Le bilan 2020 des lancements orbitaux du blog Un autre regard sur la Terre.
Image de fond : le dernier lancement de l’année 2020, mise en orbite du satellite militaire français CSO-2
(mission Soyouz VS25). Crédit image : Gregory Vienot
Une année exceptionnelle
Année 2020, année COVID-19 ? Dans le spatial, on pouvait s’attendre à des perturbations importantes. En réalité, l’année spatiale 2020 restera dans les mémoires comme une année assez exceptionnelle : un nombre de lancements orbitaux réussis équivalent à celui de 2018 (une année record depuis le début des années 90), des nouveaux lanceurs, des vols habités lancés depuis le sol américain, le record absolu du nombre de satellites mis en orbite et un décollage chinois depuis la Lune (le précédent remonte à 1976). Seule ombre au tableau, un nombre également record d’échecs au lancement, qu’il s’agisse de fusées en exploitation (Vega, Electron) ou de vols de qualification.
Voici mon bilan de l’année spatiale 2020. Un exercice toujours très instructif. Je commence par une synthèse des lancements orbitaux. Dans un deuxième article, je reviendrai plus en détails sur les satellites mis en orbite cette année.
D’abord des chiffres globaux pour donner quelques points de repère.
L’année spatiale 2020 dans une coquille de noix...
L’année spatiale 2020 résumée en quelques chiffres.
Image de fond : décollage de la mission Soyouz VS25 emportant le satellite CSO-2.
Crédit image : Gregory Vienot
En guise de résumé de l’année spatiale 2020, voici quelques chiffres-clés :
- Il y a eu 104 lancements orbitaux réussis en 2020, avec 10 échecs sur un total 114 tentatives de lancements orbitaux.
- 1272 satellites ont été mis en orbite par une fusée ou déployés dans l’espace (580 satellites en 2019). Avec une augmentation de 120% par rapport à 2019, c’est un record absolu. Evidemment, les 833 satellites Starlink et les 104 Oneweb représentent près des trois quarts du total.
- Des lancements orbitaux réussis ont été effectués à partir du territoire de 9 pays. L’Iran et Israël apparaissent à nouveau dans le classement. Le cas de la Nouvelle-Zélande reste particulier : les lancements sont effectués par Rocket Lab, une société américaine. En termes de nombre de lancements, l’année 2020 confirme la tendance de 2019 avec la compétition entre les Etats-Unis et la Chine dans la nouvelle « course à la Lune ». Selon ce critère, la Chine occupe de justesse la première place du podium avec 35 lancements réussis et 4 échecs.
- 4 vols habités (3 en 2019) ont transporté 12 personnes vers la station spatiale internationale. La parité ne s’améliore pas : il y avait une seule femme astronaute. La grande nouveauté, c’est le retour des lancements depuis le sol américain, avec deux missions du Crew Dragon (Demo-2 et Crew-1). Conséquence immédiate : le nombre d’américains qui ont voyagé dans l’espace cette année augmente fortement : 7 astronautes à comparer à 4 en 2019.
- La masse totale mise en orbite en 2020 est de 564 tonnes, selon mes estimations. La masse moyenne des satellites continue à chuter fortement et tombe à 444 kg (681 kg en 2019, 813 kg en 2018), masquant à nouveau une très grande disparité des tailles et des masses de satellites : de quelques grammes à 21,6 tonnes… Du point de vue du nombre de satellites et de la masse totale satellisée, il n’y a pas photos ! Les Etats-Unis sont loin devant : 78% des satellites mis en orbite en 2020 sont américains et représentent 61% de la masse totale satellisée. L’écart avec les autres pays et notamment l’Europe s’accentue.
Puissances spatiales : un podium très disputé
Neuf pays ou groupes de pays ont vu au moins un lancement orbital réussi effectué à partir de leur territoire. Il n’y a pas de nouvel entrant cette année mais l’Iran et Israël, absents l’an dernier, refont leur apparition dans ce classement. La Corée du Nord n’a pas effectué de lancement orbital en 2020.
Une précision : mon critère est le pays où est situé le site de lancement. Par exemple, Je comptabilise les lanceurs Soyouz lancés en Guyane dans le total européen ou dans le total de l’opérateur Arianespace (qui inclut aussi les trois lancements Oneweb effectués depuis le sol russe). Vous suivez toujours ?
