Lancement du satellite WorldView-4 par une fusée Atlas V depuis VAFB
le 11 novembre 2016. Crédit image : United Launch Alliance (ULA)
Vendredi 11 novembre 2016, à 18h30 UTC (soit 10:30 AM PST), une fusée Atlas V AV-062 a mis en orbite le satellite WorldView-4 de Digital Globe. Le lancement a été effectué à partir du site SLC-3 de la base Vandenberg (Vandenberg Air Force Base) en Californie. Un vol vers le sud, le long de la côte du Pacifique (azimuth : 185,6°)
Décollage, Mach 1 atteint en 79 secondes, Max-Q 13 secondes plus tard, séparation du premier étage à H0 + 4 min 3,1 sec…
Succès de la mission : Après 19 minutes et 16 secondes de vol, la séparation satellite du lanceur s’est effectuée nominalement et les premiers signaux transmis par le satellite WorldView-4 ont été reçus.
L’orbite temporaire après le lancement est inclinée à 97,96°, avec une altitude comprise entre 610,46 et 628,29 km. L’orbite opérationnelle sera circulaire à 617 km d’altitude.
Bientôt les premières images ?
Atlas et la voute céleste
Atlas ne se contente pas de soutenir la voute céleste : il y place aussi des satellites en orbite autour de la Terre : c’est un lanceur Atlas 5 dans sa configuration V401, la plus petite, avec une coiffe de 4 mètres de diamètre, qui a été utilisée pour cette mission.
Le lanceur est constitué en premier étage d’un booster (CCB ou Common Core Booster) équipé d’un moteur AMROSS RD-180 surmonté d’un étage supérieur Centaur propulsé par un moteur Aerojet Rocketdyne RL10C. Pour la petite histoire, cet exemplaire de la fusée Atlas V devait initialement servir au lancement vers Mars de la mission Insight, reporté en 2018.
Après le lancement réussi de la sonde OSIRIS-Rex à destination de l’astéroïde Bennu, c’était la 9ème mission réalisée par United Launch Alliance en 2016 et le 112ème lancement réussi depuis la création de la société ULA en décembre 2006. Il s’agit rarement de missions commerciales : c’est seulement la dixième. Six ont été effectué il y a plus de 10 ans : Atlas V est surtout utilisé pour des satellites du gouvernement américain. Après WorldView-3 en août 2014, WorldView-4 est le second satellite lance par ULA pour le compte de Digital Globe.
La fusée est partie à l’heure prévue. Le créneau de lancement étant très serré (comme souvent pour les lancements à destination de l’orbite Héliosynchrone), c’est un soulagement pour les équipes de Digital Globe qui attendaient la mise en orbite de WorldView-4 avec impatience : celui-ci était initialement prévu mi-septembre.
Y a pas le feu…
Si, justement, il y avait le feu !
Ce sont des incendies de végétation qui se sont aggravés autour de la base de Vandenberg qui avaient entraîné un report de la tentative de lancement du 16 septembre 2016.
Auparavant, un autre incident mineur avait déjà entraîné un report : une fuite d’hydrogène liquide (LH2) sur un équipement au sol avait formé une boule de glace sur un ombilical. Le remplacement d’une valve « fill and drain » défectueuse avait ensuite pris plus de temps que prévu.
Les pompiers ont eu beaucoup de mal à venir à bout de l’incendie et il a fallu ensuite vérifier que les installations de lancement et la fusée n’avaient pas subi de dommages ou les réparer.
Ces feux ont finalement retardé de deux mois du lancement de WorldView-4.
En septembre, l’instrument SWIR de WorldView-3, en orbite depuis bientôt 3 ans, avait fourni des images dans les bandes infrarouges montrant l’ampleur de l’incendie et son évolution.
L’incendie Canyon Fire à proximité de la base de Vandenberg en Californie.
Images acquises par l’instrument SWIR du satellite WorldView-3 en septembre 2016.
Crédit image : Digital Globe
Le prochain lancement d’ULA est prévu le 19 novembre 2016 depuis Cape Canaveral (SLC-41). La fusée doit mettre en orbite géostationnaire le satellite météorologique GOES-R pour le compte de la NASA.
WorldView-4 : un beau bébé…
WorldView-4 est un satellite d’observation à très haute résolution. Sur son orbite définitive, il produira des images à 31 cm de GSD (Ground Sampling Distance, appelée généralement « résolution ») en mode panchromatique (en gros, les images en noir et blanc). Notez que la résolution se dégrade, quand la direction de visée n'est plus verticale.
Comment souvent, les images multispectrales ont une résolution plus réduite, 1,24 m au nadir.
Pour atteindre cette performance depuis plus de 600 km, il faut un gros télescope avec un miroir de grand diamètre. Pour l’orienter rapidement vers n’importe quel point visible depuis sa position en orbite, le satellite doit être équipé d’une plateforme dite « agile ». Cela nécessite également des équipements performants.
