Neige du 8 décembre à Paris : les dérapages verbaux succèdent aux dérapages des voitures.
En 2003, Jean-Pierre Raffarin lançait à l’assemblée nationale ce qui allait devenir une des plus célèbres raffarinades : « La route est droite, mais la pente est forte ».
En décembre 2010, à propos du blocage des transports en région parisienne, le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, propose une variante : "Ce qui pose problème, dans ces épisodes neigeux extrêmement forts, ce sont les routes lorsqu'elles sont inclinées". Certes… Le jeudi 9 au soir, en déplacement à Moscou, François Fillon avait mis en cause Météo France qui n'aurait pas bien «prévu l'épisode neigeux» qui a bloqué la région parisienne. De son côté, Ségolène Royal demandait que le Premier Ministre s’excuse publiquement: « N'être même pas revenu de Moscou pour s'occuper des Français qui souffrent, c'est le contraire de l'idée que je me fais de la responsabilité politique ».
En fin de semaine, la tempête médiatique a remplacé la tempête de neige…
Concernant la précision du bulletin de vigilance de Météo France, l’illustration suivante est le bulletin publié le 8 décembre à 6h00 du matin (mis à jour ensuite à 10h00 et 16h00), je vous renvoie à l’analyse faite par Sylvestre Huet sur le blog Sciences2 du journal Libération et son commentaire de la carte de vigilance. Dès le mardi 7, les bulletins de Météo France étaient explicites sur les possibilités de blocage de la circulation.
Bulletin de vigilance publié par Météo France le mercredi 8 décembre à 6h00.
Crédit image : Météo France.
Pour Météo France, « un épisode remarquable mais pas exceptionnel »
Mardi 7 décembre à 6 heures, Météo France avait placé en vigilance orange neige et verglas 5 départements : l'Eure-et-Loir, de la Mayenne, de l’Orne, de la Sarthe et des Yvelines ainsi que 3 départements en vigilance orange aux crues, la Haute-Saône, le Doubs et le sud du Territoire de Belfort. Le 7 décembre à midi, d’autres départements étaient rajoutés à cette alerte orange neige et verglas : Seine-et-Marne, Essonne, Val-d'Oise, Paris, Hauts-de-Seine, Seine Saint-Denis et Val de Marne.
Le 8 décembre, les hauteurs de neige mesurées par Météo France ont effectivement été inhabituelles : 15 cm à Villacoublay et Trappes, 14 cm à Toussus-le-Noble, 12 cm à Paris-Montsouris, 10 cm à Orly, Chartres et Reims, 8 cm à Roissy.
Concernant le caractère exceptionnel ou non de cette journée, Météo France indique sur son site Internet qu’on rencontre des situations similaires en moyenne tous les 5 à 10 ans : « En Ile-de-France, des épisodes comparables s’étaient produits en mars 2005 (11 cm à Orly, 9 cm à Paris-Montsouris) et en décembre 1997 (12 cm à Toussus-le-Noble). A Paris intra-muros où l’on a relevé 12 cm, il faut remonter à janvier 1987 pour trouver des quantités de neige supérieures (14 cm à Paris-Montsouris le 14/01/1987). Ces chutes de neige se sont produites dans un contexte météorologique particulier : les écarts de températures entre la moitié nord et la moitié sud du pays étaient très importants. Alors qu’au meilleur de la journée on relevait 1°C à Reims, Orléans et Roissy, le thermomètre dépassait les 20°C dans le Sud-Ouest et en Corse. Au milieu de ce conflit de masses d’air, de fortes précipitations se sont déclenchées le long d’un axe allant des Pays de la Loire à la Lorraine, sous forme de neige au contact avec l’air froid sur la frange nord de cette ligne. »
Des décisions difficiles à prendre
Plus que la précision de la prévision de l’intensité des chutes de neige, il me semble que c’est davantage la difficulté à prendre en temps utile des décisions délicates qui est en cause ici : compte tenu de l’importance trafic routier en région parisienne, quelle décision aurait du être prise et à quel moment ? Interdire toute circulation automobile ? Fermer les aéroports dès le matin ? D’autres évènements de l’année 2010 comme la tempête Xynthia ou les inondations du mois de juin dans le Var posent également la question des décisions à prendre dans un contexte d’aléa météorologique annoncé, même si toute prévision contient une incertitude sur l’intensité du phénomène ou sa localisation exacte. La bonne prise de décision, c’est aussi l’existence de plans établis à l’avance. Espérons que cette expérience du 8 décembre permettra d’améliorer les plans. Comme le dit Nicolas Sarkozy, « J'ai grande conscience des progrès qu'il nous reste à faire ».
