Avec les inondations et les glissements de terrain dramatiques en Inde, au Pakistan et en Chine, les médias ont surtout parlé des incendies qui touchent la Russie depuis la fin du mois de juillet 2010. Comme pour les images choisies sur le blog « Un autre Regard sur la Terre », selon l’angle d’approche des journalistes, le regard des médias met l’accent sur telle ou telle information qui occupe ainsi une place privilégiée. En France par exemple, mi-août, l'actualité des feux, c’était la mise en examen du propriétaire d’un véhicule Porsche Cayenne dont la mise à feu, dans le cadre d’une escroquerie à l’assurance, est la cause directe de l'incendie qui a détruit plus de 900 hectares de forêt et de broussaille le 24 juillet près de Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône).
Les incendies en Europe et dans le monde :
En fait, des nombreux incendies touchent chaque année les forêts et la végétation en Europe et dans le Monde. L’illustration ci-dessous, qui provient du service « MODIS Rapid Response » de la NASA, le prouve : il s’agit d’une carte globale des feux (MODIS Rapid Response System Global Fire Maps) mise à jour tous les dix jours.
Carte globale des feux pour la période du 30 juillet au 8 août 2010. Carte produite par
Jacques Descloitres de l’équipe du MODIS Rapid Response System (NASA/GSFC).
Les algorithmes de détection des feux ont été développés par Louis Giglio.
Image de fond « Blue marble » créée par Reto Stockli.
Chacune des cartes publiées tous les dix jours fournit la position des feux (“hot spots”) détectés pendant les dix jours précédents par les capteurs MODIS équipant les satellites Aqua et Terra de la NASA. Chaque point de couleur signifie qu’au moins un départ de feu a été détecté au cours de la période de dix jours. Attention : la couleur rouge signifie que le nombre de feux détectés est faible alors que la couleur jaune indique au contraire un nombre élevé sur la période. Les cartes sont produites depuis mi-2001 et archivées par le département de géographie de l’Université du Maryland.
Chaque année, les feux de forêts ou de végétation détruisent 350 millions d'hectares dans le monde, dont la moitié en Afrique. Selon les estimations de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), 150 à 250 millions d'hectares (sur un total de 1,8 milliard d'hectares de forêts tropicales) sont ravagés chaque année par les incendies sauvages.
En Europe, avec les tempêtes, ce sont les incendies qui causent les dommages les plus importants aux forêts. Celles-ci couvrent environ un tiers de la surface de l’ensemble des pays européens (185 millions d’hectares). Sur le pourtour méditerranéen, entre 700 000 et 1 million d'hectares sont touchés selon les années.
Nombre de feux et surface totale brûlée pour les pays méditerranéens en Europe. Environ 95 %
du total des zones brûlées concernent cette région d'Europe. Tableau extrait du rapport
"European Forests" publié en 2008 par l'Agence Européenne de l'Environnement (EEA).
Crédit image : EEA.
La prévention des incendies et la lutte contre les feux prennent une importance croissante, non seulement en raison des superficies incendiées, des dégâts aux biens et des victimes, mais à cause de l’impact sur des questions à l’échelle globale, comme le changement climatique.
Les risques d’incendies, leur fréquence, l'intensité et l'impact des feux de forêt peuvent être limités avec des gestions plus intégrées de gestion, notamment la détection des incendies et leur extinction rapide, la surveillance, l'alerte précoce, la prévention et la préparation. Cette démarche semble par exemple porter ses fruits dans le sud-est de la France où l’accent est mis sur le débroussaillage et sur la détection précoce des départs de feux.
En Russie, les incendies font toujours rage et la fumée touche à nouveau Moscou…
Les agences de presse rapportent des déclarations plutôt rassurantes du gouvernement russe, du ministère des Situations d'urgence de la Volga ou de l’agence nucléaire russe Rosatom. Difficile de savoir la réalité de la situation dès qu’il agit des sites nucléaires (et pas seulement en Russie…)
Néanmoins les images fournies par les satellites d’observation de la Terre, comme l’image ci-dessous acquise le 14 août 2010 par le satellite européen ENVISAT, montre toujours les impressionnants panaches de fumées des feux actifs et un voile correspondant aux nuages de fumée dans le centre de la Russie. Dimanche 15 août, ces fumées ont à nouveau gêné la population de Moscou. Cette fumée affecte aussi l’Ukraine au sud.
Les incendies dans la région de Nijni Novgorod auraient été partiellement maîtrisés au cours des derniers jours, et les pompiers pourraient maintenant porter leurs efforts sur les feux touchant le parc naturel de la de Mordovie, à proximité de Sarov.
Des feux de tourbières persistent : en observant attentivement les couleurs des zones non brûlées sur les images satellites, on peut se faire un idée de l’origine des feux : végétation et forêts pour les zones vertes, tourbes ou zones agricoles pour les zones brunes ou de mélange brun / vert.
