Les satellites et les activités maritimes
Après New-York en 3D, cap sur l’Asie avec une image spectaculaire du port de Hong Kong. La finesse des détails et le contraste des couleurs fait d’abord penser à une photographie prise par le hublot d’un avion. Pourtant, il s’agit bien d’une image prise par le satellite Pléiades 1A, le 1er février 2012, à 694 kilomètres d’altitude.
Entre la rivière des perles et la mer de Chine, Hong Kong, la ville verticale, est une des plus denses du monde et une des principales places financières. Sa position stratégique lui a également permis de devenir un des principaux hubs de transport maritimes et un des trois premiers ports mondiaux pour le transport de containers, derrière Shanghaï et Singapour.
Le port de Hong-Kong et ses piles de containers. En haut, extrait d’une image acquise par le satellite
Pléiades 1A le 1er février 2012. En bas, zoom avec la résolution du produit image d'origine sur
les containers, les navires et leur sillage et le Stonecutters Bridge. Copyright CNES 2012.
Des gratte-ciel, des containers et des navires…
Ce sont les gratte-ciel et l’impression de relief qui s’en dégage qui permettent de se faire une idée de l’agilité du satellite Pléiades, mise en évidence sur cette image par sa capacité à effectuer des prises de vues très obliques.
Sur cette image, ce qui impressionne le plus, c’est le port Victoria, avec ses grues, ses containers innombrables et les navires de toutes tailles, avec des sillages plus ou moins marqués selon la vitesse.
Des containers innombrables ? Pas tout à fait. La très haute résolution de Pléiades, encore meilleure sur les images d’origine, permet de compter individuellement les containers, les véhicules sur les voies rapides ou les haubans des ponts suspendus (voir également une image Pléiades du viaduc de Millau) qui matérialise l’entrée du port.
Deux autres extraits d'images acquises par le satellite Pléiades 1A le 1er février 2012.
En haut, Honk Kong, le port, les gratte-ciel et les viaducs. En bas, la baie de Kowloon, Kai Tak,
l’ancien aéroport international Hong Kong et le « typhoon shelter » (abri pour les bateaux)
de Kwun Tong. Copyright CNES 2012.
Ces images de Pléiades illustrent bien l’importance des satellites d’observation pour la surveillance et la sécurité des activités maritimes, à proximité des zones portuaires ou au large.
Un bon endroit pour voir les satellites en action : aller à la mer !
On cite parfois la similitude entre la situation de l’équipage d’un vaisseau spatial et celui de l’équipage d’un bateau ou d’un sous-marin, surtout dans le cas de missions de longue durée : isolement, absence de contact direct avec la terre, etc.
En fait, un rapide inventaire montre que la navigation en mer, la pêche et l'exploitation offshore sont certainement parmi les plus grands utilisateurs des applications spatiales.
Qu’il s’agisse du Costa Concordia, du Costa Allegra, d’un thonier industriel, d’un trimaran de course ou d’un navire de guerre ou de commerce, l’équipage, en mer, suit de près la météorologie, dont les prévisions s’appuient sur les satellites Météosat ou Metop.
Il bénéficie du téléphone et télécommunications numériques possibles avec Inmarsat ou Iridium.
Les systèmes GPS ou, bientôt, Galileo l’aident à naviguer et à choisir la route la plus adaptée. En cas d’accident, l’équipage sait que sa balise Argos ou le système COSPAS-SARSAT veillent sur lui et, si nécessaire, transmettront sa position aux services de secours. Pour optimiser leur route, certains utilisent même les prévisions de Mercator-Océan produits à partir des données d’altimétrie transmises par les satellites Jason.
Exemple de thonier-senneur industriel : le Trévignon de la Compagnie française du thon océanique.
Son activité principale est la pêche au thon tropical dans l’océan indien. Ce genre de navire peut
susciter la convoitise de pirates. Très récemment, il a remorqué le paquebot Costa Allegra
et secouru ses passagers. J'espère qu'ils achéteront du thon pour remercier l'équipage.
Crédit image : Piriou.
C’est vrai également pour les sous-marins qui utilisent des informations similaires (le système SOAP pour Système Océanographique d’Analyse et de Prévision) pour connaître la position des tourbillons, des fronts thermiques et de la thermocline pour optimiser les performances de détection de leurs sonars ou, au contraire, faire preuve de discrétion et exploiter l’environnement marin pour se dissimuler.
Les pêcheurs exploitent cartes de courant, de température de surface de la mer (capteurs AVHRR des satellites NOAA ou AATSR sur ENVISAT) et de couleur de l’eau (capteur MERIS sur ENVISAT ou MODIS sur Terra et Aqua) pour localiser les fronts thermiques et les limites des zones riches en phytoplancton, afin de définir leur stratégie de pêche (voir des exemples d'images de couleur de l'eau).
A terre, les systèmes de surveillance de navires vérifient, en collectant les données Argos ou GPS transmises en temps réel, que les flottes de pêche opèrent dans les zones et pendant les périodes autorisées. Dans certaines régions du monde, les satellites Spot, Envisat ou Terrasar-X détectent ceux qui trichent en mettant leur balise hors tension et ceux qui pratiquent des activités illégales.
