Toulouse : tout schuss avec Pléiades...
Après les quelques flocons du 14 février, la température remonte et la neige a commencé à fondre à Toulouse. Il était temps : avec les températures très basses, la neige tombée la semaine précédente n’avait pas encore fondu.
Le satellite Pléiades a pris cette image exceptionnelle de Toulouse sous la neige le 8 février. J’ai publié plusieurs images de régions enneigées vues par le satellite Envisat mais il est rare de voir une image à très haute résolution d’un paysage sous la neige.
Toulouse sous la neige. Image acquise par le satellite Pléiades le 8 février 2012.
Copyright CNES 2012
Un beau soleil de milieu de matinée éclairait la ville mais les températures restaient très basses : même si les records absolus n’ont pas été dépassés, une vague de froid d'une telle intensité sur une période aussi longue reste rare. Météo France doit remonter à février 1963 pour trouver des températures inférieures à celles atteintes le 8 et le 9 février (-10,3°C et -12,5°C au matin) à Toulouse.
Satellite en orbite, boules de neige et Grand-rond
Sur cette image de Pléiades, tous les espaces verts sont encore couverts de neige : le Grand-rond et le jardin des plantes, la prairie des filtres et le parc des Abattoirs au bord de la Garonne, etc. Exception : la pelouse du stadium recouverte d’une bâche pour la protéger des intempéries. Le canal du Midi, notamment au niveau des Pont-Jumeaux est également partiellement gelé en surface. Sur la Garonne, le courant est plus important mais le petit bras de la Garonne est également gelé près du pont Saint Michel.
Toulouse sous la neige. Deux extraits de l'Image acquise par le satellite Pléiades le 8 février 2012.
Copyright CNES 2012
Une dynamique qui explose…
Après l’image de Pléiades montrant les couleurs caractéristiques de la ville rose, cette nouvelle image de Toulouse permet de se faire une bonne idée de la grande dynamique de son instrument, sa capacité à distinguer de faibles différences de luminosité. Ici, l’image au format jpeg a une résolution très réduite par rapport à celle d’origine. Sur les logiciels professionnels du CNES (comme la boîte à outils Orfeo Toolbox ou l’application Monteverdi) ou de l’IGN, les produits images à 50 cm de résolution sont encore plus spectaculaires.
Pas seulement à cause de la très haute résolution mais aussi la très grande dynamique.
Qu’est ce que la dynamique d’une image numérique ? C’est la capacité à restituer les variations réelles de l’intensité lumineuse des objets réels présents dans l’image.
Par exemple, les images jpeg des appareils photo numériques sont des fichiers où chaque couleur est codée sur 8 bits, soit 256 niveaux. Cela veut dire qu’il est possible de discerner dans l’image 256 nuances de bleu entre le noir absolu (codé avec la valeur 0) et le bleu le plus lumineux (codé avec la valeur 255).
Avec un codage sur 8 bits, le total des nuances de couleurs en combinant le rouge, le bleu et le vert est de :
28 x 28 x 28 = 224 = 16 millions de couleurs
Comme pour un écran d’ordinateur, c’est largement suffisant pour les usages courants.
Il y a pourtant deux situations où c’est une limite. Vous les avez peut-être déjà rencontrées si vous retouchez vos photos :
- Lorsqu’on veut créer un beau tirage noir et blanc : dans ce cas, on ne s’intéresse qu’à la luminance. Avec des images codées sur 8 bits, on a donc seulement 256 niveaux de gris et ce peut être insuffisant.
- Lorsqu’on s’intéresse à des scènes avec de grandes variations d’éclairage, par exemple, un paysage de montagne éclairé, avec au premier plan une belle grange dont la façade est dans l’ombre. Difficile d’avoir un bon rendu général…
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Combien de bits ? Le lac du barrage du Tech près d'Arrens dans les Hautes-Pyrénées, un exemple de
scène avec des variations d'intensité importantes et des détails dans les faibles lumières. A gauche,
l'image en couleur sur 24 bits (en pratique,il y a environ 350000 couleurs dans cette image. Au centre,
l'image en niveaux de gris codés sur 8 bits. A droite, les niveaux de gris sont codés sur 4 bits. Cliquer
sur les images pour bien voir les différences. Crédit image : Gédéon.
