Les Alpes, Turin et la côté italienne vus depuis l’espace
Dix jours avec les jeux olympiques de Sotchi, le skieur Alexis Pinturault a l’air en pleine forme : après son succès au slalom de Wengen en Suisse, il a remporté dimanche 26 janvier 2014 sa deuxième victoire de la saison dans le super-combiné de Kitzbühel, sur la montagne Hahnenkamm, en Autriche.
Ironie du sort, après la crainte de manque de neige, les épreuves du super-G et du slalom du super-combiné sur la célèbre piste Streif ont été retardées à causes des chutes de neiges importantes en début de matinée. En fin de semaine dernière, la neige ne tombait pas par son propre poids : les organisateurs de la compétition avaient fait effectuer des dizaines de rotations d’hélicoptères pour amener des centaines de tonnes de neige sur le bas de la descente.
Image du nord de l’Italie et du Sud des Alpes prise le 12 janvier 2014 depuis la Station Spatiale
Internationale par les astronautes de l’expédition 38. Image référence ISS038-E-028044.
Crédit image : NASA
Au moment où l’image ci-dessus est prise, la station spatiale internationale est pratiquement à la verticale de Wengen en Suisse. Au premier plan le vaisseau Cygnus et le bras robotisé Canadarm2. Une partie d’un des panneaux solaires du Cygnus masquent la ville de Turin, où est installé le site de Thales Alenia Space qui fabrique le module cargo pressurisé (PCM pour pressurized Cargo Module), un des deux modules du Cygnus. En haut de l’image, le golfe de Gènes.
Mais on remarque d’abord le relief des alpes souligné par la couverture neigeuse. Alors que les astronautes surveillent attentivement l’arrivée du vaisseau Cygnus et commandent le bras qui doit le capturer, est-ce qu’une partie de l’équipage russe se demande comment il peut y avoir autant de neige dans les Alpes ?
Trop de neige, pas assez de neige...
Il est vrai qu’à dix jours de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques d’hiver 2014 à Sotchi, la question de la neige se pose comme à Kitzbühel.
Organiser les 22èmes jeux olympiques d’hiver dans une station balnéaire, sous un climat tempéré, avec des palmiers, il fallait y penser…
Les russes semblent aimer les défis : alors que le mot Russie est inévitablement associé au mot neige, ils ont choisi d’organiser les jeux olympiques d’hiver à proximité des doux rivages de la mer noire, à la même latitude que la côte d’Azur : au pied de la chaîne du Grand Caucase la latitude de la ville de Sotchi est de 43°36′N, plus au sud que Nice, à 1360 km au sud de Moscou.
Sur la côte est de la mer noire, la région de Sotchi vue par le satellite Landsat 8 le 20 décembre 2013
à 8h03 UTC. Composition colorée en couleurs naturelles. Crédit image : US Geological Survey (USGS)
La page Wikipédia de Sotchi mentionne un climat subtropical humide : « les températures en hiver tombent rarement au-dessous de zéro… Les précipitations sont abondantes toute l'année.
Dans la classification des climats de Köppen, la région de Sotchi bénéficie d’un climat de type Cfa : C = Climat tempéré, f = climat humide avec des précipitations toute l’année, a = été chaud.
A condition de monter assez haut, les montagnes sont généralement bien enneigées, comme le confirme l’extrait de l’image prise par le satellite Landsat 8 en décembre dernier ou cette image plus récente prise par l’instrument MODIS du satellite Terra le 15 janvier.
La région de Sotchi Image prise par l’instrument MODIS du satellite américain Terra le 15 janvier.
En haut, couleurs naturelles. En bas, composition colorée des canux 3,6 et 7.
