Dernière ligne (presque) droite avant de tourner autour de la Terre
Baïkonour, jeudi 17 novembre. Final countdown ! Le grand jour est arrivé pour Thomas Pesquet, Oleg Novitsky, Peggy Whitson. Une fusée Soyouz a mis en orbite le vaisseau Soyouz MS-03 qui les transporte actuellement vers la Station Spatiale Internationale. Ils devraient la rejoindre samedi 19 novembre vers 23 heures (heure française).
Poxima, c'est parti ! Décollage de la fusée Soyouz emportant Thomas Pesquet vers l'ISS.
Crédit image : NASA
Gagarin’s start : n°1 pour le n°10
C’est le pas de tir n°1 qui a été utilisé. Un endroit chargé d’histoire et d’émotion… N°1 ? Comme son nom l’indique, c’est également ici qu’ont décollé le satellite Spoutnik en octobre 1957 et Youri Gagarine, le premier homme à aller dans l’espace, en avril 1957.
Comme d’habitude, le lanceur Soyouz a rejoint le pas tir en train, en position allongée, moteurs à l’avant avant d’être dressé sur le pas de tir. "Comme d'habitude" est-on tenté de dire pour la fusée Soyouz, le décollage s'est parfaitement déroulé. La fusée a quitté le sol à 2h20 (heure locale) soit 21h20 à Paris (20h20 UTC).
Dernière autoroute avant la station
La mission s’appelle Proxima, en référence à Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du Soleil.
L’équipage part un peu moins loin, à moins de 400 kilomètres d’altitude. Leur destination est l’ISS, la Station Spatiale Internationale. Les trois derniers voyageurs de l’espace rejoignent l’astronaute américain Shane Kimbrough et les cosmonautes russes Sergueï Ryjikov et Andreï Borissenko, arrivés le 19 octobre, et y séjourneront 6 mois, de novembre 2016 à mai 2017.
Derniers échanges avec les proches et les médias et dernière sensations de la pesanteur terrestre.
Crédit image : NASA
Coutumes pas très orthodoxes…
Les traditions et les symboles sont respectés : avant le décollage, Thomas Pesquet et ses compagnons de voyage ont effectué les mêmes gestes que leurs prédécesseurs... Planter un arbre, regarder le film soviétique Le Soleil blanc du désert (1970), écrire son nom sur la porte de sa chambre à « l’hôtel des cosmonautes ». Et, comme Gagarine, uriner sur les roues du bus qui les transportera au pied de la fusée Soyouz. Le diable est dans les détails : par précaution, un pope a béni la fusée et le vaisseau Soyouz.
Le der de dix : européen ou français ?
Astronaute, Cosmonautes ou Spationaute ? Comme on veut… Né en février 1978, Thomas Pesquet est français, donc spationaute, mais il est rattaché corps européen des astronautes (EAC) qui fait partie de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) qui organise cette mission. Cosmonaute, enfin, parce que c’est une fusée Soyouz qui l’emmène dans l’espace...
Combien y a-t-il eu d’astronautes français ? Dix depuis le 17 novembre… Les neuf précédents ont volé à l’occasion de 17 missions spatiales à bord des stations Saliout et MIR, de la navette spatiale américaine ou de la station spatiale internationale (ISS).
Thomas Pesquet avec Jean-Loup Chrétien. Le 10ème et le premier français à partir dans l’espace.
La nouvelle génération et le pionnier. Photographie prise à la Cité de l’espace en juin 2012
pendant le Toulouse Space Show. Crédit image : Gédéon
Le premier vol est celui de Jean-Loup Chrétien, nommé PVH pour « Premier vol Habité », en juin 1982. Ce qui confirme que les ingénieurs manquent parfois d’imagination pour baptiser les « premières ». Souvenez-vous du premier satellite français lancé le 26 novembre 1965. D’abord baptisé A1 (facile à retenir !), on l’a rapidement renommé Astérix. Proxima, c’est mieux !
Voici la liste de 10 veinards qui ont traversé la ligne de Karman, la frontière entre la Terre et l’espace :
- Jean-Loup Chrétien, le premier à voler… Mission PVH en juin 1982, mission Aragatz en novembre 1988, mission Atlantis STS-86 en septembre 1997 : il a séjourné à bord de trois vaisseaux spatiaux (Saliout, MIR et le space shuttle), pour un total de 43 jours en orbite.
- Patrick Baudry : il effectue un séjour de 7 jours en orbite pendant la mission Discovery STS-51-G en juin 1985.
- Michel Tognini a passé 18 jours dans l’espace : à bord de la station MIR pour la mission Antares en juillet 1992 et à bord de la navette Columbia STS-93 en juillet 1999.
- Jean-Pierre Haigneré détient, jusqu'à présent, la record de durée de séjour cumulé français dans l’espace : 209 jours pendant les missions Altaïr en juillet 93 et la mission Perseus en mai 1998, deux fois à bord de la station MIR.
