5 mai 1961 : Alan B. Shepard, Mercury Freedom 7, l'étoffe d'un héros. Crédit image : NASA
Le 5 mai 1961, quelques semaines après le vol historique de Youri Gagarine, Alan B. Shepard devient le premier américain et le deuxième humain à franchir la frontière de l’espace, la ligne de Karman, à 100 km d’altitude.
Contrairement à Youri Gagarine, Alan Shepard ne boucle pas une orbite complète. A bord de la Capsule Mercury Freedom 7, il effectue un vol parabolique d’une quinzaine de minutes et atteint une altitude de 187 km.
“Why don’t you guys fix your problems and light candle?”
Ses pensées avant le décollage ? Selon une déclaration aux journalistes rapportée par Eugène Kranz dans son livre ”Failure is not an option: Mission Control from Mercury to Apollo 13 and Beyond” : “the fact that every part of this ship was built by the low bidder”.
Est-ce pour cette raison que plusieurs petits problèmes techniques entraînent plusieurs reports du compte-à-rebours et du H0 initialement prévu à 7h30 (heure EST) ? Installé dans la capsule Mercury depuis 5h20 du matin, après un petit-déjeuner pris à 1h30 du matin, Shepard commence à ressentir les effets du café et du jus d’orange.
“Man, I gotta pee,”
Rien n’a été prévu pour uriner pendant une mission de courte durée et il est exclu de ressortir le premier astronaute américain de la capsule. Après des vérifications pour s’assurer qu’il n’y a pas de risque de court-circuit avec les électrodes des thermomètres et des capteurs biomédicaux, Shepard est autorisé à se soulager.
La fusée Mercury-Redstone décolle finalement à 9h34. L’accélération atteint 6,2G juste avant la fin de la phase propulsée.
La fusée Mercury-Redstone après le décollage. La tour d’éjection est encore en place.
Crédit image : NASA
La mission se déroule parfaitement : Shepard peut prendre les commandes du vaisseau spatial et tester le contrôle d’attitude. Côtes, lacs, îles : il peut aussi vérifier qu’il peut se repérer par rapport à la surface de la Terre. Petite anomalie : avant la rentrée dans l’atmosphère, le pack de rétrofusée est bien éjecté mais ce n’est pas confirmé par le voyant lumineux attendu. Le freinage atmosphérique est la phase de vol la plus éprouvante avec une décélération atteignant 11,0G. La descente sous parachute est plus rapide que prévu.
En route vers la Lune…
A son retour sur Terre, Alan Shepard est célébré en héros et reçoit la médaille du service distingué de la NASA du président John Fitzgerald Kennedy. Moins de trois semaines plus tard, le 25 mai 1961, le président américain prononcera un discours dans lequel il annonce le programme Apollo : “I believe that this nation should commit itself to achieving the goal, before this decade is out, of landing a man on the moon and returning him safely to the earth”.
8 mai 1961 dans les jardins de la Maison Blanche à Washington DC : Alan B. Shepard reçoit la NASA
Distinguished Service Medal des mains du président John F. Kennedy. Sur la photo : Louise Brewer,
l’épouse de Shepard, l’astronaute Scott Carpenter, James E. Webb, Jacqueline Kennedy
et Hugh L. Dryden. Crédit image : NASA
Parabole ou ellipse ?
La fusée Mercury-Redstone ne permet pas d’atteindre la vitesse de satellisation assurant la mise en orbite. Après 2 minutes et 22 secondes, la vitesse maximale d’Alan Shepard est de 2,3 kilomètres par seconde (environ 8262 km/h) au moment de l’extinction des moteurs : le vol se poursuit avec une trajectoire balistique (vaisseau uniquement soumis à la force de gravité et au freinage atmosphérique) et atteint son altitude maximale en 5 minutes.
La trajectoire de la capsule Mercury Freedom 7.
Illustration Gédéon à partir de plusieurs documents de la NASA
Dans le cas de Gagarine, deux minutes après le décollage de la fusée Soyouz et la séparation des quatre gros blocs moteurs latéraux, l’étage central continue sa poussée. Le système propulsif du vaisseau Vostok prend ensuite le relais pour atteindre une vitesse de 7,85 kilomètres par seconde, près de 3,5 fois celle de la Mercury-Redstone de Shepard.
Un point important : il s'agit bien d'une vitesse tangente à la trajectoire (on pourrait presque dire "horizontale") et non d'une vitesse dirigée verticalement du bas vers le haut : si une fusée décolle verticalement, c'est pour sortir le plus rapidement possible des couches denses de l'atmosphère. L'essentiel de la mission d'un lanceur consiste à communiquer une vitesse "horizontale", tangente à la trajectoire au point d'injection, suffisante pour assurer la mise en orbite. Regardez bien l'allure de la trajectoire au cours de la retransmission d'un lancement d'Ariane 5...