Les satellites Radar apportent également une aide précieuse dans les mers polaires pour détecter la présence de glaces dérivantes pouvant présenter un risque pour la navigation. Ailleurs leurs caractéristiques leur permettent de localiser les nappes d’hydrocarbures, qu’il s’agisse d’accidents ou d’opérations de dégazage (voir la série d'articles sur la marée noire du golfe du Mexique).
Dans les ports ou au large, les satellites optiques ou radar ayant une grande capacité de revisite aident à contrôler l’activité et identifier d’éventuels trafics illégaux, les fameux Go-fast utilisés par exemple pour le trafic de drogue .
Exemple de détection de navires par satellite dans le détroit de Gibraltar. Image acquise par le
satellite TerraSAR-X le 9 juillet 2007 quelques jours après son lancement. Crédit image : DLR.
Au total, un navire de pêche moderne, par exemple, peut utiliser les services de plusieurs dizaines de satellites différents (il est vrai que le système GPS en compte déjà au moins 24). Le tableau ci-dessous en donne le détail et mentionne d’autres domaines d’application.
Besoin ou mission | Techniques spatiales utilisées |
Prévision météorologique | Satellites géostationnaires (exemple : Meteosat) ou à défilement (NOAA, Metop) |
Téléphonie, transmission de données et Internet | Satellites de télécommunication géostationnaires (exemple : Inmarsat) ou constellations (Iridium) |
Navigation | Systèmes GPS, EGNOS et Galileo |
Envoi d’alerte et signaux de détresse | Balises ARGOS Système COSPAS-SARSAT |
Prévision de l’état de la mer et des courants. Routage. | Altimétrie spatiale (Topex-Poséidon, Jason, Sentinel 3) et modélisation (exemple : Mercator-Océan) |
Suivi d’animaux marins et de bouées dérivantes | Balises ARGOS (CLS) |
Aide à la pêche et gestion des ressources | Satellites d’observation de la Terre : température de surface (NOAA, Envisat), couleur de l’eau (Seawifs, Envisat / MERIS, Aqua / MODIS), altimétrie (Topex-Poséidon, Jason), etc. |
Surveillance des zones de pêche | Balises (exemple : ARGOS) et système VMS. Satellites d'observation de la Terre. |
Collecte de données de capture (pêche) | Satellites de télécommunication géostationnaires (exemple : Inmarsat) ou constellations (Iridium), ARGOS |
Surveillance des zones d’aquaculture | Satellites d’observation de la Terre. Observation optique à haute résolution (Spot 5) ou mesure de la couleur de l’eau (Envisat / Meris, Aqua / MODIS, Sentinel 3) pour la détection des floraisons d’algues. |
Détection et localisation de navires (pratiques et trafics illégaux) | Satellites d’observation de la Terre optique (Spot 5) ou Radar à ouverture synthétique (Envisat / ASAR, Radarsat, Cosmo-Skymed, Terrasar-X). Utilisés avec un VMS, ces satellites permettent de détecter les navires non autorisés. |
Détection des pollutions par hydrocarbures | Satellites Radar à ouverture synthétique (SAR) : Envisat / ASAR, Radarsat, Cosmo-Skymed, Terrasar-X |
Détection de glaces flottantes et d’icebergs | Satellites Radar à ouverture synthétique (SAR) : Envisat / ASAR, Radarsat, Cosmo-Skymed, Terrasar-X |
Acoustique sous-marine et lutte anti-sous marine | Altimétrie spatiale et modélisation (SHOM / SOAP) |
Tableau 1: les satellites et les applications spatiales en mer
La localisation des navires, une technologie essentielle pour le contrôle des activités en mer
La plupart des navires de pêche industrielle sont aujourd’hui équipés de balises de suivi par satellite transmettant à intervalles réguliers leurs positions aux administrations chargées du contrôle et de la surveillance des pêcheries. Des telles balises utilisent deux technologies spatiales : la localisation par satellite et les télécommunications pour transmettre leurs positions au centre de surveillance.
Ce système de contrôle, appelé VMS (Vessel Monitoring System) permet à tout moment de vérifier l’activité d’un navire et en particulier le respect des périodes et des zones où la pêche est autorisée. En France, on peut citer la société Argos, filiale du CNES : les balises de localisation Argos sont utilisées dans plus de 50 pays comme le Pérou ou le Chili pour lesquels la pêche est une ressource économique majeure.
Trouver les tricheurs : l’apport de l’observation de la Terre
Avec ces balises de localisation, les équipages des navires de pêches déclarent volontairement leur position. Ce système seul ne permet donc pas de détecter les navires qui n’en sont pas équipés ou ceux qui mettent volontairement leur balise hors tension pour pêcher de manière illégale.
