La partie sud de la mer Morte vue par le satellite SPOT 6 en février 2013.
Copyright 2013 Astrium GEO-Information Services
C’est le point le plus bas du monde sur la terre ferme : actuellement, 423 mètres sous le niveau de la mer. La mer Morte est un lac salé partagé entre Israël et la Jordanie. L’image présentée ici a été publiée par Astrium GEO-Information dans la galerie d’images de Spot 6. Elle montre surtout la partie sud de la mer Morte, celle qui est équipée de digues délimitant des bassins d’évaporation pour l’exploitation des sels contenus dans l’eau. Au nord, une langue de terre sépare les parties septentrionales et méridionales de la Mer Morte. C’est la péninsule de Lisan, partiellement masquée par les nuages. L’image en couleurs naturelles permet également de localiser les parcelles d’agriculture irriguée, à l’est de la mer Morte. Notez les ombres portées des petits nuages : un petit jeu en vue en classe pour les fans de cadrans solaires ?
Au total, la mer Morte a une longueur de 67 kilomètres sur 18 kilomètres de largeur. La surface est d’environ 810 km2.
Du point de vue géologique, la mer Morte est située dans la vallée du rift jordanien, à la limite entre deux plaques tectoniques, la plaque arabique à l’est et la plaque africaine à l’ouest, qui s’écartent et entraînent un affaissement du terrain. Le phénomène existe depuis des millénaires.
Tout le monde connaît la salinité exceptionnelle de la mer Morte : avec plus de 270 grammes par litre d’eau (10 fois la salinité moyenne de l’eau de mer), apprendre à nager ne présente aucune difficulté… La salinité de la mer Morte lui vaut son nom : aucun poisson ne peut vivre dans cet environnement (qui convient néanmoins à des organismes microscopiques et des bactéries).
Longue agonie
L’évolution du niveau et de la surface de la mer Morte est moins connue. L’alimentation en eau douce par le Jourdain ne suffit pas à maintenir le niveau d’eau de la mer morte : la profondeur moyenne est encore de 118 mètres mais le niveau de la surface descend d’environ un mètre par an.
Les deux raisons essentielles sont :
- L’exploitation croissante des eaux du Jourdain, la source principale d’alimentation en eau douce de la mer Morte, pour l’irrigation des parcelles agricoles. Certaines sont bien visibles sur l’image SPOT 6.
- La production industrielle de sels et de minéraux dans la partie sud de la mer Morte, à l’origine de l’évaporation de volumes d’eau importants et de risques de pollution : pas seulement le sel pour l’alimentation (chlorure de sodium, NaCl) mais aussi magnésium, potasse, soude caustique, etc. Le quadrillage des digues qui délimitent les bassins d’évaporation est bien visible sur l’image Spot 6.
Extrait de l’image prise par Spot 6 en février 2013.Notez les nuances de
couleurs dans les différents bassins. Copyright 2013 Astrium GEO-Information Services
Comme la mer d’Aral et le lac Tchad, la mer Morte a perdu, ces cinquante dernières années, le tiers de sa superficie : selon un rapport de la Banque Mondiale, elle est passée de 950 km2 à 637 km2. Le phénomène est tel que la Mer Morte est désormais séparée en deux parties distinctes.
D’autres chiffres illustrent l’importance du phénomène : la mer Morte ne reçoit plus aujourd’hui que 260 millions de m3 d’eau par an, contre 1250 millions en 1950. Son niveau est descendu d’environ 30 mètres : il était encore à 394 mètres sous le niveau de la mer dans les années soixante.
40 ans d’évolution de la mer Morte vue par les satellites d’observation de la Terre
Sans remonter jusqu’au début des années soixante, les archives d’images prises par les satellites d’observation témoignent de 4 décennies d’évolution de la mer Morte. J’ai sélectionné ici trois images acquises par les satellites américains Landsat :
- Une image prise par le scanner MSS (Multispectral Scanner System) de Landsat 1 le 15 septembre 1972.
- Une image prise par l’instrument Thematic Mapper (TM) de Landsat 4 le 27 août 1989.
- Une image prise par Landsat 7 et son capteur de nouvelle génération ETM+ (Enhanced Thematic Mapper Plus) le 11 octobre 2011.
Trois images montrant l’évolution de la mer Morte sur 4 décennies. Elles ont été acquises par les
satellites de la famille Landsat en 1972, 1989 et 2011 vers la fin de l’été. Crédit image : NASA /USGS
Contrairement à l'image de SPOT 6, ces trois images ne sont pas en couleurs naturelles : elles sont présentées ici sous forme de compositions colorées combinant les données acquises dans les bandes spectrales proche infra-rouge (affiché en rouge à l’écran), rouge (affiché en vert) et vert (affiché en bleu). On retrouve le principe de translation (décalage vers les longueurs d’onde plus courtes) utilisé avec d’autres instruments comme MODIS ou le capteur multispectral de Spot.
Les lecteurs du blog Un autre regard sur la Terre doivent commencer à connaitre ce procédé, encore récemment illustré avec les images MODIS de la France sous la neige ou les nuages.
