Représentation des objets orbitaux qui peuvent être suivis, en orbite basse et au voisinage
de l’orbite géostationnaire. Crédit image ESA / ESOC (European Space Operation Centre)
Que deviennent les satellites à la fin de leur mission opérationnelle ?
Avec presque vingt années d’opération en orbite, Meteosat-7 détenait jusqu’au début du mois d’avril le record européen d’exploitation opérationnelle pour un satellite météorologique. Sa retraite a pourtant été de très courte durée…
Juste après son retrait du service opérationnel, il a pris la direction du cimetière : le 3 avril, à 21:25 CET (heure de Paris, Toulouse ou Darmstadt), une première impulsion du système de propulsion a été déclenchée pour modifier progressivement l’orbite de Meteosat-7.
Meteosat-7 retrouve ainsi d’autres satellites géostationnaires qui, à la fin de leur mission opérationnelle, ont rejoint le cimetière des satellites. En cédant des places rares à des nouveaux satellites, ils limitent aussi les risques de collision, source de nouveaux débris.
Bien sûr, c’est possible uniquement si les opérateurs effectuent cette manœuvre quand le satellite est encore en état de marche et s’ils ont pris soin de conserver un minimum d’ergols pour cette dernière utilisation du système de propulsion.
No country for old satellites
La destination ? L’orbite cimetière, ou graveyard en anglais, qui commence à environ 300 kilomètres au-dessus de l’orbite géostationnaire, à un peu plus de 36000 km d’altitude.
C’est l’occasion de découvrir les différentes solutions pour éliminer les satellites usagés et réduire le risque de prolifération de débris spatiaux.
Il y a trois possibilités principales :
- La "crémation", à savoir la destruction totale en brûlant dans les hautes couches de l’atmosphère, pour la majorité des satellites en orbite basse.
- Le "cimetière marin", pour les plus gros objets qui ne pourraient pas brûler intégralement, comme par exemple les cargos automatiques ATV de l'ESA.
- Le "cimetière des éléphants", pour les gros satellites opérant sur l’orbite géostationnaire.
Une série de photographies prises depuis la station spatiale internationale (ISS) le 2 novembre 2013
au moment de la rentrée atmosphérique contrôlée du cargoeuropéen ATV-4 Albert Einstein.
Crédit image : ESA / NASA.
Feux d'artifice: bouquet final
Pour les satellites en orbite basse, comme Metop à 817 km d'altitude ou la très grande majorité des satellites d'observation, il n’y a pas d’orbite cimetière.
Les conventions spatiales internationales et les lois spatiales (pour les pays qui en ont adopté une) imposent aux opérateurs de placer le satellite en fin de vie sur une orbite suffisamment basse pour assurer une rentrée atmosphérique en moins de 25 ans : le satellite termine alors sa carrière en brûlant dans l’atmosphère. Là-aussi, le satellite doit être opérationnel et posséder encore assez de carburant pour effectuer la manœuvre destinée à abaisser son orbite. Envisat ou Spot-3, qui ont connu une panne totale brutale, n’ont pas eu cette possibilité et sont désormais inactifs et non manœuvrables en orbite basse.
C’est également le cas pour les plus vieux satellites en orbite qui ont été conçus avant que la règle des 25 ans ne soit applicable : ils sont simplement éteints et occupent malheureusement une orbite opérationnelle pendant quelques centaines d’années !
Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie à l’article du blog Un autre regard sur la Terre sur la désorbitation du satellite SPOT 5.
Débris divers, étages supérieurs de fusées, satellites inactifs et… satellites opérationnels :
représentation des objets orbitaux qui peuvent être suivis en orbite basse.
Crédit image ESA / ESOC (European Space Operation Centre)
Pour être très précis, la procédure de rentrée en 25 ans n’est autorisée que si l’opérateur du satellite peut démontrer que la probabilité de dommage aux personnes ou aux biens est inférieure à 1 sur 10000. Dans le cas contraire, une rentrée contrôlée est indispensable.