Image de la Russie acquise par le satellite européen Envisat le 14 aôut 2010 à 08h11 UTC.
Les positions approximatives (l’image n’est pas orthorectifiée) de quelques villes ont été
ajoutées par Planète Sciences Midi-Pyrénées. Cliquer sur l’image pour en voir un extrait
en pleine résolution, couvrant le quart nord-est de l’image (entre Yaroslavl et
le sud de Sarov). Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
Les feux de tourbe ne sont pas un phénomène nouveau : des opérations de drainage à grande échelle d’anciennes zones marécageuses ou humides ont été effectuées dès la fin du XIXème siècle et poursuivies après la première guerre mondiale dans le cadre de politiques d’aménagement du territoire (NEP : Nouvelle politique économique, lancée par l'URSS en 1921) avec un triple objectif : assainissement du territoire, développement de l’agriculture et extraction de tourbe pour les centrales thermiques de production électrique. Les premiers grands incendies de forêts et de tourbières en Russie centrale dateraient de 1936. A la fin des années 80, l’exploitation des tourbières a été réduite et certaines zones laissées à l’abandon, augmentant ainsi le risque d’incendies. Les feux de tourbes sont très difficiles à éteindre : alors qu’un feu paraît éteint, la tourbe peut se consumer lentement sous la surface et l’incendie reprendre par temps sec avec une température élevée. C’est la raison pour laquelle les pompiers qui luttent actuellement contre les incendies en Russie inondent littéralement les zones qui ont été incendiées. Des incendies très importants avaient déjà affectés la région de Moscou en 2002.
La canicule historique en Russie a des répercutions directes sur l’agriculture : des estimations rapportées dans la presse font état de pertes de 20 à 30 % des cultures, ce qui semble être à l’origine de l’embargo sur les exportations de céréales décidé par le gouvernement russe. Cette mesure entre en vigueur aujourd’hui 15 août et s’appliquera jusqu’à la fin de l’année 2010. Le Premier ministre russe Vladimir Poutine a promis de sanctionner ceux qui tenteraient de spéculer et d'entraîner les prix des céréales à la hausse.
Au Portugal :
Depuis la fin du mois de juillet, le Portugal est également touché par des incendies liés aux fortes chaleurs. On dénombre aux moins deux victimes parmi les pompiers. Ceux-ci annoncent avoir maîtrisé samedi 14 l’incendie du parc naturel de la Serra de Estrela dans le centre du Portugal. Les protections civiles françaises et espagnoles ont apporté leur assistance en mettant à disposition des moyens aériens.
Samedi, selon la protection civile portugaise douze feux étaient toujours actifs dans le nord et le centre du Portugal, en particulier dans le parc national du Peneda-Gerês, à proximité de l’Espagne (région de Galice).
En termes de bilan, il semble y avoir des divergences entre les chiffres donnés par le gouvernement portugais et les estimations effectués à partir d’images provenant des satellites d’observation. En tout état de cause, le mois août va alourdir le bilan de l’année 2010. En 2009, plus de 86.000 hectares avaient brûlé au Portugal. 2005 reste l’année d’un triste record avec plus de 338.000 hectares brûlés.
Image acquise par le capteur MERIS du satellite européen Envisat le 12 août 2010 à 10h44 UTC.
Le panache de fumée est nettement visible dans la région centre du Portugal.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Ailleurs dans le monde : un exemple en Australie
La sécheresse récurrente en Australie pose des problèmes d’eau, de baisse des rendements en agriculture et augmente le risque d’incendie. En 2009, des feux de forêts catastrophiques ont fait 170 morts en Australie.
Rien d’aussi grave cette année, mais des incendies se produisent toujours, comme le montre l’image ci-dessous, acquise par le satellite ENVISAT. Il s’agit de la région au nord de l’Australie, près de la ville de Darwin (Northern Territory ). Les panaches de fumées proviennent d'une zone située entre deux parc nationaux (Lietchfield National Park et Gregory National Park) La région du Kimberley au sud-ouest de cette zone a fait l’objet d’un article (quiz image) au mois de mai.
Image acquise par le capteur MERIS du satellite européen Envisat. Un traitement de rehaussement des couleurs a été appliqué par Planète Sciences Midi-Pyrénées pour améliorer la visibilité des panaches de fumées. Cliquer sur l'image pour la voir en pleine résolution.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Certains feux peuvent être volontaires et maîtrisés comme les feux « contrôlés », autorisés et surveillés par les services de lutte contre les incendies, pratiqués par les éleveurs et les agriculteurs. Le feu peut ainsi être un outil de gestion des terres s'il est bien utilisé et au moment opportun. Des incendies planifiés peuvent avoir pour objectif le maintien de la biodiversité, la régénération des végétaux et la production de fourrage. En Afrique australe par exemple, les feux de savane permettent ensuite la production de fourrage frais et réduisent les risques d'incendies accidentels en éliminant l'herbe sèche et le fourrage desséché.