Même si les instruments des trois satellites Landsat sont différents, il est possible de comparer les images de 1972 à 2011, à condition de choisir les mêmes bandes spectrales ou des bandes spectrales proches.
Pour l’instrument MSS de Landsat 1, les bandes 4, 2 et 1 ont été utilisées. Pour les instruments TM ou ETM+, ce sont les bandes 4, 3 et 2. Je reviendrai dans un prochain article sur les bandes spectrales des instruments multispectraux des principaux satellites.
Avec ce choix de bandes spectrales, les eaux profondes apparaissent en bleu marine, les bleus plus clairs correspondent aux eaux moins profondes de la partie sud de la mer Morte. La végétation, en particulier les larges surfaces de cultures irriguées, est reconnaissable à sa couleur rouge vive : si un pixel est rouge vif, cela signifie qu’un surface au moins égale à quelques centaines de mètres carrés (correspondant à la résolution du satellite Landsat) est couverte de végétation active. Les teintes rose ou ocre correspondent aux zones désertiques.
Une addition salée pour faire vivre la mer Morte
En apparence, c’est l’application d’un principe très simple : les vases communicants. Mais à très grande échelle : prendre l’eau de la mer Rouge pour l’emmener dans la mer morte !
Comment ? En creusant un canal sur une longueur de 180 kilomètres. L’image suivante permet de se rendre compte de l’ampleur du projet. L’idée n’est pas nouvelle mais le projet vient d’être réactualisé dans un rapport récent de la banque mondiale, publié à l’issue d’une étude démarrée en 2005. Les objectifs : réalimenter la mer Morte, construire une usine de désalinisation et produire de l’énergie avec des turbines hydrauliques. Jusqu’à 2 milliards de m3 d’eau pourraient transiter chaque année dans ce canal.
Le coût du projet ? Dix milliards de dollars…
La mer Rouge et la mer Morte vue par le capteur MERIS du satellite européen Envisat. Extrait d’une
image acquise le 24 décembre 2012 à 7h45 UTC. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Un projet pharaonique qui soulève de nombreuses réserves
Des organisations non gouvernementales et des associations écologistes dénoncent les risques environnementaux (développement d’algues rouges, infiltrations d’eau de mer dans les nappes phréatiques, etc.) sous-estimés par les promoteurs du projet.
Au-delà de l’intérêt pour les entreprises associées à la construction du canal et de l’usine de désalinisation, les opposants affirment également que la population ne bénéficierait pas des ressources en eau supplémentaires, qui seraient vendues à un prix inabordable pour elles.
Investissement dans les infrastructures spatiales et continuité des observations
L’exemple de l’évolution de la mer Morte illustre l’intérêt de la continuité des observations par satellites, comme dans d’autres domaines comme le suivi de la déforestation ou le développement urbain.
L’image la plus ancienne présentée ici date de septembre 1972. 1972, c’est également l’année du lancement d’un des tout premiers satellites d’observation de la Terre. Landsat 1 a fonctionné jusqu’en 1978. Landsat 4 a été lancé en 1982 et a fonctionné 11 ans jusqu’en 1993. Landsat 7 a été lancé en 1999.
C’est avec les satellites Landsat que la télédétection a pris son essor, dans de nombreux domaines d’application : agriculture, forêts, catastrophes naturelles, zones côtières, etc.
Pour contribuer à assurer cette continuité, la NASA vient de lancer un nouveau satellite : LDCM (Landsat Data Continuity Mission). A la fin de la recette en vol, il sera rebaptisé Landsat 8.
En Europe, quelques missions d’observation de la Terre sont financées par la puissance publique dans le cadre du programme européen GMES : ce sont les satellites Sentinel développés par l’Agence Spatiale Européenne. Ils seront lancés à partir de 2014. La panne d’Envisat au printemps 2012 illustre cependant la difficulté à assurer la continuité des missions en observation de la Terre.
En Europe, pour la plus haute résolution (par exemple l’image du satellite SPOT 6 de la mer Morte), le contexte est assez différent : SPOT 7, lancé en septembre 2012, a été intégralement financé et fabriqué par Astrium. Suivi par Spot 7 (NDLR : en panne depuis début 2023), il assure la continuité de la famille Spot, initialement financé par la France et d’autres pays européens.
En savoir plus :
- D’autres articles du blog Un autre regard sur la Terre avec des images de la mer Morte en décembre 2010 au moment de l’incendie du Mont Carmel :
- Incendie du mont Carmel près d'Haïfa en Israël : le panache de fumée vu de l’espace témoigne de l’importance du feu.
- Incendie en Israël (Haïfa) : toujours visible depuis l'espace sur les images du satellite européen ENVISAT
- Incendie du mont Carmel en Israël : les premières cartes détaillées des dégâts à partir d’images de satellites d’observation
- Un article sur l’évolution de la mer d’Aral.
- Sur le site de la Banque Mondiale, le rapport sur le projet de canal entre la mer Rouge et la mer Morte.
Suggestions d’utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur le développement de l’agriculture autour de la mer Morte.
- Travail sur les représentations colorées et le choix des bandes spectrales.
- Amusez-vous à comparer l’image Landsat la plus récente (2011) avec celle prise par Spot 6 début 2013. Comment expliquez-vous les différences ?