Un cas particulier, celui des astronomes amateurs : ils prennent des photos dans le noir ! Ce sont les plus exigeants en matière de dynamique, par exemple pour photographie l’amas M45, plus connu sous le nom d’amas des Pléiades. Pas étonnant que vous soyez toujours jaloux de leur boîtier reflex.
Les amateurs éclairés, même dans l'obscurité, travaillent alors avec un format différent, le format RAW (données brutes) qui offre souvent une meilleure dynamique : par exemple 12 bits pour le format NEF du Nikon D90, 14 bits pour le D3.
Pareil qu’un appareil... Mais très haut de gamme et gros téléobjectif
C’est pareil avec le capteur image du satellite Pléiades : dans chacune des bandes spectrales (panchromatique, rouge, vert, bleu et proche infrarouge), l’information est codée sur 12 bits :
- Pour le canal panchromatique, il y a donc 4096 niveaux radiométriques, 16 fois plus que pour un codage sur 8 bits. Cela change tout pour la photointerprétation.
- Pour une image multispectrale en couleurs naturelles, le nombre total de couleurs possible est : 212 x 212 x 212 = 236 = près de 70 milliards de couleurs ! Plus qu'il n'en faut la plupart du temps mais parfois utile pour des analyse fines.
Pour prolonger l'analogie avec la photographie, sachez que l'instrument de Pléiades correspondrait à un téléobjectif de 1250 mm de focale avec une très grande ouverture sur un appareil reflex en plein format (24 x 36).
Evidemment, avec une résolution à 50 centimètres, cela fait des gros fichiers, jusqu'à 16 gigaoctets au format GeoTIFF selon le type de produits. Pour cette raison, Astrium Services distribuera également les images au format JPEG2000 : avec ce format, cela tient sur un DVD.
Démonstration d'analyse d'image en 3D par l'IGN pendant les journées Pléiades. Ici, les lunettes 3D
sont à verres polarisants pour voir en couleurs. Celles posées sur la table sont équipés de verres
colorés. Crédit image : Gédéon
La dynamique du canal panchromatique est très importante pour les cartographes qui vont s’en servir pour la mise à jour des cartes urbaines : pendant les journées Pléiades en janvier 2012, j’ai pu assister à une démonstration faite par un ingénieur de l’IGN (Institut Géographique National). Il m’a montré comment la dynamique des images Pléiades facilitait l’interprétation des images urbaines. L’exemple qu’elle utilisait était celui d’une cour intérieure dans le centre de Toulouse : la qualité des images Pléiades permettait de voir les nuances de gris dans les zones sombres et de délimiter avec beaucoup de précision les limites du bâtiment.
A nouveau, comme pour l’achat d’un appareil photo, il est bon de se rappeler que la résolution ne fait pas tout. Sur le satellite Pléiades, la FTM, la fonction de transfert de modulation (la capacité d'un système d'observation à restituer fidèlement des variations rapides de luminance de la scène observée) et le rapport signal sur bruit (la différence entre ce qu’on veut mesurer et les perturbations dues à l’instrument de mesure imparfait) sont bien meilleurs que les spécifications initiales.
Explication théorique ? Si vous voulez "sentir" la notion de FTM, regardez dans les images les zones où il y a des changements rapide de teinte ou de luminosité : en ville, cherchez les bandes de peinture des passages pour piétons, les lignes matérialisant les parkings ou encore le dallage de l'esplanade de la grande mosquée de Casablanca, une des premières images acquises par le satellite Pléiades.
Pour le rapport signal sur bruit, ce sont les aplats qu'il faut chercher, les zones de couleur uniforme, en particulier les zones sombres.