Des services et des systèmes d’information pour évaluer le risque d’incendie et recenser les zones brûlées :
En Europe, le Centre Commun de Recherche (JRC, Joint Research Centre) et la direction générale de l’environnement de la Commission Européenne (DG ENV) ont développé et opèrent le service EFFIS (European Forest Fire Information System). Ce système d’information est à destination des organismes européens en charge de la protection des forêts contre les incendies. EFFIS propose des informations pour toute la gestion du risque feu : prévention, préparation, lutte contre le feu, évaluation des dégâts..
Par exemple, le module « prévision de risque d’incendie » (fire danger forecast) d’EFFIS, illustré par l’image ci-dessous pour la journée du 15 août 2010, propose des cartes de prévision du risque de feu pour les 6 jours à venir. Il fonctionne de mars à octobre avec les données de prévision météorologique (en particulier humidité et température) fournis par les services météorologiques français et allemand (Météo France et DWD).
Copie d'écran du module de prévision du risque incendie du système EFFIS pour la journée du
15 août 2010. Crédit image : Centre Commun de Recherche (JRC)
Après 5 années de test de différentes méthodes, l’équipe du JRC responsable d’EFFIS a retenu un algorithme de prévision appelé « Fire Weather Index » (FWI) développé au Canada qui a été adapté pour les forêts méditerranéennes.
Le risque est évalué selon 5 niveaux (très bas, bas, moyen, élevé, très élevé) avec une résolution spatiale de 36 km (données du DWD) ou de 45 km (données de Météo France)
EFFIS propose également d’autres modules (base de données des zones brûlées, cartes des périodes passées, etc.)
Avec un objectif un peu différent, la FAO a lancé début août un service d’information sur Internet à l’échelle mondiale, destiné à surveiller en temps réel les incendies. Le nouveau Système mondial de gestion de l'information sur les incendies (GFIMS) repère les points chauds à l'origine des incendies à partir des données des satellites Aqua et Terra la NASA.
GFIMS permet de visualiser les points chauds en temps quasi-réel, avec un décalage d'environ 2,5 heures entre le passage des satellites et la mise en ligne des données. Le nouveau système permet également aux utilisateurs de recevoir des alertes par e-mail sur leurs zones d'intérêt.
En ce qui concerne la gestion de la crise et l’utilisation des satellites d’observation, l’Europe propose le service GMES (Global Monitoring for Environment and Security) et son service de réponse aux situations d’urgence SAFER. La charte internationale Espace et Catastrophes Majeures est un mécanisme complémentaire qui permet aux agences spatiales de coordonner leurs moyens d’observation en cas de catastrophe majeure.
En savoir plus :
- Le site MIRAVI de l'Agence Spatiale Européenne (ESA). Toutes les images ENVISAT de cet article proviennent de ce site mis à jour quotidiennement.
- Le système d’information EFFIS et les rapports annuels sur les incendies.
- Le site MODIS Rapid response de la NASA et les cartes globales de position des feux.
- Le site Internet du service européen GMES SAFER et des exemples de services fournis dans le cas de feux de forêts.
- Le site de la Charte Internationale "Espace et catastrophes majeures".
- Les pages de la FAO sur la gestion des incendies et le nouveau manuel pour la gestion des feux de forêts (avril 2010, en anglais).
- Le rapport d'évaluation de la FAO sur les feux (2006, en anglais).
- Le système d'information GFIMS de la FAO.
- Le site de l'Agence Européenne de l'Environnement et le rapport "Forêts européennes : état environnemental et développement durable" (2008, en anglais). Voir en particulier la page 52 sur le bilan des incendies de 2007 en Grèce.
- Sur le blog "Un autre regard sur la Terre" : un autre article sur les incendies en Russie, un article sur la tempête Xynthia, deux articles sur les incendies de 2007 en Grèce et aux Canaries et d'autres articles sur les satellites d'observation et les forêts.
Suggestions d’utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur le traitement de l’information et le rôle des médias et du pouvoir politique à l’occasion des incendies en russie : revues de presse, évolution des bilans, sources d’informations, etc.
- Travail en histoire sur l’URSS et la Russie et les politiques d’aménagement du territoire.
- Travail sur les SIG en ligne : risque d’incendie, cartographie des zones brûles, comparaison sur les années 2007, 2008 et 2009, en utilisant les systèmes d'information EFFIS, MODIS rapid response et GFIMS (voir "en savoir plus").
- Etude bibliographique sur les feux de forêts en Europe et dans le Monde.