Une première à Toulouse, à la Cité d el'espace : Ariane décolle sur Ariane... Une nocturne lumineuse
à la Cité de l'espace avec la retransmission du lancement de la fusée Ariane 5 VA214. Les amateurs
de réglage de vidéoprojecteurs ont apprécié la projection sur trois cylindres. En prime,
un superbe feu d'artifice et une soirée de découverte de l'astronomie avec les animateurs de
Planète Sciences Midi-Pyrénées et les clubs astro de la région. Crédit image et montage : Gédéon
Et un 56ème succès consécutif ! Ariane 5 en fait des tonnes…
C'était le 70ème lancement d’une fusée Ariane 5 et le troisième lancement de l’année 2013. Une nouvelle réussite dans une activité qui est tout sauf de la routine...
Après les 20250 kg du véhicule de transfert automatique ATV-4 Albert Einstein (20252 kg) le 5 juin 2013 et les 10317 kg des satellites Amazonas 3 et Azerspace/Africasat-1 le 7 février 2013, le vol VA214 a emporté en orbite de transfert géostationnaire une charge utile totale de 9760 kg (dont 8770 kg pour les deux satellites).
Le 25 juillet 2013, la mission Ariane VA214, avec une version Ariane 5 ECA, a lancé le satellite de télécommunications mobiles Alphasat pour l’opérateur Inmarsat et le satellite météorologique INSAT-3D pour l’ISRO (Indian Space Research Organisation).
Le décollage du lanceur Ariane 5 ECA a eu dans la nuit du 25 au 26 juillet 2013, exactement à l'heure prévue : 19h54 UTC (soit 21h54 à Paris et Toulouse, 16h54 en Guyane).
Deux de plus… Les satellites Alphasat et INSAT-3D intégrés l’un sur l’autre dans la coiffe de la
fusée Ariane 5. Crédit image : ESA – CNES – Arianespace – Optique vidéo du CSG – J.M Guillon
Les records d’Ariane 5 : elle fait le poids pour la masse
En complément de l’article publié en décembre 2012 sur l’historique des lancements d’Ariane, voici quelques informations au sujet de quelques charges utiles récentes d’une masse record.
Il faut bien sûr distinguer les types d’orbites visées : l’orbite basse (LEO pour Low Earth Orbit) et l’orbite de transfert géostationnaire (GTO pour Geostationary Transfer Orbit). Dans ce dernier cas, c’est le moteur d’apogée du satellite qui circularise de l’orbite intermédiaire (très elliptique avec un périgée à environ 248 km d’altitude pour le vol 214 et un apogée à 35945 km) et atteindre l’orbite circulaire définitive.
Livre des records : la masse d’Ariane
En juillet, on cherche plutôt à perdre du poids et c’est la période des régimes. Ariane 5 continue de tourner à plein régime mais sans perdre de poids, au moins pour la charge utile.
Toutes les informations données ici proviennent de documents publiés par les opérateurs de satellites, les constructeurs (par exemple Astrium ou Thales Alenia Space en France) et par Arianespace, en particulier les kits d’information lancement et le registre des lancements (launch log). J’ai également vérifié avec quelques sites perso très bien documentés (voir la liste des liens ci-dessous) et l’incontournable wikipedia.
Pour être très précis, il faut également bien comprendre la différence entre la masse totale de la charge utile au lancement (ce qu’Arianespace appelle la performance demandée au lanceur) et la masse nette des satellites en début de vie : la différence vient des adaptateurs de lancement, en particulier pour les lancements doubles : le SYLDA (Système de lancement double Ariane) a une masse de 400 à 530 kg selon les configurations. Les adaptateurs de charge utile (ACU), un par satellite, pèsent 160 kg.
A gauche, configuration de lancement d’Ariane 5 dans sa version ECA montrant le SYLDA
et les adaptateurs de charge utile. A droite, les nombreux logos sont à l’image
d’une coiffe très bien remplie par Alphasat et INSAT-3D.
Crédit image : ESA – CNES – Arianespace – Optique vidéo du CSG – P. PIRON
Les cargos ATV : des poids lourds en orbite basse.