Crédit image : NASA / GSFC / MODIS Rapid response
Cette image permet de localiser l’Elbrouz, le point culminant de la chaîne du Caucase, qui n’apparaît pas sur l’extrait d’image du satellite Landsat. Avec 5642 mètres d’altitude, c’est le plus haut sommet d’Europe. Si vous ne le trouvez pas, un coup d'oeil sur Google Earth devrait vous aider. En hiver, la température peut chuter en dessous de -50 °C au sommet. Subtropical peut-être mais surtout subzéro…
Des températures « guère froides »
A Sotchi, près de la côte, même si la température record la plus froide est -13,4 °C (janvier 1892), la température minimale en février est de 3,2°C : il peut neiger (13 jours par an en moyenne selon wikipedia) mais on pourra aussi voir des parapluies au bord des pistes (154 jours de pluie par an en moyenne.
Le 27 janvier, le journal Libération titrait « Ambiance glaciale entre Washington et Moscou avant les JO de Sotchi ». Pas sûr que les températures modérées du bord de la mer noire suffisent à réchauffer l’ambiance…
Malgré les décisions (libération des membres du groupe Pussy Riot) et déclarations récentes (« nous accueillerons tous les sportifs et tous les visiteurs aux jeux olympiques ») de Vladimir Poutine, le président américain, Barack Obama, mais également François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel ont annoncé qu'ils ne se rendraient pas à Sotchi.
JO 2014 : y aura-t-il de la neige à Sotchi pour les Jeux Olympiques d’hiver ?
Les russes ont pris leurs précautions pour éviter la mésaventure arrivée à Vancouver en 2010 : un hiver exceptionnellement doux avec peu de neige dans une région où l’hiver est doux…
A Sotchi, le complexe olympique est construit au bord de de la mer, très exactement à Adler, une station balnéaire à vingt kilomètres au sud de Sotchi, comme le montrent les images suivantes, deux extraits d’une scène prise par le satellite Pléiades le 19 décembre 2013, pratiquement le même jour que l’image de Landsat 8.
JO2024 - Sotchi : le parc olympique à Adler. Deux extraits d’une image prise par le satellite
Pleiades le 19 décembre 2013. La résolution est réduite par rapport à l'image d'origine.
Copyright CNES – Distribution Spot Image / Astrium Services.
Cela ne vous fait pas immédiatement penser aux sports d’hiver et à la neige ? Vous voyez plutôt une installation du style de ceux des JO à Londres en juillet 2012 ou à la coupe du monde de football en Afrique du Sud ? Moi aussi…
Les pistes ont été aménagées dans la station de ski de Krasnaïa Poliana, à 600 mètres d’altitude, avec un domaine skiable jusqu'à 2200 m.
Redoutant un scénario similaire à celui de Vancouver, les russes et le comité olympique de Sotchi ont sorti les grands moyens et fait venir à Sotchi des spécialistes de la neige, comme le Finlandais Mikko Martikainen, le fondateur de la société Snow Secure Ltd. En complément des solutions classiques de production de neige artificielle (y compris quelques canons à neige qui fonctionnent jusqu’à 15°C), une idée « toute simple » a été proposée : stocker la neige à l’abri de la chaleur d’une saison sur l’autre.
Quatorze gros bonhommes de neige avec un grand manteau
Depuis le printemps 2013, 700000 m³ de neige, naturelle et artificielle, ont ainsi été collectés par des dameuses et stockés en quatorze tas à plus de 1100 mètres d’altitude.
L’isolation thermique est réalisée soit par un tissu géotextile mouillé, qui se refroidit par évaporation, soit par des couvertures isolantes, ressemblant aux isolants minces constitués de plusieurs couches d’aluminium. Il suffisait aussi d’y penser…
Les travaux d’Hercule avancent
Le stockage de la neige est un chantier impressionnant mais l’aménagement du village olympique l’est encore plus, comme on peut le constater sur l’image du satellite Pléiades ou en naviguant dans le temps avec Google Earth : une séquence de 8 images prises entre 2005 et 2014 illustre l'ampleur des travaux accomplis pour préparer l'arrivée des Jeux. Difficile de croire que les champs visibles en 2005 correspondent à ce qu’on voit aujourd’hui sur l’image de Pléiades.