Pour lutter contre ces pêches illégales qui transgressent les réglementations nationales et menacent parfois gravement des espèces de poissons dont le stock est fragilisé, certains pays ont mis en place des systèmes de détection de navires par satellites, communément appelés VDS (Vessel Detection System). Ils utilisent en général des satellites SAR qui sont particulièrement adaptés pour cette mission. Le radar des satellites SAR peut fournir des images de jour ou de nuit et même en présence d’une épaisse couverture nuageuse. Les satellites optiques à haute résolution sont eux adaptés à la détection de petites embarcations.
Interception d’un go-fast par la Marine Nationale dans le cadre de l’action de l’Etat en mer
(lutte anti-drogue). Des exemples de "petits" navires. Crédit image : Marine Nationale
Pionnière dans le domaine, la France a mis en place un tel système dans la région des îles Kerguelen pour lutter contre les braconniers qui pêchent illégalement la légine australe, également appelée « loup du Chili ». La légine est très recherchée et a une grande valeur commerciale. Vivant dans les eaux profondes, la lenteur de son développement – elle met environ dix ans pour atteindre l’âge adulte – la rend particulièrement vulnérable à la surpêche : la légine est devenue très rare au large du Chili et de l’Argentine et les pêcheurs sont de plus en plus attirés vers les zones plus australes.
Dans la zone économique exclusive (ZEE) des Terres Australes et Antarctique Françaises (TAAF), seuls les navires battant pavillon français, le plus souvent à partir de l’île de la Réunion, sont autorisés à pêcher avec des quotas très stricts. On estimait à l’époque que la pêche illégale par des navires non autorisés entraînait des prises très supérieures à ces quotas. Depuis la mise en place du VDS, il est constaté une chute drastique de la pêche illégale, de l’ordre de 90% ces dernières années.
Compte tenu de la superficie de la ZEE, les patrouilles maritimes ne suffisent pas à assurer un contrôle efficace. Par ailleurs leur coût est très élevé pour une efficacité relative. C’est la raison pour laquelle, en 2004, les autorités françaises ont décidé de mettre en service un système de surveillance par satellites, utilisant le satellite européen Envisat et le satellite canadien Radarsat.
C’est la corrélation des échos Radar détectés par ces satellites avec les positions transmises par les balises Argos des navires autorisés à pêcher qui permet de mettre en évidence les navires pêchant illégalement.
Des opérations d’arraisonnement par la marine française de chalutiers pris en flagrant délit ont été largement médiatisées et jouent un rôle dissuasif.
On parle également beaucoup en ce moment de Système d’Identification Automatique (AIS pour Automatic Identification System). Conçu initialement pour la sécurité de la navigation en communiquant les positions entre navires voisins ou avec des stations au sol, les signaux du système AIS peuvent être également détectés, dans certaines conditions, depuis l’espace. L’Agence Spatiale Européenne, en partenariat avec l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA), a récemment lancé une initiative appelée SAT-AIS pour étudier un système opérationnel de fourniture de données AIS par satellite, permettant d’assurer le suivi des navires de mer partout dans le monde.
Ce type de système de surveillance combinant balises de localisation et observation de la Terre peut bien sûr être appliqué à d’autres domaines.
Et la connaissance de l’environnement marin ?
Je n'ai abordé ici uniquement que le cas des activités humaines en mer : il y a également tout le domaine de la connaissance de l’état des océans (courants, température, salinité, niveau de la mer) et de la prévision de son évolution, en particulier comme indicateur du changement climatique. L’altimétrie spatiale, déjà évoquée dans un article du blog Un autre regard sur la Terre, est une technique essentielle, qui a révolutionné la connaissance scientifique des océans (phénomène El Nino, élévation du niveau de la mer, etc.)
J'y reviendrai plus en détails prochainement.
Un navire qui fait penser à l’espace : le Yuri Gagarine. En service de 1971 à 1991, il a notamment
participé au programme de test Apollo-Soyouz. Un exemple de « gros » bateau…
En savoir plus :
- Sur le blog « La tête en l’air du CNES », un article sur l’image de Hong-Kong prise par le satellite Pléiades (le fichier image est en plus grand format) et la galerie d’images Pléiades sur Flickr.
- Sur le site d’Astirum GEO-Information Services, la galerie des images Pléiades, Spot, TerraSAR-X et Formosat-2 et la page sur les produits Pléiades.
- Sur le site de l’EMSA (Agence Européenne de Sécurité Maritime), les vidéos sur la page d’accueil et la brochure de présentation en français.
- Sur le site du CNES, la page sur COSPAS-SARSAT, le système international de satellites pour les recherches et le sauvetage et le site de COSPAS-SARSAT.
- Sur le site de CLS, les activités de sécurité maritime.
- D'autres articles avec de simages du satellite Pléaides sur le blog Un autre regard sur la Terre :
- Un an après le tsunami, retour à Fukushima avec le satellite Pléiades
- Everest, Mont McKinley, Mont Blanc, Kilimandjaro : les toits du monde vus depuis l’espace
- Le relief par satellite, c’est louche ! Manhattan en 3D avec Pléiades
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