Il faudra attendre février 1962 et le vol de John Glenn pendant la mission Mercury Friendship 7 pour voir le premier américain en orbite autour de la Terre.
A gauche, le décollage d'Alan Shepard dans la fusée Mercury-Redstone en mai 1961.
A droite, dix mois plus tard, John Glenn dans la capsule Mercury Friendship 7 au sommet de la fusée
Mercury-Atlas. Presque le même nom mais quelques milliers de mètres par seconde de vitesse supplémentaire.
Crédit image : NASA
Au cours du premier vol orbital américain, Alan Shepard est Capcom. Il ne revolera pas pour le programme Mercury : la dernière mission Mercury-Atlas MA-10 est annulée par la NASA.
Désigné comme commandant de la première mission habitée Gemini avec Thomas Stafford comme pilote, il ne participera malheureusement pas non plus aux vols Mercury : des médecins lui diagnostiquent la maladie de Menière, un trouble de l’oreille interne, entraînant une désorientation, des vertiges et des nausées, que Shepard a tenté de cacher à sa hiérarchie.
En novembre 1963 Shepard est nommé chef du Bureau des astronautes en remplacement de Deke Slayton et participe à la formation des astronautes de la NASA.
Opéré au début de l’année 1969, il est déclaré apte à voler à nouveau en mai 1969.
Un veinard qui ne le sait pas encore
Pressenti pour commander la mission Apollo 13 avec Stuart Roosa et Edgar Mitchell, Alan Shepard doit céder sa place car l’équipage est jugé trop peu entraîné sur le programme Apollo par la NASA. James Lowell le remplace comme commandant la mission Apollo 13. Alan Shepard est réassigné à la mission Apollo 14 en tant que commandant, avec Stuart Roosa et Edgar Mitchell. Ce sera sa seconde mission spatiale.
Alan Shepard et Edgar Mitchell (au second plan) pendant un entraînement le 18 septembre 1970
avant leur mission Apollo 14. Crédit image : NASA
La fusée Saturn V emportant Apollo 14 décolle le 31 janvier 1971 et le module de commande Kitty Hawk amerrit le 9 février.
A cours de cette mission, après un alunissage de précision (à 46 mètres du site prévu), Alan Shepard devient le cinquième homme à marcher sur la Lune. Dix ans après son vol suborbital, à 47 ans, il est également l’homme le plus âgé a marcher sur la Lune et le seul du groupe des sept astronautes Mercury à le faire. Il reçoit à cette occasion la Navy Distinguished Service Medal.
Parmi les images de cette mission restées célèbres, une partie de golf à la surface de la Lune. Quand on aime les parabole, on ne compte pas…
Pendant la mission Apollo 14 en septembre 1970, Alan Shepard improvise une partie de golf sur la Lune.
Crédit image NASA
Malgré des gants et la combinaison extra-véhiculaire, en frappant d’une seule main, il expédie une des deux balles à une distance impressionnante. Il est vrai que la faible pesanteur sur la Lune et l’absence d’atmosphère l’aide un peu…
Pendant la mission Apollo 14, en février 1971 Alan Shepard à la surface de la Lune, en train
d’assembler un tube. Photographie prise par Edgar G. Mitchell. Crédit image : NASA
Né en novembre 1923, Alan Shepard, diplômé de l’académie navale d’Annapolis, pilote dans la marine puis pilote d’essai, est sélectionné dans le premier groupe de sept astronautes américains le 1er avril 1959. Il décède d’une leucémie le 21 juillet 1998.
La fusée New Shepard de Blue Origin, qui a volé pour la première fois le 29 avril 2015, a été baptisée en l’honneur d’Alan Shepard.
Les premiers pas avec Mercury : du saut de puce (sans puces) à la première orbite
Lancé en 1958 dès la création de la NASA et après le lancement du satellite Spoutnik, Mercury est le premier programme américain de vols habités. Les premiers pas, en quelque sorte, sans marcher...
En 1959, sept astronautes sont recrutés. Seulement six voleront à bord de capsules Mercury : Donald K. « Deke » Slayton est interdit de vol après la découverte d’un problème de rythme cardiaque. Responsable de l'affectation des astronautes entre 1963 et 1972 pour les missions Gemini et Apollo, Il volera finalement une fois en pour la mission ASTP (Apollo-Soyouz Test Project) en juillet 1975.
Quelques-uns des noms des missions Mercury rappellent que c’est bien la période de la guerre froide : Freedom 7, Liberty Bell 7, Friendship 7, Aurora 7, Sigma 7, Faith 7.
En savoir plus :
- Vol suborbital ou mise en orbite : premier vol d’Alan Shepard ou vol historique de Gagarine. Toujours d’actualité soixante ans après.
- Premier pas sur la Lune : une longue marche pour Apollo.
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