En orbite basse, ce sont les véhicules de transfert automatique ATV de l’Agence Spatiale Européenne, destinés à ravitailler la station spatiale internationale, qui sont de loin les charges utiles les plus importantes mise en orbite par la fusée Ariane 5. En juin 2013, pour la mission VA213, la fusée emporte 20252 kg : l’ATV-4 Albert Einstein avait une masse totale de 19887 kg, un peu supérieure à celle des trois ATV déjà lancés : Jules Verne (mars 2008, 19012 kg), Johannes Kepler (février 2011, 19702 kg) et Edoardi Amaldi (mars 2012, 19714 kg), avec plusieurs articles sur le blog Un autre regard sur la Terre.
Pour l’orbite héliosynchrone, celle des satellites d’observation de la Terre, aux alentours de 800 km d’altitude, le record date toujours de mars 2002 : la mission VA145 mettait en orbite les 8200 kg du satellite européen ENVISAT, dont les images ont souvent fait l’objet d’articles sur le blog Un autre regard sur la Terre avant sa fin de mission en 2012.
Vers l’orbite géostationnaire : plus de dix tonnes, ça vous étonne ?
Mettre en orbite géostationnaire de gros satellites de télécommunications, souvent sous forme de lancements doubles, est la mission de référence et l’utilisation principale de la fusée Ariane 5.
Même si Alphasat est gros, le record pour un seul satellite reste à ce jour le lancement de TerreStar-1 construit par Space Systems/Loral et mis en orbite le 1er juillet 2009. La masse de TerreStar-1 est de 6910 kg (masse totale au lancement : 7055 kg).
Toujours vers l’orbite géostationnaire, la charge utile totale la plus importante (au moins jusqu’en juillet 2013) correspond aux deux satellites Amazonas 3 et Azerspace/Africasat-1A lancés le 6 février 2013 par le vol VA212 : la masse totale des deux satellites au lancement était de 9540 kg. La performance demandée au lanceur est de 10350 kg.
Décollage de la fusée Ariane 5 (vol VA212) emportant les deux satellites Azerspace/Africasat-1a
et Amazonas-3. Une charge utile record pour Ariane 5.
Crédit image : ESA - CNES - Arianespace - Photo Optique Video CSG, S. Martin
Souvenirs, souvenirs : l’athlète Ariane a bien progressé en haltérophilie…
Le 12 octobre 1999, le premier vol commercial emporte le télescope XMM-Newton qui pèse 3764 kilogrammes.
Lancé en juillet 2004, Anik F2 de l’opérateur canadien Telesat, était à l’époque le plus gros satellite de communication du monde, avec une masse de 5950 kilogrammes.
Un an plus tard, en août 2005, il est dépassé par Thaicom 4 (alias IPSTAR) et ses 6486 kg.
La même année, le 16 novembre, Pour son 24ème lancement, Ariane 5 emporte une charge totale de 9150 kg dont 8095 kg pour les deux satellites Spaceway 2 (pour l’opérateur américain DIRECTV) et Telkom 2 (pour l’opérateur indonésien PT Telekomunikasi Indonesia Tbk).
Ce record est battu par la mission VA171 en mai 2006 avec une performance demandée au lanceur Ariane 5 ECA de 9212 kg et une charge utile record de 8222 kg pour les deux satellites Satmex 6 et Thaicom 5.
En novembre 2007, la masse des satellites Star One C1 et Skynet 5B mis en orbite par la fusée Ariane 5 VA179 est de 8735 kg (charge totale de 9535 kg).
Il faut ensuite attendre le 22 avril 2011 et le 201ème lancement d’Ariane pour inscrire un nouveau record avec les satellites Yahsat Y1A et Intelsat New Dawn, avec un masse totale de 8965 kg (performance demandée au lanceur : 10064 kg).
Le 2 août 2012, Arianespace fête le 50ème succès consécutif de la fusée Ariane 5 avec un nouveau record mondial pour l’orbite GTO : 10182 kg dont 9405 kg pour les deux satellites Intelsat 20 et Hylas 2.
Orbites atypiques : Herschel se planck dans Lagrange
A côté des deux orbites principales (LEO et GTO), il y a également quelques missions plus exotiques, en particulier pour des missions scientifiques, par exemple le 188ème lancement d'Ariane a mis sur orbite deux satellites scientifiques pour le compte de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) : le télescope spatial Herschel et l'observatoire scientifique Planck, dont les résultats scientifiques très intéressants ont fait l’objet de communications récentes.
Pour le 44ème lancement d’une fusée Ariane 5, la performance demandée au lanceur était de 6001 kg dont 5322 kg pour les deux missions scientifiques.