Depuis quelques années, la définition de « puissance spatiale » ne peut plus se définir simplement par la géographie des sites de lancement. Par exemple, avec six lancements réussis et un échec de sa fusée Electron, c’est l’opérateur américain Rocket Lab qui fait apparaître la Nouvelle-Zélande dans le classement.
Les lancements orbitaux de l’année 2020 : pays lanceurs, nombre de lancements, nombre de satellites
et masse totale satellisée. Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage de la fusée Falcon 9
emportant 60 satellites Starlink le 6 octobre 2020. Crédit image : SpaceX
Vous trouverez sur Internet des classements prenant en compte la « nationalité » des composants principaux de la fusée. Pour ma part, je fais également un classement des grands opérateurs commerciaux que vous trouverez à la fin de cet article.
Du côté des centres de lancement, Cape Canaveral arrive en tête avec vingt lancements orbitaux. Pour la petite histoire, avant de partir, Mike Pence a eu le temps d'inaugurer "Cape Canaveral Space Force Station", le nouveau nom de Cape Canaveral Air Force Station.
Sur le deuxième marche, Xichang et Jiuquan sont ex-aequos avec treize tentatives chacun (trois échecs au total) suivi du Kennedy Space Centre avec dix lancements. Sept lancements ont été tentés à Baikonour, Plesetsk, Taiyuan, Mahia et au Centre Spatial Guyanais. Il n’y a eu qu’un lancement à Vandenberg, peut–être à cause des difficultés causées par les feux catastrophiques en Californie. La Chine a continué a utiliser une barge en mer (un lancement) et Virgin Orbit a tenté de lancer, sans succès, sa fusée LauncherOne depuis un avion.
Longue marche sur la première marche
En termes de nombre de lancements, la répartition est très inégale mais confirme la tendance observée depuis 2018 : la nouvelle course à l’espace oppose la Chine et les Etats-Unis.
Comme en 2019, La Chine occupe la première place avec 35 lancements orbitaux réussis (32 en 2019) et quatre échecs, quasiment à égalité avec les Etats-Unis (34 lancements réussis, en forte hausse, et 3 échecs). La Russie décroche la médaille de bronze avec 15 lancements tous réussis, en forte baisse par rapport à 2019 (22 lancements).
Au pied du podium, l’Europe est en retrait par rapport à 2019, avec 6 lancements réussis et un échec de la fusée Vega, à partir du Centre Spatial Guyanais. 3 autres lancements de satellites Oneweb par une fusée Soyouz ont été effectués par Arianespace depuis le sol russe et sont comptabilisés dans le bilan d'Arianespace.
Derrière, la Nouvelle-Zélande (6 lancements réussis), le Japon (quatre lancements réussis), l’Inde (seulement deux lancements en 2020), Israël (un lancement) et l’Iran (un lancement réussi et un échec).
En 2020, les écarts se sont creusés. On peut parler de 3 tiers : 1 tiers pour la Chine, 1 tiers pour les Etats-Unis, le troisième tiers se partageant en deux parties presque égale entre la Russie et tous les autres pays. L’évolution mensuelle du nombre de lancements illustre cette nouvelle course. L’expression « marquage à la culotte » s’applique bien à la Chine et aux USA.
Les lancements orbitaux de l’année 2020 : la nouvelle course à l’orbite entre la Chine et les USA.
Cumul des lancements effectués au cours de l’année. Infographie : Gédéon.
Image de fond : premier vol de la fusée Long March 5B le 5 mai 2020. A bord, la charge utile la plus
lourde de l’année : un prototype inhabité du vaisseau spatial chinois de nouvelle génération.
Crédit image : CASC
Gagner des kilos et perdre du poids…
Les écarts se creusent un peu plus et l’ordre d’arrivée s’inverse quand on prend en compte la masse totale satellisée.
Avec ce critère de masse mise en orbite à partir d’un territoire donnée, les USA occupent une première place incontestée avec près de 343 tonnes soit environ 61% de la masse totale mise en orbite en 2020. Plus du double du score de l’année 2019. Impressionnant !