Destination le cimetière matin, avec la rentrée contrôlée
Dans le cas des très gros vaisseaux spatiaux, pour ceux dont on veut récupérer une charge utile (échantillons, résultats d’expériences) ou pour les vols habités, il faut effectuer une rentrée contrôlée. « Contrôlée » signifie que la trajectoire est parfaitement maîtrisée, en particulier l’angle d’incidence au moment de la pénétration dans les hautes couches de l’atmosphère. Si le véhicule a été conçu pour résister à cette rentrée, cela permet de le faire atterrir ou amerrir et de le récupérer en bonne état avec sa cargaison.
Dans le cas des vaisseaux spatiaux en fin de vie, comme par exemple la station MIR à la fin de sa mission ou les cargos automatiques ATV, la trajectoire est calculée de manière à ce que le point impact soit une zone inhabitée, à savoir une région dans l’océan pacifique sud. J'espère que vous n'avez pas prévu d'y aller faire un tour en bateau cet été (ou cet hiver).
Le cimetière marin dans l’océan pacifique sud : destination finale après
une rentrée contrôlée. Crédit image : NASA
Le cimetière des éléphants : pour protéger l’orbite géostationnaire
Une rentrée atmosphérique serait trop coûteuse en ergols pour un satellite géostationnaire : cela correspond à environ 1500 m/s de différence de vitesse pour assurer la désorbitation depuis l’orbite GEO.
En fait, l’orbite cimetière est plutôt une région dont la frontière basse est à 200 km au-dessus de l’orbite géostationnaire. La différence de vitesse (Delta V) nécessaire n’est plus alors que de 11 m/s. Cela correspond à la quantité d’ergols nécessaire pour assurer 3 mois de contrôle de la position orbitale (station-keeping) pendant la mission opérationnelle en orbite géostationnaire.
De la poudre aux cieux
Pour fixer les idées, Meteosat-7 embarquait 40 kg d’hydrazine (N2H4) dans le réservoir (en pratique 3 réservoirs sphériques reliés entre eux) de son système de propulsion pour ces manœuvres orbitales).
En sachant que l’impulsion spécifique de l’hydrazine est de 220 secondes dans le vide, l’équation des fusées de Tsiolkovski permet de calculer le delta V total que peut fournir le système de propulsion.
En sachant qu’au total, Meteosat-7 avait une masse totale de 696 kg au lancement, pour une masse sèche (hors moteur d’apogée et hydrazine) de 320 kg, on obtient un delta V total d’environ 254 m/s.
Pour être complet, c’est un moteur d’apogée à poudre (MAGE 1 pour Moteur d’Apogée Géostationnaire Européen) qui a assuré la mise à poste depuis l’orbite de transfert géostationnaire (GTO). Il a été éjecté du satellite, une fois l’orbite GEO atteinte. Meteosat-7 était équipé de quatre propulseurs de 10 N pour le contrôle d’orbite en orbite (Nord/Sud et Est/Ouest) et deux moteurs de 2N pour les manœuvres de contrôle de la rotation en spin.
Orbite Cimetière
Initialement choisie d’un commun accord par plusieurs agences spatiales, la solution du « graveyard » a été ensuite formalisée dans une recommandation de l’IADC (Inter-Agency Space Debris Coordinating Committee), un forum gouvernemental international assurant la coordination des activités relatives aux débris spatiaux : « Space systems that have terminated their mission should be manoeuvred far enough away from geostationary orbit to avoid interference with GEO systems ».
La recommandation 5.3.1 de l’IADC précise l’augmentation d’altitude minimum par rapport à l’orbite géostationnaire :
Augmentation d’altitude (km) = 200 + 35 + 1000 x Cr x A/m
200 km correspond à la zone de protection de l’orbite géostationnaire. La marge de 35 prend en compte les variations du champ de gravité (sous l’influence de la Lune et du Soleil). Le dernier facteur correspond à l’influence de la pression de radiation solaire : la facteur de forme du satellite (surface caractéristique divisée par la masse sèche) est multiplié par Cr le coefficient de pression de radiation solaire (entre 1,2 et 1,5 N/m2).