Pas une masse particulièrement élevée mais une orbite très particulière : le périgée est assez classique (270 km d’altitude) mais l’altitude de l’apogée était supérieure à un million de kilomètres, très exactement 1193622 km à l’injection ! Une paille pour Lagrange…
Et quand même un record : avec un diamètre de 3,50 mètres, le miroir du télescope Herschel, fabriqué par Astrium, est à ce jour le plus grand miroir déployé dans l'espace.
Le télescope Herschel en orbite autour du point de Lagrange L2. Crédit image : ESA
Orbites hyperboliques : des plans sur la comète
Dans le même genre d’orbites atypiques, il y a également la sonde Rosetta (3065 kg) lancée en mars 2004 par la fusée Ariane 5 VA158. Il s’agit ici d’une orbite hyperbolique de libération.
Evolutions et nouvelle génération : enjeux pour la compétitivité des lanceurs européens
Un peu plus de 10 tonnes en orbite GTO, 20 tonnes en orbite basse : l’augmentation des capacités de lancement depuis les premiers vols d’Ariane 5 illustre la spectaculaire évolution du lanceur et témoigne de la qualité de sa conception amorcée dans les années 80, qui fait preuve d’une grande flexibilité.
On comprend également les enjeux des nouvelles versions à venir pour maintenir la compétitivité de la filière Ariane.
Sa version actuelle reste concurrentielle tant qu'elle peut lancer simultanément deux satellites en orbite GTO. Or, les études de marché montrent une stabilisation ou une augmentation de la masse des satellites, même si l’émergence de la propulsion électrique pour le transfert d’orbite, en réduisant la masse d’ergols embarquée, pourrait changer la donne si cette tendance se confirme : aujourd’hui, il est donc de plus en plus difficile « d’apparier » des satellites pour un lancement double. Des lanceurs optimisés pour lancer un satellite unique pourraient ainsi présenter un nouvel attrait.
Un programme de modernisation d’Ariane 5, appelé Ariane 5 ME pour « Midlife evolution » apporte une première réponse à moyen terme (2017). Les évolutions portent entre autres sur un nouvel étage supérieur cryotechnique Vinci, plus puissant et ré-allumable, en cours de développement chez Safran.
Retrouver le fil d’Ariane
Pour le plus long terme, à l’horizon 2020, l’enjeu est de faire les bons choix pour la nouvelle génération, Ariane 6, et de parvenir à la financer. C’est depuis plusieurs années le grand débat qui anime la communauté spatiale en Europe.
Aux USA, l’erreur commise avec le choix de la filière des navettes spatiales pour le lancement de satellite à un coût raisonnable sera bientôt un mauvais souvenir : l’arrivée du lanceur Falcon 9, développé par la société SpaceX avec des subventions importantes de la NASA, va peut-être contribuer à rebattre les cartes.
Dans ce contexte, on comprend bien la complexité des choix stratégiques pour l’avenir de la filière Ariane.
Ariane 6 se dévoile
La configuration proposée par l’ESA et le CNES vient d’être dévoilée. Du point de vue technique, la configuration retenue est dite « multipropulseur en ligne » avec :
- 4 propulseurs à propergol solide (poudre) identiques, une évolution de l’actuel P80 du lanceur Vega. Les trois premiers sont alignés et forment le 1er étage. Le quatrième propulseur constitue le 2ème étage.
- Le 3ème étage est adapté de celui de la version Ariane 5 ME (le moteur Vinci réallumable).
- La coiffe d’Ariane 6 a la même capacité que celle de son prédécesseur.
La configuration de la fusée Ariane 6. Vue d’artiste d’un futur lancement. Crédit image : ESA
La principale orientation stratégique est la réduction des coûts, avec trois grandes orientations :
- Un seul satellite à la fois : Ariane 6 cible le lancement simple de satellites pesant jusqu'à 6,5 tonnes en orbite géostationnaire.
- Une cadence de lancement plus élevée : 10 à 15 lancements par an, contre 5 à 6 actuellement. C’est intéressant de noter qu’on retrouve une cadence similaire à celle de la génération Ariane 1 à 4 (plus infos dans cet article du blog Un autre regard sur la Terre).
- Une adaptation de l'organisation industrielle : la course à la réduction des coûts suppose de faire évoluer le modèle industriel européen actuel en concentrant la fabrication sur un nombre très réduit de sites de production (Space X procède également ainsi), avec les risques sur l’emploi industriel. Pas facile d’obtenir dans ces conditions le soutien des grands pays concernés, par exemple l’Allemagne, qui comptent sur un « retour géographique », c’est-à-dire des retombées industrielles locales.