Avec 25 lancements réussis de la fusée Falcon 9, la société SpaceX a mis à elle seule près de 296 tonnes en orbite, plus de 50% du total mondial. Les 833 satellites Starlink lancés en 2020 pèsent très lourd, même en impesanteur…
Il n’y a pas photo ! Tous les autres pays, y compris la Chine avec un peu plus de cent tonnes lancés depuis son territoire (à comparer à 75 tonnes en 2019 et 64 tonnes en 2018) sont loin derrière. La Russie a mis en orbite 61,5 tonnes (83 tonnes en 2019 et 64 tonnes en 2018).
L’Europe suit avec seulement 31,5 tonnes, en forte baisse par rapport à 2019 (45 tonnes) et 2018 (57 tonnes). Il faut noter que le résultat européen s’améliore nettement si on intègre les 3 lancements Oneweb effectués depuis le sol russe (voir le bilan par opérateur à la fin de cet article).
Comme chaque année, faire le bilan des masses mises en orbite est l'exercice le plus délicat : l'incertitude vient surtout du manque de données sur les satellites militaires (ceux du NRO notamment) américains, russes ou chinois.
Dans un prochain article, je présenterai une analyse détaillée des satellites mis en orbite en 2020. La liste des pays propriétaires de satellites confirme la suprématie américaine dans l’espace : 78% des satellites lancés en 2020 (près de 1000 satellites) appartiennent à des opérateurs américains. Cela représente environ 61% de la masse totale mise en orbite en 2020
Les lancements orbitaux de l’année 2020 : évolution de la masse totale satellisée par les neuf pays lanceurs. Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage de la fusée Delta IV Heavy emportant la mission
NROL-44 (USA 311) le 11 décembre 2020. Crédit image : ULA
2020 : L’impact du COVID-19 sur les activités spatiales
La pandémie a évidemment affecté les activités spatiales partout dans le monde, avec des effets très variables. Le Centre Spatial Guyanais, par exemple, a suspendu ses activités à partir de la mi-mars et les lancements n’ont finalement repris que le 15 août. Cette fermeture a également affecté l’avancement du chantier du nouveau pas de tir d’Ariane 6.
Ailleurs dans le monde, l’épidémie a compliqué la préparation des charges utiles et des lanceurs. Elle explique certainement la faible activité de lancement en Inde. En Chine, malgré le nombre élevé de lancements, on note l’absence en 2020 des nouvelles fusées et des nouveaux opérateurs qui semblaient prometteurs en 2019.
Néanmoins, l’analyse mensuelle montre que la période réellement creuse au niveau mondial s’est limitée au mois d’avril (4 lancements réussis et un échec).
En dehors de cette période, il y a eu 4 mois avec plus de 7 lancements mensuels et sept avec plus de 9. En moyenne, cela fait deux lancements réussis par semaine. Le mois record est le mois de décembre avec 15 lancements réussis et un échec et une mention spéciale à Arianespace qui est parvenu à réaliser trois lancements en décembre dont deux en Guyane.
Les lancements orbitaux de l’année 2020. Analyse mensuelle : nombre de fusées lancées, nombre de satellites
et masse satellisée. Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage d’une fusée Chang Zheng 11H
depuis la barge Debo 3 en mer Jaune. Crédit image : Xinhua
Le revers de la médaille : un nombre d’échecs élevé en 2020
L’année 2020 a vu malheureusement un nombre important d’échecs de lancement. 10 au total. Il faut remonter à 1982 pour trouver un score aussi "élevé".
Il faut relativiser ce résultat médiocre car il y avait 50% de premiers vols ou de lancements de qualification de nouvelles versions de lanceurs :
- Les deux échecs des lanceurs Astra Rocket.
- L’échec du premier lancement aéroporté de LauncherOne de Virgin Orbit (bonne nouvelle : un premier vol réussi a été effectué le 18 janvier 2021).
- Le vol inaugural raté de la fusée chinoise Khaizhou-11.
- L’échec du premier vol de la variante CZ-7A du lanceur chinois Chang Zheng 7, avec un nouveau mélange d’ergols (RP-1 et oxygène liquide).
Néanmoins, à côté du nouvel échec du lanceur iranien Simorgh / Safir-2 (4ème échec depuis 2016), il y a eu également en 2020 quatre échecs de fusées en exploitation opérationnelle :
- Un échec de Kuaizhou-1A, le petit lanceur de la société chinoise Expace, au cours de son dixième vol.
- L’échec du 67ème vol du lanceur chinois CZ-3B/E.