Adler, le site du village olympique en avril 2005. Incroyable mais c'est bien le site du parc et du
village olympique. Copie d’écran obtenue avec Google Earth. La séquence complète est visible
dans l’album photo sur les JO de Sotchi.
Sur son site Internet, la division GEO-Information d’Airbus Defence & Space a réalisé une vidéo sous forme d’un survol en perspective des équipements touristiques et sportifs de Sotchi en Russie. Les données utilisées proviennent des satellites Spot 6 et Pléiades : l’ensemble du site est couvert par une image en champ large provenant de Spot 6. Les images Pléiades (dont celle présentée ici), à plus haute résolution couvrent les nouveaux équipements et les bâtiments du parc olympique. Le modèle 3D utilisé pour la représentation en perspective est lui-même construit à partir d’images satellites (couples stéréo).
La vidéo du survol de Sotchi produite par la division Geo-information d'Airbus Defence and Space
Glaçon, l’addition !
Au bord de la mer noire, comme l’eau, l’addition est salée : alors que le budget était initialement de 7 milliards d’euros, un rapport du Parlement russe estime que plus de 35 milliards d'euros ont été dépensés à Sotchi. D'autres sources mnetionnent des chiffres plus élevés. On n’est pas très loin des jeux les plus chers de l’histoire avec les 40 milliards dépensés à Pékin pour les JO d’été de 2008.
Et ce ne sont pas les chiffres définitifs... Vancouver fait figure de petit joueur avec 1,5 milliard d’Euros.
ARTE a diffusé mardi 28 janvier un reportage assez édifiant sur les travaux de préparation des Jeux Olympiques à Sotchi et à Krasnaya Polyana et leur financement. Il sera rediffusé le jeudi 6 février à 8h55. A voir en replay si vous l'avez manqué...
Quand on découvre que la Tchétchénie et Grozny sont à moins de 500 kilomètres de Sotchi vol d’oiseau, on prend également conscience de la dimension politique des jeux olympiques d’hiver.
Inondations dans le sud-est de la France : l’eau en fait voir de toutes les couleurs…
Départ de Sotchi et retour en France avec d'autres images d'actualité.
La première image de cet article, celle prise depuis l’ISS montrait un ciel dégagé et du beau temps sur les Alpes. C’était beaucoup moins vrai sur la côte d’Azur entre Menton, Nice et Toulon, où la couverture nuageuse est bien dense.
Une semaine après que cette photographie eut été prise, les départements du Var et des Bouches-du-Rhône étaient balayés par des trombes d'eau pendant tout le week-end du 18 et du 19 janvier. Les communes d’Hyères, La Londe-les-Maures et Le Lavandou ont été les plus touchés par les inondations.
Je n’ai pas encore vu d’images satellites à haute résolution des dégâts. La couverture nuageuse complique la prise de vue.
Par contre, l’image suivante à moyenne résolution, prise par l’instrument MODIS du satellite Terra le mardi 21 janvier 2014, montre indirectement qu’il s’est passé quelque chose d’anormal : la couleur de l’eau au niveau des embouchures de fleuves ou de rivière est fortement modifiée par l’apport massif de sédiments : les eaux boueuses créée par la pluie qui ont ruisselé à la surface des sols.
Les effets indirects des inondations dans le sud-est en janvier 2014 : les modifications de la couleur
de l’eau vue par satellite. Extrait d’une image acquise par l’instrument MODIS du satellite Terra
le 21 janvier 2014. Crédit image : NASA / GSFC / MODIS Rapid Response
Neige et couleur de l'eau : ailleurs dans le monde en janvier 2014
Vous vous demandez quel est le lien avec Cuba et le Canada ? A part le bras robot de l'ISS Canadarm2 visible dans la premère image de cet article, il n'y en a pas...
Mais pour finir sur une note positive, voici un petit florilège de quelques images prises récemment depuis l'espace. si vous aimez les eaux dont la couleur donne envie de se baigner ou les grandes étendues enneigées, elles devraient vous plaire...