Ariane 6 et l’accès autonome à l’espace en Europe seront les grands dossiers de la conférence ministérielle de l’ESA en 2014.
Enfin, la réduction des coûts ne peut pas être la réponse unique à l’évolution du marché, avec le dynamisme américain et les nouveaux pays comme la Chine ou l’Inde : le marché institutionnel européen, encore très limité par rapport au marché américain, ne permet pas de jouer à armes égales sur les lancements commerciaux.
Avoir un lanceur européen, c’est bien mais l’Europe devra également confirmer ses ambitions en matière de besoins institutionnels pour les satellites et de services spatiaux, y compris en affirmant une préférence pour les fournisseurs européens. Dans le domaine de l’observation de la Terre, par exemple dans le cadre du programme Copernicus (anciennement GMES), beaucoup d’images américaines sont encore utilisées alors que l’Europe et ses états membres disposent désormais de capacités équivalentes, notamment avec les satellites Pléiades.
Un mot sur Alphasat : beta test pour Alphabus
Son nom complet est Alphasat I-XL (pour Inmarsat extended L-band). Construit pour l’opérateur Inmarsat, Alphasat est le premier satellite utilisant la nouvelle plateforme européenne Alphabus, développée conjointement par Astrium et Thales Alenia Space avec le soutien de l’ESA et du CNES, pour répondre aux évolutions du marché des satellites de télécommunication. Alphabus est la plateforme la plus puissante du marché et peut mener à bien des missions dont la masse au lancement peut atteindre 8800 kg (avec une masse de charge utile jusqu’à 2 000 kg) et la puissance de charge utile 22 kW.
Le satellite Alphasat pendant son intégration chez Astrium (site Astrolabe) à Toulouse. Cette
photographie montre très bien les deux éléments du satellite principaux : la charge utile à gauche,
la plate-forme Alphabus à droite. Le réflecteur d’antenne et les panneaux solaires ne sont pas
encore en place. Crédit image : Astrium.
Alphasat emporte une charge utile de communications mobiles en bande L (de 1,5 à 1,6 GHz) de nouvelle génération, destinée à augmenter la capacité du réseau mondial de communication à large bande (Broadband Global Area Network, BGAN) d’Inmarsat sur l’Europe, l’Asie, l’Afrique et le Moyen-Orient.
La charge utile d’Alphasat embarque également plusieurs passagers auxiliaires (des « hosted payloads »), en l’occurrence des démonstrateurs technologiques pour l’ESA, dont un équipement de communication laser assurant la liaison à haut débit avec des satellites en orbite basse.
Alphasat en cours de test chez Intespace dans la chambre anéchoïque de la base compacte de
mesures d'antennes Mistral. Crédit image : Astrium
Alphasat, dont la durée de vie prévue en orbite est de 15 ans, aura une masse au lancement de 6 650 kg et une envergure de 40 mètres après déploiement en orbite de ses panneaux solaires. Son réflecteur d’antenne géant a un diamètre de 11 mètres.
Vue d’artiste du satellite Alphasat en orbite. Crédit image : ESA
En savoir plus :
- Suivre la retransmission du lancement VA214 en direct sur le site arianespace.tv.
- Le kit d’information lancement de la mission Ariane 5 VA214.
- Le registre des lancements d’Arianespace : année 2013, années 2011 et 2012, période 2006-2010.
- Le site Internet d’Inmarsat.
- Le site Internet de l’ISRO (Indian Space Research Organisation) et de son centre d’applications spatiales.
- Sur le site d’Astrium, une page sur Alphasat.
- Sur le site de l’Agence Spatiale Européenne (ESA), une page sur Alphasat.
- Sur le site du CNES, le dossier d'information sur la plate-forme Alphabus.
- Un article sur Ariane 6 sur le blog Sciences2 de Sylvestre Huet (journal Libération).
- Sur le site de l'association des anciens élèves des Arts et Métiers (AM), une présentation des lanceurs par Michel Eymard du CNES (direction des lanceurs).
- Les sources d’images satellites en Europe pour les opérations initiales de Copernicus : un exemple avec l’utilisation des différents satellites d’observation pour le service de réponse aux situations d’urgence (Emergency Mapping Service) : mise à jour au 15 juillet 2013.
- Sur Google+, un album photo de la noctune du 25 juillet à la Cité de l'espace de Toulouse.