- L’échec du 13ème vol du lanceur Electron de la société américaine Rocket Lab. Après Apollo 13, faut-il éviter d’utiliser ce nombre ?
- Et, malheureusement, l’échec du 17ème vol de la fusée européenne Vega, juste après le retour en vol qui avait suivi le premier échec, un an plus tôt, au cours de la mission VV-15. Cet échec a entraîné la perte des satellites Taranis et SEOSAT-Ingenio. Très frustrant : selon la commission d’enquête, la défaillance de l’étage supérieur AVUM est le résultat d’une erreur de branchement des câbles contrôlant l’orientation de la poussée du moteur.
Les lanceurs utilisés en 2020: standardisation et réutilisation, une stratégie gagnante pour SpaceX
En 2020, 19 familles de lanceurs ont effectué au moins un vol orbital réussi.
En tête du classement, les fusées chinoises Chang Zheng (Longue marche) avec 32 lancements réussis des différentes versions de cette famille de lanceurs. Suivent les familles Falcon (25 lancements), Soyouz (15 lancements), Electron (6 lancements) et Atlas (5 lancements).
L’analyse des différentes versions de fusées utilisées montre très clairement que l’approche choisie par SpaceX porte ses fruits. Alors que la société d’Elon Musk n’avait effectué que 13 lancements réussis en 2019, elle dépasse largement cette année son record de 2018 (21 vols réussis).
Qu’importe la Falcon pourvu qu’on ait l’ivresse (et assez d’ergols…)
Plus surprenant et très instructif, les 25 vols, tous réussis de la fusée Falcon 9 confirment le bien-fondé de la stratégie de standardisation et de réutilisation mise en œuvre par SpaceX. Ce choix a été très décrié mais, même si je n’ai pas vu de chiffres confirmant son intérêt économique et si la récupération des demi-coiffes est encore assez préliminaire, l’année 2020 démontre qu’il s’agit d’un très bon choix. L’occasion fait le larron. Les chiffres sont éloquents…
Sur les 25 vols de l’année 2020 :
- Seulement 5 premiers étages « neufs » ont été utilisés. 20% du total.
- Trois boosters ont volé 4 fois en 2020 avec un total de respectivement 4, 5 et 7 vols depuis leur mise en service (B1058-4, B1059-5 et B1049-7).
- Le record : l’étage B1051-7 a volé cinq fois en 2020 et effectué son septième vol !
Les lancements orbitaux de l’année 2020 : types de fusées et familles de lanceurs.
Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage de la fusée Falcon 9 emportant le cargo
Dragon CRS-20 vers l’ISS. Crédit image : SpaceX
Changement de braquet sur la ligne de changement de date
Au nord-est de la Nouvelle-Zélande, dans la Péninsule de Mahia, après le premier vol orbital du petit lanceur Electron en 2018, la société américaine Rocket Lab, malgré un échec de lancement, confirme, avec six lancements réussis en 2020, que son offre est solide et continue à faire évoluer ses produits avec des objectifs ambitieux. Le nouveau étage « kick-stage » Photon pouvant emporter des charges utiles pour des missions au-delà de l’orbite terrestre (Lune, Vénus). Le premier satellite de ce type, construit par Rocket Lab pour valider ce concept, a été lancé en août 2020 en même que le satellite radar Sequoia de la société Capella Space.
La startup américaine a su à nouveau convaincre des clients prestigieux comme le NRO américain (National Reconnaissance Office), avec deux lancements dédiés et quatre satellites mis en orbite. La possibilité pour les clients d’intégrer leur charge utile dans la coiffe dans leurs locaux et de livrer le composite sur le site de lancement est un avantage quand il y a des exigences de confidentialité.
Il y a aussi quelques nouveautés en 2020 : du gros ou du très gros avec les premiers vols réussis des lanceurs chinois Chang Zheng 5B (837 tonnes) en mai et Chang Zheng 8 (356 tonnes au décollage) en décembre et du lanceur lourd russe Angara A5 (773 tonnes) en décembre et du très petit avec la fusée chinoise Ceres-1 alias Gushenxing-1 (30 tonnes) ou le lanceur iranien Qased (17 tonnes).
Quelles orbites en 2020 ?