Néanmoins, Xynthia et les inondations dans le Var ont confirmé qu’au niveau national, seule un très faible nombre de communes soumis à des risques particuliers avaient effectivement mis en place un plan communal de sauvegarde (PCS). Par exemple, « parmi les 69 communes vendéennes qui devraient être couvertes par un PCS, 49 (dont les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer) étaient dépourvues d’un tel document » avait déclaré M. Jean-Jacques Brot, le préfet du département de Vendée devant la mission d’information du sénat sur les conséquences de la tempête Xynthia.
Peut-on envisager une action organisée voire une évacuation si les plans correspondants ne sont pas formellement définis ?
Se pose évidemment la question des moyens et des compétences, que Sylvestre Huet aborde sur son blog en mentionnant la « désorganisation des services de l’équipement ». C’est certainement ce lien avec la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) qui explique l’intensité des réactions politiques de tous bords.
Il y a aussi, pour ceux qui en ont la possibilité, la question de la responsabilité individuelle : le 8 décembre, mon entreprise avait organisé une importante réunion de travail dans un hôtel à proximité de l’aéroport Charles-de-Gaulle. La neige ayant déjà entraîné des perturbations fin novembre, le 7 au soir, nous avions vérifié les bulletins de Météo France et nous avions encore la possibilité de remplacer la réunion par une visioconférence. Nous ne l’avons pas fait. Le 8 décembre, je suis monté avec deux collègues dans l’avion à 7h15. Tout s’est bien passé jusqu'à 11 heures. Comme pour beaucoup de voyageurs et de parisiens, notre erreur d'appréciation ne s’est vraiment révélée qu’en milieu de journée…
Est-ce que la couleur orange des bulletins de vigilance est jugée « banale » ? Pourtant la légende est explicite : « Soyez très vigilants : des phénomènes météorologiques dangereux sont prévue ». Est-ce que les textes d’accompagnement standardisés ne sont pas lus avec assez d’attention ? Il y a certainement encore de l’éducation à faire dans le domaine de la culture du risque...
Une composition colorée pour bien distinguer le blanc du blanc...
Le jeudi 9 décembre 2010, le satellite Aqua a acquis une image de l’ouest de l’Europe dont j’ai extrait la vignette suivante.
Extrait d’une composition d’images acquise par le capteur MODIS du satellite Aqua le 9 décembre
2010. Les images utilisées ont été acquises entre 10h15 et 13h25 UTC. L’image est représentée en
couleurs naturelles. Crédit image : NASA/GSFC, MODIS Rapid Response.
Il s’agit ici d’une composition colorée qui utilise les bandes 1 (centrée sur 0,670 µm, correspondant à la lumière rouge), 4 (centrée sur 0,565 µm, correspondant à la lumière verte) et 3 (centrée sur 0,479 µm, correspondant à la lumière bleue) des images pour MODIS pour les représenter respectivement en rouge, vert et bleu sur l’écran qui affiche l’image. Les bandes spectrales rouge, verte et bleue de l’image sont représentées en rouge, vert et bleu sur l’écran : on obtient une image dite « en couleurs naturelles », similaire à ce que verrait l’œil d’un astronaute en orbite autour de la Terre. Les couleurs naturelles nous semblent familières. Petit défaut avec cet exemple d’image : il n’est pas facile de distinguer la neige blanche au sol et les nuages, blancs également. Les ombres portées des nuages peuvent aider mais ce n’est pas toujours évident.