Bref, pas de mystère, très haute résolution = gros miroir + satellite complexe et imposant…
Le satellite WorldView-4 pèse plus de deux tonnes (2087 kilogrammes), l’équivalent d’une grosse voiture. Il est construit par Lockheed Martin à partir de sa plateforme LM-900. L’instrument est fourni par Harris Corporation.
Vue d’artiste du satellite WorldView-4 en orbite. Crédit image : Digital Globe
Lorsqu’il est pointé à la verticale, l’instrument de WorldView-4 couvre un champ de 13,1 km.
Les images panchromatiques couvrent le spectre de 450 à 800 nanomètres. En mode multispectral, il y a quatre bandes : bleue (entre 450 et 510 nm), vert (entre 510 et 580 nm), rouge (entre 655 et 690 nm) et proche infrarouge (entre 780 et 920 nm)
La durée de vie nominale de WorldView-4 est de 7 ans mais Digital Globe espère pouvoir l’exploiter pendant 10 à 12 ans.
Big is beautiful ?
Très haute résolution = gros satellites ?
Digital Globe exploite cet argument jusqu’au bout en communiquant sur le thème « plus c’est gros, plus c’est performant », comme l’illustre l’infographie suivante…
La taille du satellite WorldView-4 comparée à Pléiades et d’autres satellites d’observation.
Infographie publié par Digital Globe
Ce n’est pas faux mais des constructeurs concurrents font un autre choix.
Sans parler des cubesats ou des tous petits satellites, des acteurs du New space comme Terrabella, UrtheCast ou Blacksky Global ciblent le marché de la résolution de 1 mètre à 3 mètres, avec des télescopes plus compacts.
Sur le segment de la très haute résolution, il va être très intéressant de voir quels seront les choix des concurrents de Digital Globe : le prix du kilogramme mis en orbite restant un facteur de coût très important, celui qui réussira à concilier performance et compacité aura un avantage concurrentiel indéniable…
Faux jumeaux
Le nom de baptême WorldView-4 donne l’impression que le nouveau satellite est le frère jumeau de WorldView-3.
C’est loin d’être le cas : en réalité, il n’a pas les mêmes parents !
A l’origine WorldView-4 a été construit par la société GeoEye et baptisé initialement GEoEye-2. Le contrat de fabrication a été confié à Lookheed Martin en mars 2010, il y a plus de 6 ans.
3 ans plus tard, en janvier 2013, quatre mois avant la date de lancement prévue de GeoEye-2, Digital Globe a absorbé la société GeoEye. A cette époque, le lancement de WorldView-3 était programmé l’année suivante.
Famille recomposée
Il n’était pas utile d’avoir les deux satellites mis en orbite à des dates si rapprochées. Digital Globe a donc décidé de « stocker » GeoEye-2 et de le conserver en « spare » en attendant d’en avoir besoin en orbite.
Fin 2015, c’est la croissance du marché de la très haute résolution et la concurrence sur ce marché, notamment pour la défense et le renseignement, qui a amené Digital Globe à reprogrammer le lancement de GeoEye-2 alias WorldView-4 en septembre 2016.
A ce jour, avant la fin de la recette en vol de WorldView-4, Digital Globe a quatre satellites exploités opérationnellement. Le plus ancien, WorldView-1, a été lancé par une fusée Delta II en septembre 2007 et a déjà excédé sa durée de vie. WorldView-2 a été lancé en octobre 2009, également par un lanceur Delta II. WorldView-3 a été lancé en août 2014.
Lancé en septembre 2008 par une fusée Delta II, le satellite GeoEye-1 faisait partie de la dot de la mariée. Il a également dépassé sa durée de vie nominale mais possède encore une quantité d’ergols importante.
Famille nombreuse
En plus de WorldView-4, la charge utile principale, sept cubesats expérimentaux, réalisés dans le cadre du programme « Enterprise » du NRO (National Reconnaissance Office) ont également été mis en orbite avec succès. Ces satellites ne sont pas classifiés :
- AeroCube-8C et AeroCube-8D : deux satellites technologiques (expériences de propulsion électrique, cellules solaires et protection contre les rayonnements avec des nanocubes de carbone.
- CELTEE, un satellite technologique (transpondeur) de 2,2 kg développé par l’Air Force Research Laboratory.
- Opticube 4, construit par l’Université d’état polytechnique de Californie (Cal Poly), destiné à la calibration de senseurs pour le détection des débris spatiaux.
- Promotheus 2A et 2B : deux satellites expérimentaux, destinés à l’étude de liaisons bord-sol.
- RAVAN (Radiometer Assessment Using Vertically Aligned Nanotubes), construit par Blue Canyon Technologies pour le laboratoire de physique appliqué de l’université John Hopkins.
En savoir plus :
- Les autres articles dans la catégorie « satellites et lancements »
- Un article sur les premières images de WorldView-3.
- Le lancement de WorldView-3 vu par le satellite WorldView-1.