Cultures irriguées à proximité de Phoenix (Arizona, Etats-Unis).
Une des premières images acquises par le satellite Venµs le 17 août 2017. Copyright CNES 2017
L’année de Venµs*
Le 2 août dernier, à 1h58 UTC, Arianespace réussissait son 8ème lancement de l’année 2017 pour sa dixième mission, la septième en observation de la Terre, la fusée Vega VV10 mettait en orbite les satellites OPTSAT-3000 et Venµs.
Vous ne verrez pas beaucoup d’image d’OPTSAT-3000 exploité par les militaires israëliens. Par contre, 15 jours après sa mise en orbite, le satellite Venµs, réalisée dans le cadre d’une coopération franco-israélienne, vient de livrer ses premières images.
Elles sont été acquises par le CNES entre le 17 et le 19 août 2017, enregistrées à bord et réceptionnées par la station de Kiruna, en Suède, avant d’être traitées au Centre Spatial de Toulouse (CST).
* Il n’y a pas de contrepèterie
Red edge pour les espaces verts
Avec ses douze bandes spectrales du bleu au proche infrarouge, la caméra multispectrale embarquée à bord de Venµs, fournie par le CNES, est bien adaptée à l’étude de la végétation, de son état de santé et de son évolution. C’est la raison pour laquelle c’est une image de cultures irriguées, acquise dès le 17 août que j’ai choisie pour démarrer cet article.
Le même jour, Venµs a également survolé la région de Jérusalem et acquis l’image suivante.
Jérusalem et ses environs. Image acquise par le satellite Venµs le 17 août 2017.
En bas, extrait centrée sur la ville. Copyright CNES 2017
Voici d’autres exemples d’images acquises entre le 18 et le 19 août 2017. On commence par Marseille et ses environs.
La région de Marseille observée par le satellite Venµs le 18 août 2017.
En bas, extrait sur la partie est. Copyright CNES 2017
L’image suivante montre la région du Vésuve en Italie. Les zones brûlées par l’incendie du mois de juillet sont facilement identifiables : les surfaces sombre autour de la caldeira ne sont pas des coulées de là mais bien les surfaces où la végétation a été parcourue par les flammes. L’activité chlorophyllienne a disparu : dans une bande proche-infrarouge, on mesure des niveaux de réflectance très faibles alors qu'ils sont au contraires élevés dans le cas d'une végétation active.
Le Vésuve, Naples et Pompei vus par le satellite Venµs.
Image acquise le 19 août 2017. Copyright CNES 2017
Et Millau ?
J’aurais bien aimé comparer une image du satellite Venµs avec celle prise par le Pléiades. Malheureusement, l’aveyron ne figure pas dans la liste des sites retenus pour les premières images et je n’ai pas pu voir la Venµs de Millau…
Ces premières images donnent un bon aperçu des données qui seront acquises durant les prochaines années par le satellite Venµs. Il va désormais observer et suivre l’évolution de plus de cent sites intéressant les scientifiques avec une résolution d"environ 5 mètres.
Les sites sélectionnés représentent les principaux écosystèmes terrestres, naturels et cultivés. Ils seront observés pendant deux ans et demi, tous les deux jours.
Pourquoi sont-ils Venµs ? Les objectifs de la mission
Venμs avec un µ est un acronyme : Vegetation and Environment monitoring on a New [Micro] Satellite. Si vous voulez travailler dans le spatial ou les projets internationaux, il va falloir vous habituer à en voir des bizarres…
La mission Venµs a deux objectifs différents :
- Un objectif scientifique : étudier les possibilités d’observation à haute résolution spatiale et haute fréquence temporelle de sites scientifiques pour l’étude de la végétation. Il s’agit de mettre au point de nouvelles méthodes d’exploitation et de traitement des données.
- Un objectif technologique avec la qualification en vol d’un moteur à propulsion électrique (IHET), embarquant 14 kg de Xénon.
Maquette du système de propulsion du satellite Venµs (IHET) présentée
pendant l’International Astronautical Congress (IAC) à Jérusalem en octobre 2015.
La capacité des réservoirs de Xénon est de 16 kg (14 kg pour la mission Venµs)
Crédit image : Gédéon
Deux phases d’exploitation en orbite
Pour atteindre ces deux objectifs, l’exploitation opérationnelle en orbite est découpée en deux phases :
- Une première période de 2,5 ans consacrée à l’objectif scientifique avec une orbite à 720 km d’altitude.
- Une seconde période d’un an pour la validation technologique du propulseur électrique avec une orbite à 410 km d’altitude. A cette altitude, inhabituellement basse pour un satellite, le frottement atmosphérique résiduel rend impératif l’utilisation fréquente d’un système pour maintenir l’orbite. Les amateurs de satellites espions comprendront facilement l’intérêt de faire voler un télescope assez bas ou de pouvoir baisser son altitude à la demande.
Entre les deux périodes, il y aura une phase transitoire pour le changement d’orbite.
La durée totale de la mission est donc relativement courte (3,5 ans).
280 kg de coopération franco-israélienne
La mission Venµs est réalisée dans le cadre d’une coopération entre la France et Israël. La plate-forme est fournie par Israël et sa charge utile scientifique est fournie par le CNES :
- Une plate-forme microsatellite IMPS (Improved Multi Purpose Satellite) fournie par l'IAI (Israeli Aircraft Industries)
- Une charge utile avec deux composantes :
- Une composante technologique : le propulseur IHET (Israeli Hall Effect Thruster)
- Une composante scientifique : la caméra multispectrale VSSC (VENµS Superspectral Camera).