Le nombre de lancements visant l’orbite basse (LEO ou ISS) passe de 66% en 2019 à près de 73% en 2020. C’est surtout le nombre de satellites (1237 en 2020, 531 en 2019, +133%) et la proportion du total (plus de 97% en 2020, 91% en 2019) qui est en progression spectaculaire. C’est évidemment l’effet combiné des lancements Starlink (833 satellites) et Oneweb (104 satellites). Pour ceux qui découvrent ce classement, je continue à mettre à part l’orbite « ISS » pour bien identifier les missions vers la Station Spatiale Internationale (vols habités et cargos de ravitaillement.
Les lancements orbitaux de l’année 2020 : répartition par orbite visée
(lancements, nombre de satellites et masse satellisée). Infographie : Gédéon
Les orbites géostationnaires, géosynchrone ou Molnya (très elliptiques) ne représentent plus que 18,4% des lancements (25% en 2019) et moins de 2% des satellites mis en orbite. A nouveau, il faut garder en tête le nombre élevé de satellites Starlink et Oneweb quand on lit ces pourcentages.
Les orbites non terrestres augmentent un peu avec des missions scientifiques vers la Lune (Chang’e 5), vers Mars (Mars 2020 avec le rover Perseverance, Hope alias Al-Amal ou EMM et Tianwen-1) et autour du soleil (Solar Orbiter ou SolO).
Une curiosité et un exploit : la Chine a effectué un lancement depuis la surface de la Lune, avec le décollage du module de remontée de la mission Chang’e 5, ramenant des échantillons de la surface de la Lune. Ce n’était plus arrivé depuis la mission soviétique Luna 24 en août 1976.
Arianespace, SpaceX, ULA, Northrop Grumman et Rocket Lab : vous avez demandé l’opérateur ?
En 2020, le champion des opérateurs commerciaux, c’est SpaceX : avec 25 lancements tous réussis, près de 296 tonnes (presque 3 fois plus qu’en 2019) et 855 satellites mis en orbite, sa performance est impressionnante.
Cette année, je fais également apparaître dans mon classement Rocket Lab et Northrop Grumman. Ce dernier a lancé deux cargos Cygnus et quatre satellites pour le NRO avec un lanceur Minotaur IV, dérivé des missiles balistiques PeaceKeeper. Northrop Grumman a également construit le premier MEV (Mission Extension Vehicle) lancé par Ariane 5 en février 2020. C’est le premier remorqueur spatial. On pourrait presque parler d’un lanceur qui ne part pas du plancher des vaches…
Les lancements orbitaux de l’année2020 : nombre de lancements et masse totale mise en orbite
pour Arianespace, SpaceX et United Launch Alliance, Northrop Grumman et Rocket Lab.
Infographie : Gédéon. Image de fond : décollage de la fusée Falcon 9 emportant 60 satellites
Starlink le 18 octobre 2020. Crédit image : SpaceX
Remarque : par rapport aux 6 lancements « européens », les 9 lancements attribués à Arianespace sur la figure précédente incluent les 3 lancements Oneweb effectués par une fusée Soyouz depuis le sol russe.
En terme de type de clients, ULA et Northrop Grumman se ressemblent beaucoup : en 2020, leur activité de lancement repose exclusivement sur les clients militaires (le Département de la Défense américain) et les missions institutionnelles civiles pour la NASA.
En pratique, en laissant pour le moment de côté Rocket Lab qui monte en puissance mais reste dans la gamme des petites charges utiles, il n’y a actuellement que deux opérateurs qui sont en compétition sur le marché des satellites commerciaux de masse importante : Arianespace et SpaceX. Pour la première année, leurs profils paraissent très semblables avec 75% de masse satellisée pour des clients commerciaux.
Cette ressemblance n’est qu’apparente et est évidemment liée au déploiement de la constellation Starlink : SpaceX est son propre client (avec plus de 97% des satellites lancés et 73% de la masse satellisée). En réalité, cette intégration verticale poussée à l’extrême rend la société SpaceX tout à fait atypique : SpaceX a réalisé 14 lancements Starlink (avec quelques charges utiles complémentaires pour Planet et Blacksky Global) et 11 lancements pour des clients institutionnels américains (7 lancements pour la NASA, l’USAF et le NRO) et commerciaux ou export (4 lancements pour l’ESA, le CONAE argentin, Sirius XM et l’armée de l’air de Thaïlande).
Les lancements orbitaux de l’année2020 : profil des clients d’Arianespace, SpaceX
et United Launch Alliance (en pourcentage de la masse satellisée). Infographie : Gédéon.
