigner et transmettre : my very eager mother just served us nine pizzas
Quand j’ai préparé la soirée de remise de prix avec Jean-Jacques Favier, je lui ai demandé pourquoi il avait consacré autant d’énergie à l’enseignement et aux actions de sensibilisation dans les classes. Il m’a répondu : « J’ai pu voler grâce à l’argent public. Cela me paraît un juste retour de contribuer à susciter des vocations dans le domaine scientifique et technique ».
Jean-Jacques Favier a fait des centaines d’interventions dans les classes, y compris en maternelle, aux USA et en France. J’ai pu constater que son fils qui a été à l’école aux Etats-Unis se souvient encore de comptines pour aider les enfants à mémoriser le nom et l’ordre des planètes… De quoi donner envie d’importer ces outils éducatifs en France.
Un aperçu des activités d’enseignement et de sensibilisation des jeunes aux activités scientifiques
et techniques de Jean-Jacques Favier. Montage photo : Gédéon
Il a donné des cours à l’ISAE et à l’IMT d’Albi. En 2014, il est devenu professeur à l’International Space University de Strasbourg où il a créé le département de recherche. Il a également parrainé le projet TETR’ISS de l’IUT Paul Sabatier qui a reçu le prix Jeunes des Amis de la Cité de l’espace en 2020. Le monde est petit !
Jean-Jacques Favier a toujours été au rendez-vous à la Cité de l’espace pour rencontrer le public, par exemple très récemment à l’occasion de la journée organisée par l’association des Amis de la Cité de l'espace pour les jeunes des centres de loisirs de la ville de Toulouse en octobre 2020.
Dernier clin d’œil, qui me tient particulièrement à cœur, sur la droite de la photo précédente, la mallette d’expériences pédagogiques conçue par l'ANSTJ (Association Nationale Sciences Techniques Jeunesse, devenue depuis Planète Sciences) et le patch de la mission embarqués par Jean-Jacques Favier à bord de la navette Columbia.
Un hommage de Lionel Suchet, directeur général du CNES
Lionel Suchet participait à une réunion du Conseil de l’ESA qui ne lui a pas permis d’assister à la remise du grand prix des Amis de la Cité de l’espace à Jean-Jacques Favier. Il a envoyé ce message :
« Jean-Jacques a volé en 1996 à l’époque où les équipes du CNES et les médias étaient très occupés par le vol de la première française dans l’Espace…
Une frustration pour moi de ne pas avoir pu mettre assez en avant non seulement la belle mission de Jean-Jacques mais aussi son implication remarquable dans la recherche spatiale : celle sur les matériaux bien sûr, son domaine de prédilection mais aussi sur les sciences du vivant puisqu’il a participé de façon très constructive à nombre d’expériences de physiologie pendant son vol.
Cette implication dans le spatial ne s’est pas démentie par la suite y compris sur des sujets non liés aux vols habités mais toujours très innovants comme le système d’observation proposé par Blue Planet, en de nombreux points précurseur du New Space que nous connaissons aujourd’hui.
Son implication dans l’International Space University montre aussi sa volonté de transmettre cette passion aux jeunes générations et c’est un objectif qui le rapproche de la Cité de l’Espace !
Ce prix des Amis de la Cité est donc pleinement justifié et je regrette une fois de plus de ne pas être plus près de Jean-Jacques à cette occasion. Je le félicite chaleureusement cinq jours en avance pour l’anniversaire des 25 ans de son vol et l’assure de toute mon amitié. »
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur l’homme et la femme dans l’espace et l’histoire de la conquête spatiale.
- Un article sur les 20 ans du CADMOS à la Cité de l'espace.
- Le blog des Amis de la Cité de l’espace.
- Sur la chaîne youtube des Amis de la Cité de l’espace, la vidéo de la soirée de remise des prix du 15 juin (présentation diffusée en salle Imax et son des intervenants).
- Les photos de la soirée de remise des prix du 15 juin 2021.
- Sur le site du CNES, une page sur l’instrument Mephisto.
- Sur le site de la NASA, la biographie résumée (en anglais) de Jean-Jacques Favier.
- Le site de l'International Space University.