Un seul bémol : le format jpeg ou la diminution de la taille des images publiées sur ce blog ou d'autres supports grand public (par exemple la galerie flickr du CNES) ne permettent pas d'apprécier complètement la qualité d'origine des images.
Cela commence à vous chauffer ? Revenons à la vague de froid et à la neige.
Des images de la neige pour ne pas avoir froid aux yeux
Voici quelques nouvelles images de la France et de l’Europe sous la neige acquises entre le 11 et le 13 février 2012. Je suis toujours émerveillé de voir les motifs que produit la neige sur les images satellites. Toutes les images qui suivent proviennent du capteur MERIS du satellite européen Envisat. La résolution moyenne (300 mètres environ) n’a rien à voir avec la très haute résolution de Pléiades mais le champ large de MERIS permet de voir des régions ou des pays en entier. C’est très complémentaire. Dans certains cas, j’ai procédé à une correction de dynamique pour améliorer le rendu des images. J’espère que les explications précédentes vous aident à comprendre ce qu’on entend par rehaussement de dynamique.
La neige, c’est exquis.
Commençons par une vue d’ensemble : le couvert neigeux en France dans la matinée du 11 février 2012.
Extrait d’une image acquise par Envisat le 11 février 2012 à 10h49 UTC. La résolution est réduite
par rapport à celle de l’image d’origine. La limite des zones couvertes de neige crée un motif étonnant.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Ensuite, la montagne : bonne nouvelle pour ceux ont la chance de pouvoir partir au ski : « De la neige, y en a ! » comme le montre une même image acquise par le satellite Envisat le 12 février.
Deux extraits d’une image acquise par Envisat le 12 février 2012 à 10h11 UTC.
A gauche, les Pyrénées et le sud-ouest. A droite, les Alpes.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Blanche neige sur l'île de beauté
Plus au sud, en Corse et en Italie, il a aussi bien neigé. En Italie, les deux ronds sombres sont le lac de Bolsena, au nord, et le lac de Bracciano, à proximité de Rome. On voit également l’île de Giglio. L'épave du paquebot Costa Concordia est toujours là mais la résolution du capteur MERIS ne permet pas de la voir.
Deux extraits d’une image acquise par Envisat le 13 février 2012 à 9h35 UTC. La Corse et une partie de l’Italie sous la neige. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Enfin , toujours aussi étonnant, la neige en algérie :
La neige en Algérie. Extrait d’une image acquise par Envisat le 12 février 2012 à 10h11 UTC.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
En savoir plus :
- Sur le blog du CNES « La tête en l’air », l’image de Toulouse sous la neige (en résolution légèrement meilleure que celle présentée ici).
- La galerie flickr des premières images du satellite Pléiades, mise à jour au fur et à mesure de la recette en vol.
- Sur le site d’Astrium GEO-Information Services, une page sur les produits images Pléiades et la galerie d’images satellites (Spot, Pléiades, TerraSAR-X).
- Les informations présentées pendant les Journées Pléiades 2012 (17 et 18 janvier 2012 à Toulouse) avec, en particulier, la présentation du CNES (Alain Gleyzes et Benoit Boissin) sur le système Pléiades et l’avancement (mi-janvier 2012) de la recette en vol et celle de d’Astrium GEO-Information Services (Charlotte Gabriel-Robez) sur la distribution des images Pléiades.
- Sur le site des missions scientifiques du CNES, les pages sur Pléiades.
- Un article sur une autre image Pléiades de la ville de Toulouse (ici la ville rose est bien rose !)
- D’autres articles sur la vague de froid et les chutes de neige de février 2012 et d'autres images de la neige vue par Envisat.
En savoir encore plus :
- Sur le site du CNES, la page du programme d'accompagnement Orfeo. Voir en particulier les présentations sur les différents domaines d'applications : mer et littoral, risques et aide humanitaire, cartographie et aménagement du territoire, géologie, hydrologie, forêt, agriculture et défense.
- La page de présentation de l'Orfeo Toolbox et de Monteverdi et le site pour télécharger le logiciel et sa documentation.