Rue des nuages
L’image suivante provient de l’instrument GOCI (Global Ocean Color Imager) du satellite COMS. En dehors des imageurs pour la météorologie, c’est un des rares instruments d’observation à partir de l’orbite géostationnaire : il observe la couleur de l’eau dans 8 bandes spectrales avec une roue à filtres. Airbus Defence and Space (ex-Astrium) a signé en juillet 2013 un contrat pour la réalisation d’une nouvelle génération de cet instrument, GOCI-II qui offrira une résolution améliorée (250 mètres) et davantage de bandes spectrales (12).
Autour de la Corée et du site des JO d'hiver 2018 des alignements étonnants de nuages.
Image prise par l'instrument GOCI du satellite coréen COMS le 9 janvier 2014 à 5h16 UTC.
Crédit image : KARI / KORI
Cette image montre la couverture neigeuse au nord de la péninsule de Corée. Les jeux olympiques de Sotchi ne sont pas très loin : c’est la Corée du sud qui accueillera en 2018 à Pyeongchang les 23èmes Jeux Olympiques d’hiver, avec comme en Russie, un pôle côtier à Gangneung et un pôle alpin à Daegwallyeong-Myeon.
L’image permet également de voir au nord-est de belles « rues de nuages » (cloud streets en anglais), des formations nuageuses créés par des rouleaux alternant mouvements verticaux ascendants et descendants. Ces nuages se forment lorsque la couche basse de l'atmosphère est instable, surmontée par une inversion de température avec un vent soutenu en altitude.
Anneau olympique : le Québec à l'oeil
Situé dans la province du québec au Canada, le cratère de Manicouagan aurait été formé par le chute d’un astéroïde de 5 km de diamètre il y a environ 215 millions d’années. Photographié début janvier par l’équipage de la Station Spatiale Internationale, il a un diamètre apparent d’environ 100 kilomètres avec une île centrale, l'île René-Levasseur. Le lac annulaire (70 km de diamètre) a été formé par inondation au moment de la construction du barrage hydroélectrique Daniel Johnson. C’est l’un des plus gros réservoirs du monde.
Au Canada, le cratère Manicouagan photographié le 2 janvier 2014 par les astronautes de
l'expédition 38 de l'ISS. Image référence : ISS038-E-025350.Crédit image : NASA
Si vous préférez la baignade dans les eaux turquoises des Caraïbes, voici une dernière image prise le 24 décembre 2013, toujours par les astronautes de l’ISS. C’est la partie ouest de Cuba, avec au sud l’île de la Jeunesse. Au nord, la ville de la Havane.
l'île de Cuba photographiée par les astronautes de l'expédition 38 de l'ISS le 24 décembre 2013.
Image référence : ISS038-E-021397. Crédit image : NASA
Trois chaînes de montagnes traversent le pays : la Sierra de Guaniguanico, la La Sierra de los Organos et la La Sierra del Rosario. Le point culminant de Cuba est le Pico Turquino à 2.005 m d'altitude (situé au sud-ouest, il n'est pas visible sur l'image).
Avec des températures comprises entre 18 et 25°C en février, il y neige encore moins qu'à Sotchi...
Une idée de destination pour des jeux d'hiver futurs ? Cuba bénéficie également d'un climat subtropical.
En savoir plus :
- Le site officiel des jeux olympiques d’hiver de Sotchi, avec le plan du parc olympique et une carte interactive des équipements sportifs.
- Sur le site de la division Geo-information d’Airbus Defence and Space, la video du survol de la région de Sotchi (également sur youtube) et dans la galerie d’images, une image prise par le satellite Pléiades.
- Sur le site climate-data, une page sur le climat à Sotchi.
- Un album d'images de la région de Sotchi prises par les satellites d'observation.
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans la catégorie "images d'actualité, images de la semaine".
- Sur la site d'Arte.tv, un dossier très complet sur les jeux olympiques de Sotchi et la vidéo en replay de l'émission diffusée le 28 janvier : "Quand Poutine fait ses jeux".