La masse du satellite est de 280 kg. Sa puissance totale est de 800 Watts.
Venus plusieurs fois mais pas encore partis…
La réalisation du projet n’a pas été un long fleuve tranquille : plus de douze ans se sont écoulés entre la signature de l’accord de coopération entre le CNES et l'ISA (Israel Space Agency) en avril 2005 et le lancement en août 2017.
Le lancement était initialement prévu en 2008 sur un lanceur Vega et le satellite devait servir de démonstrateur pour le programme européen GMES (aujourd’hui Copernicus).
Les retards sont dus notamment aux difficultés d’obtention de la licence d’exportation des filtres, des composants américains, équipant l’instrument optique. Un bon exemple illustrant l’importance de la maîtrise des composants critiques pour rester indépendant dans la mise en œuvre d’une politique spatiale.
Plusieurs opportunités de lancement sur Dnepr (Ukraine), PSLV (Inde), Start (Russie), Falcon 1E (lanceur abandonné par SpaceX), en passager auxiliaire du satellite Pleiades-1B sur Soyouz et Falcon-9 ont ainsi été ratées.
Finalement un contrat de lancement sur Vega a été signé avec Arianespace en décembre 2013.
Tout est bien qui finit bien… Les détecteurs équipés de leurs filtres ont été reçus en janvier 2012 et la caméra multi-spectrale a finalement été livrée par le CNES en novembre 2014. Les essais en environnement du satellite ont démarré au printemps 2016.
Orbite de Venµs et capacité d’acquisition
Pour remplir ses objectifs scientifiques, Venµs doit acquérir fréquemment et à relativement haute résolution, des images multi-spectrales, 110 sites sélectionnés dans le monde entier (dont cinq en France métropolitaine).
Carte des sites scientifiques sélectionnés pour la mission Venµs.
Crédit image : CESBIO
A la fin de la recette en vol, le satellite sera sur une orbite polaire quasi héliosynchrone avec une revisite à deux jours, à une altitude de 720 km.
La fauchée (largeur de trace) est de 27 km. La résolution des images est de 5,3 mètres au nadir. 12 bandes spectrales étroites couvrent le spectre de 415 nm à 910 nm.
Le satellite passe à la verticale de l'équateur à environ 10:30. Le satellite peut observer n'importe quel site sous un angle de vue constant mais, en contrepartie, toute la planète ne peut être observée. L'ensemble du système peut être dépointé jusqu'à 30 degrés le long et perpendiculairement à la trace.
Les bandes spectrales de l’instrument du satellite Venµs comparées à celles
de Sentinel-2 et de Landsat 8. Crédit image : Gédéon
Une bande de jaune à moi tout seul ? Non, il y en a deux...
Quelque chose vous étonne ? Oui, les bandes B5 et B6 sont les mêmes.
Ce n’est pas une erreur dans mon tableau : cette duplication est volontaire. Comme les capteurs correspondants ne sont pas exactement au même endroit dans le plan focal de l’instrument, les pixels sont acquis à partir de deux positions très légèrement décalées sur l’orbite.
On obtient ainsi un léger effet stéréoscopique qui sera utilisé pour détecter les nuages à partir d’une information sur leur altitude. Pas idiot ! J'ai hâte de voir un exemple...
Feu vert pour le proche infrarouge
Un autre article du blog Un autre regard sur la Terre donne quelques explications sur l'importante de la bande spectrale proche infrarouge pour l'étude de la végétation. Je reprends ici une illustration qui explique pourquoi l'instrument Venµs a autant de bande spectrale entre le rouge et le proche infrarouge.
Synthèse chlorophyllienne et stress hydrique : variation de la réflectance de la végétation en
fonction de la longueur d’onde (visible, proche infrarouge et SWIR). Crédit image : Gédéon
(d'après une illustration originale de Mark R. Elowitz sur l'imagerie hyperspectrale)
La forêt tropicale au Pérou (région d’Ucayali) observée par le satellite Venµs
le 19 août 2017. Copyright CNES 2017
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre :
- Quand les satellites ouvrent l'oeil pour la première fois : les premières images des satellites d'observation.
- Les articles sur l'agriculture, l'environnement et la forêt.
- Un article sur les bandes spectrales utilisées pour l'étude de la végétation.
- Sur le site du CNES, les pages sur la mission Venµs, le dossier de presse de la mission Venµs (juillet 2017) et des explications d’Oliver Hagolle et Gérard Dedieu (CESBIO) sur l’intérêt des angles d’observation constants (version anglaise ici).
- Sur le site du CESBIO, les pages sur la mission Venµs, les pages sur les séries temporelles et les articles d'actualité sur le blog de la mission Venµs.
- Sur Researchgate, un papier (en anglais) présentant le système de propulsion électrique IHET (papier présenté pendant la 47ème conférence Israel Annual Conf. on Aerospace Sciences à Tel-Aviv et Haifa en février 2007).
- Sur le site eoPortal Directory, la page sur la mission Venµs.
- La carte des sites scientifiques retenus pour la mission Venµs.
- Le site du laboratoire de télédétection (Remote Sensing Laboratory) de l’Université Ben Gourion.
- Le Site d'EL-OP (Elbit Systems Electro-Optics).