Image de fond : décollage de la fusée Delta IV Heavy emportant la mission NROL-44 (USA 311)
le 11 décembre 2020. Crédit image : ULA
Les parts de camembert se ressemblent mais pas leur taille : le graphique suivant montre le nombre de satellites et la masse totale satellisée par type d’orbite. Les échelles sont très différentes : il est frappant de voir qu’en 2020 le marché institutionnel civil représente pour SpaceX une masse satellisée (53,8 tonnes) supérieure à la totalité de l’activité d’Arianespace en 2020 (46,8 tonnes). Ce n'est pas un scoop : l'importance du marché institutionnel et défense aux Etats-Unis apporte un soutien considérable aux opérateurs de lancements, avec, pour ceux-ci, deux approches possibles :
- se limiter à ce marché (c'est typiquement le choix d'ULA)
- ou saisir cette opportunité pour être plus compétitif sur le marché commercial (c'est le cas de SpaceX qui pousse le modèle jusqu'à lancer ses propres satellites).
Les lancements orbitaux de l’année2020 : profil des clients d’Arianespace, SpaceX
et United Launch Alliance (en pourcentage de la masse satellisée). Infographie : Gédéon.
Image de fond : décollage de la fusée Soyouz emportant 34 satellites Oneweb le 6 février 2020.
Crédit image : Roscosmos
L’Europe des lanceurs sous pression
Avec 7 satellites lancés et 26 tonnes mises en orbite géostationnaire, Arianespace reste le premier opérateur sur ce segment de marché qui s’est contracté en 2020 (du point de vue du nombre de lancements réalisés et de la masse satellisée).
Face au succès spectaculaire de SpaceX, l’Europe des lanceurs s’inquiète : échec de Véga, retard d’Ariane 6, part importante des lancements Soyouz (5 lancements sur les 9 réalises par Arianespace et 43% de la masse satellite dont le satellite militaire français CSO-2).
Dans les deux années qui viennent, les débuts d’Ariane 6, au niveau technique et commercial et les choix des gouvernements européens pour leurs lancements institutionnels vont être déterminants pour permettre à l’Europe de rester un acteur de référence dans le domaine des lanceurs.
Plus globalement, les autres éléments importants à surveiller à court terme seront le succès commercial des opérateurs proposant de l’Internet à haut débit avec des constellations en orbite basse, l’évolution du marché des satellites géostationnaires (SpaceX n’en a lancé que deux en 2020) et la capacité de SpaceX à concilier le lancement des satellites Starlink (14 lancements en 2020) avec le besoin d’assurer des revenus significatifs avec de "vrais" clients institutionnels et commerciaux (11 lancements en 2020). Verrons-nous en 2021 un rythme équivalent avec environ la moitié des vols Falcon 9 consacrés à Starlink ?
L’autre défi pour SpaceX est lié au choix de ne plus être un "pur" opérateur de lancement mais également un opérateur de télécommunications, au point d'être perçu comme un concurrent par ses clients traditionnels. Ce risque est à mettre en perspective avec le souhait des opérateurs de pouvoir disposer de plusieurs offres de lancements et mettre en concurrence leurs fournisseurs. Ce risque pourrait s’accroître si l’offre de lanceurs s’enrichit.
Finalement, il n’y a actuellement que très peu d’opérateurs de lancements ayant une offre commerciale pour la mise orbite de satellites de masse importante. Malgré le succès remarquable de Rocket Lab, en 2020, la majorité des satellites commerciaux et export de plus de 50 kg ont été lancés par Arianespace et SpaceX. Cette situation de duopole pourrait évoluer si l’offre de lanceurs opérationnels, américains ou chinois, s’attaquant au marché commercial continue à s’élargir.
En 2021, derrière les décollages spectaculaires et les belles photos de lancement, tenter de décrypter les tendances du marché, les stratégies commerciales et les grandes manœuvres géopolitiques va rester passionnant…
Je publierai dans quelques jours un second bilan mettant cette fois-ci l'accent sur les satellites mis en orbite en 2020. Il y a également quelques enseignements intéressants derrière les chiffres bruts.
En savoir plus :
- Année spatiale 2019 : le bilan des lancements orbitaux en 2019 et les satellites mis en orbite en 2019.
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