- Jean-François Clervoy est le plus jeune à avoir volé : il avait 35 ans au moment de sa première mission à bord de la navette Atlantis STS-66 en novembre 1994. Avec la mission Atlantis STS-84 en mai 1997 et la mission Discovery STS-103 en décembre 1999, il a passé au total 28 jours : avec la navette, les séjours sont courts...
- Jean-Jacques Favier effectue une mission de 16 jours à bord de la navette Columbia (mission STS-78) en juin 1996.
- Claudie Haigneré : première femme française à aller dans l’espace. Elle a effectué deux missions : Cassiopée à bord de la station MIR en août 1996 et Andromède à bord de l’ISS en octobre 2001.
- Léopold Eyharts effectue deux missions, à dix ans d’intervalle, à bord de MIR (Pégase en janvier 1998) et de l’ISS (mission Atlantis en février 2008) pour une durée cumulée de 68 jours.
- Philippe Perrin a passé 13 jours à bord de la navette américaine Endeavour (mission STS-111 en juin 2002).
- Thomas Pesquet : ingénieur de l’ISAE à Toulouse, à 38 ans, c’est le plus jeune membre du corps des astronautes européens (EAC). Et certainement le plus branché (@Thom_astro sur twitter). Sélectionné en mai 2009 par l’Agence Spatiale Européenne, il s’est entraîné depuis cette date à l’EAC à Cologne et sur les sites américains et russes en attendant son billet pour la banlieue terrestre. La participation de Thomas à la mission Proxima en tant qu’ingénieur de vol de l’expédition 50/51 a été décidée en 2014.
Cosmonautes sur leur 31
Je n’ai pas de photos où figurent les dix spationautes français. J’en ai une avec sept d’entre eux, prise le 15 octobre 2013 à la Cité de l'espace, à l’occasion de la journée célébrant le vingtième anniversaire du CADMOS. Même en passant tous les jours par la rue des cosmonautes, c’est rare d’en voir autant au même endroit…
Le CADMOS, c’est le Centre d’Aide au Développement des activités en Micropesanteur et des Opérations Spatiales (CADMOS). Créé à Toulouse en 1993, il n’existait donc pas pour les premiers vols habités français.
7 spationautes à la Cité de l’espace pour les vingt ans du CADMOS le 15 octobre 2013.
Par ordre d’apparition en orbite : Michel Tognini, Jean-Pierre Haigneré, Jean-Jacques Favier,
Claudie Haigneré, Léopold Eyharts, Philippe Perrin et, le petit dernier, Thomas Pesquet.
Crédit image : Gédéon / Planète Sciences Midi-Pyrénées
Il y a quatre « intrus » sur la photo-souvenir des vingt ans du CADMOS : de gauche à droite, Philippe Droneau (directeur des publics de la Cité de l’espace), Taissa Tabakova (chef de projet vols habités à RKK Energia), Lionel Suchet (à l’époque, directeur adjoint du Centre Spatial de Toulouse et aujourd’hui directeur de l’innovation et des applications) et Sébastien Barde (responsable du CADMOS).
Baïkonour, la porte des étoiles...
Pour Jacques Villain, historien de la conquête spatiale décédé le 15 septembre 2016 , Baïkonour, au Kazakhstan, c’est la « porte des étoiles ».
Moins poétique, Thomas Pesquet, frappé par l’ambiance, parle d’un décor de “Far West total” : au milieu d’une steppe désertique, le cosmodrome, traversé par des voies de chemins de fer, abrite des bâtiments et des pas de tirs opérationnels ou désaffectés. Une mémoire géographique de l'histoire de la conquête spatiale soviétique et russe, depuis Spoutnik et Gagarine.
Le cosmodrome de Baïkonour vu par le satellite Pléiades en 2013.
En bas, extrait centré sur le pas de tir n°31/6 d’où décollent également certains vols habités.
Copyright CNES – Distribution Airbus DS.
One small step for a man, mais une steppe géante pour Thomas Pesquet
L’image Pléiades présentée ici a une résolution réduite par rapport à l’image originale mais on peut quand meme distinguer la voie ferrée rectiligne sur laquelle la fusée Soyouz a été amenée à l’aire de lancement lundi 14 novembre 2016. La fosse en béton au une taille impressionnante : elle sert à évacuer flammes et gaz brûlés au moment de la mise à feu. Les ombres des mâts parafoudres sont également bien visibles sur l'image du satellite Pléiades. Notez que les ombres portées facilitent l'interprétation des images et donnent une idée du relief.