Une autre combinaison est très utile dans ce cas : la combinaison « 721 », comme son nom l’indique (à condition de bien connaître MODIS) utilise les bandes spectrales 7 (infrarouge thermique, centrée sur la longueur d’onde 2,155 µm), 2 (proche infrarouge à 0,876 µm), et 1 (rouge, centrée sur la longueur d’onde 0,670 µm). Ces trois bandes sont respectivement associées aux canaux rouge, vert et bleu de l’écran de visualisation. Dans cette représentation, la végétation active, en raison de la synthèse chlorophyllienne, apparaît en vert intense. L’eau apparaît en noir ou en bleu foncé s’il y a des sédiments en suspension. La neige ou les nuages de glace en altitude, plus froids et rayonnant moins dans l’infrarouge thermique, absorbent également le proche infrarouge : ils apparaissent bleutés. Les autres nuages sont blancs, les petites gouttes d’eau diffusant de manière équivalente les bandes visibles et proche infrarouge. C’est pour cette raison qu'une représentation différente de la même image permet visuellement de mieux distinguer les nuages et la neige. Cette dernière apparaît en couleur bleutée, un peu comme la couleur de ma peau après quelques kilomètres passés à marcher dans la neige, pour regagner l’aéroport de Roissy, au milieu d’un trafic totalement paralysé. La composition colorée 721 met également particulièrement bien en évidence les zones brûlées en raison des "réponses" différentes de la végétation active et de celle qui a été parcourue par le feu.
La même composition d’images acquise par le capteur MODIS du satellite Aqua le 9 décembre, représentée cette fois-ci avec la combinaison de couleurs dite « 721 ». On distingue facilement la neige et les nuages bas. Crédit image : NASA/GSFC, MODIS Rapid Response.
Le 8 décembre, la Grande-Bretagne et l'Irlande ont également connu des chutes de neige importante, comme l'illustrent les deux images ci-dessous acquises par le satellite Aqua. Ici, on voir aussi la couleur cyan des nuages les plus froids.
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Deux représentations d'une image aquise le 8 décembre 2010 par le satellite Aqua au dessus du
Royaume-Uni et de l'Irlande. Crédit image : NASA/GSFC, MODIS Rapid Response.
L’instrument MODIS des satellites Aqua et Terra acquiert des images dans 36 bandes spectrales, de 0,4 µm à 14,4 µm avec une résolution de 250 m à 1 km selon les bandes.
Le vendredi 10 décembre 2010, ENVISAT montrait à nouveau une situation météorologique contrastée entre le nord et le sud de la France :
Extrait d'une image acquise le 10 décembre 2010 à 10h38 UTC par le satellite européen Envisat.
La résolution est réduite par deux par rapport à l'image d'origine. Une correction de dynamique
a été appliquée par Planète Sciences Midi-Pyrénées. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
En savoir plus :
- L'article de Sylvestre Huet sur le blog Sciences2 de Libération.
- Sur le site du Sénat, le rapport de la mission d'information commune sur les conséquences de la tempête Xynthia.
- D'autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur les phénomènes météorologiques.
- Un autre article parlant des compositions colorées des images satellites.
- Une page sur l'épisode neigeux du 8 décembre sur le site de Météo France.
- Le site MIRAVI de l'agence spatiale européenne.
- Le site MODIS Rapid Response de la NASA.
Suggestions d'utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur la carte de vigilance : à partir des cartes publiées sur le site de Météo France, étudier le contenu de la carte, la signification de la légende. En retrouvant des cartes de vigilance correspondant à des évènements météorologiques de l'année 2010 (tempête Xynthia, inondations dans le Var, orages du 14 juillet, pluies du 11 novembre), questions et hypothèses sur les phénomènes en question.
- Travail sur les compositions colorée et la représentation des images : en utilisant différentes images MODIS publiées sur le blog Un autre regard sur la Terre et un logiciel de retouche d'image permettant les manipulations des canaux de couleurs (Gimp par exemple), construire différentes représentations d'une même image et analyser ce que chaque composition met en évidence.