| Décollage de la fusée Soyouz MS-03 emportant |
Les satellites ont beaucoup photographié Baïkonour, pas seulement pour inspirer les blogueurs. Au début de la conquête spatiale, en pleine guerre froide, les premiers satellites espions, qui commencent à remplacer les avions U2, équipés de pellicules argentiques récupérées par des avions-épuisettes, « mitraillent » Baikonour pour savoir où en sont les russes. La photographie suivante a été prise par un satellite Corona dans la dernière ligne droite avant les premiers pas sur la Lune. Sur le pas de tir, une fusée géante N1. A-t-elle inspiré Elon Musk pour son projet Interplanetary Transport System ? La taille, le nombre de moteurs et leur disposition peut y faire penser… |
Image d’une fusée lunaire N1 sur le cosmodrome de Baïkonour prise par le satellite espion Corona
en septembre 1968. En bas, une tentative de photo-interprétation par Gédéon
Vous voulez une anecdote concernant l’ambiance de Baïkonour pendant la guerre froide et la course à la lune ? Le nom de la ville de Baïkonour, anciennement Leninsk, n’existe que depuis 1995. La vraie ville de Baïkonour est à plusieurs centaines de kilomètres au sud-est du cosmodrome. Pour tromper l’ennemi…
Si vous projetez d’y aller en voiture, voici les coordonnées à entrer dans votre GPS : 45°37’42’’N et 63°18’16’’E. A partir de Toulouse, le mien indique une distance d'environ 6000 km.
De -6°C à 51,6° : en route vers la bonne orbite
Pas de confusion : -6°C, c’est la température ambiante sur le site de lancement quelques heures avant le décollage de la fusée Soyouz. Elle va encore baisser d’ici dimanche. -15°C, -17°C. Je salue mes amis blogueurs présents sur place (les veinards !) pour ce lancement : pas facile de twitter avec des moufles !
51°6, c’est l’inclinaison de l’orbite de l’ISS.
51,6° sinon rien ?
C’est une longue histoire et le résultat d’un compromis entre les russes et les américains…
Les russes aiment bien les orbites inclinées qui offrent une visibilité sur le nord du pays. Ils auraient aimé mettre MIR sur une orbite inclinée à 65° mais la fusée ne le permettait pas. Ils ont donc choisi 51,6°, inclinaison optimale pour un lancement depuis Baïkonour. Au moment de la conception de MIR-2, le chiffre de 65° revient sur la table… l’ISS résulte de la fusion de MIR-2 avec le programme américain Freedom. Les USA avaient choisi une inclinaison de 28°, adaptée à Cape Canaveral en Floride. Mais cette orbite n’était pas accessible depuis Baïkonour. 65° ou 28° : les parties s’entendent pour un compromis… 51,6°. Ce compromis n’a pas été sans conséquence pour la charge utile maximale du Space Shuttle ou d’Ariane 5 (pour les lancements ATV).
Depuis la disparition de l’URSS, Baïkonour est sur le territoire du Kazakhstan. Après les échecs de Proton avec des retombées de débris et la renégociation du « bail de location » de Baïkonour, les russes cherchent à retrouver leur indépendance. Les activités militaires sont trasnférées à Plessetsk mais la réponse pour les lancements civils, c’est le cosmodrome de Vostochny, dans l'oblast d'Amour (Sibérie orientale), tout près de la ville de Tsiolkovski (le monde est petit !). La ville principale à proximité est Svobodny mais la région est pratiquement désertique.
Pour la petite histoire, après des travaux colossaux, les russes ont effectué le 28 avril 2016 le lancement inaugural d’une fusée Soyouz depuis la base de Vostochny. Alors combien de cosmonautes passeront encore par la porte des étoiles ?
De la porte des étoiles à l'ISS : en direct de la Cité de l’espace…
La Cité espace organisait jeudi une soirée en libre accès (expositions permanente et temporaire, animations dans les jardins) à l’occasion du décollage de Thomas Pesquet. Gros succès, avec 6000 participants.
Une autre soirée est programmée le 19 novembre au Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse pour suivre en direct l'amarrage du vaisseau Soyouz à la Station Spatiale Internationale (ISS) et l'entrée de l'astronaute français Thomas Pesquet et de ses coéquipiers à bord.
Au programme :
- 22h00 : Accueil.
- 22h30 : Suivi en direct des opérations d'amarrage.
- 23h00 : Heure d'amarrage prévue du vaisseau Soyouz.
- 00h45 : Première tentative d’ouverture des sas et entrée dans la Station Spatiale Internationale (ISS).
- 02h15 : Deuxième tentative d’ouverture des sas et entrée dans la Station Spatiale Internationale (ISS), suivi des premières impressions des 6 astronautes à bord !
La soirée sera animée par Philippe Droneau, Directeur des Publics à la Cité de l’espace, avec notamment la présence de Marc Pircher, Directeur du CNES Toulouse, Sébastien Rouquette Chef de projet des vols paraboliques au CNES et Xavier Penot, médiateur scientifique à la Cité de l’espace. Elle est organisée par l'ESA, le CNES, le Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse et la Cité de l'espace.
L'entrée est libre mais, attention, le nombre de places est limité (200 places).
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans les catégories « vols habités » et « histoire de la conquête spatiale ».
- D’autres articles sur le cosmodrome de Baïkonour.
- En orbite, le poids des années, c’est un problème sans gravité : un article sur les 20 ans du CADMOS.