Monter pour ne pas faire des cendres
Il y a désormais une norme ISO (International Organisation for Standardisation) qui indique : “You must target, with 90 percent probability, that you will clear this 200 km plus region”.
Eumetsat, l'exploitant de Meteosat-7, visait pour sa part une marge confortable, avec une orbite à 500 ou 600 km au-dessus de l’orbite géostationnaire.
Une fois sur cette orbite, le satellite est “passivé” pour réduire les risques de production de débris dans le futur : les réservoirs et les conduites de carburant et de gaz sont vidés au maximum, tous les systèmes pyrotechniques et leurs redondances sont mis à feu, tous les équipements sont mis hors tension et les batteries sont déchargées et déconnectées.
Silence, on tourne…
Cerise sur le gâteau : le satellite Meteosat-7 est « spinné ». En opération normale, il tourne sur lui-même à environ 100 tours par minute. En fin de vie, la vitesse de rotation est progressivement réduite pour éviter qu’à cause de la force centrifuge, des morceaux ne se détachent et ne soit éjectés du satellite.
La réduction de la vitesse de rotation ne consomme pas d’ergols supplémentaires : elle est obtenue par un choix judicieux des propulseurs mis à feu pour le changement d’altitude.
Le changement d’orbite est obtenu par une série de poussées (“burn manoeuvres”) de manière à augmenter progressivement l’altitude. Les manœuvres sont dimensionnées pour sortir de la zone protégée après trois poussées. Jusqu’à six manœuvres supplémentaires offrent une marge d’altitude confortable.
Cette méthode originale, illustrée sur la figure suivante, a déjà été utilisée avec succès pour Meteosat-5 en 2007 et Meteosat-6 en 2011. Elle a été mise au point par Milan Klinc, ingénieur en mécanique de vol chez Eumetsat.
Les étapes du changement d’orbite de Meteosat-7 et son transfert
vers l’orbite cimetière. Crédit image : Eumetsat
En utilisant les données TLE (Two-Line Element) publiés par Celestrak (un grand merci à T.S. Kelso), j’ai reconstitué les dernières étapes de la vie de Meteosat-7. Le graphique suivant montre l’évolution de l’altitude de l’apogée, du périgée et l’excentricité de l’orbite de Meteosat-7 entre le 19 mars 2017 et le 19 avril 2017.
L’évolution de l’orbite de Météosat-7 reconstituée à partir des paramètres orbitaux (TLE)
entrele 19 mars et le 19 avril 2017. Les données TLE ont été fournies par Celestrak.
Calculs et infographie : Gédéon. Image de fond : Eumetsat.
On retrouve facilement l’altitude nominale de l’orbite géostationnaire, pratiquement circulaire à 35786 km d’altitude. Après la première impulsion, on note une forte augmentation de l’excentricité. Le graphique confirme aussi les explications données par Eumetsat : à la fin des manœuvres, l’altitude du périgée a augmenté de plus de 500 kilomètres et celle de l’apogée de 600 kilomètres, bien au-delà des recommandations de l’IADC.
En pratique, jusqu’à l’année 2005, seulement un tiers des satellites en fin de vie en orbite GEO avait effectué une manœuvre de retrait réussie. Il semble que la situation se soit beaucoup améliorée depuis 2011.
Concession perpétuelle ?
Pas vraiment… L’augmentation du nombre de satellites dans la région de l’orbite cimetière peut poser problème : les satellites qui y séjournent sont définitivement hors service et ne répondent plus aux commandes envoyées depuis la Terre. Ils ne sont pas vraiment six pieds sous terre et la cohabitation entre les occupants du cimetière peut être animée…
Vieux débris : pas de vieux os
Au cours de la septième conférence sur les débris spatiaux qui s’est déroulée du 18 au 21 avril à Darmstadt en Allemagne, les experts ont appelé à davantage d’efforts pour suivre les débris spatiaux et limiter leur augmentation, y compris au niveau des législations nationales. Ils craignent toujours le fameux syndrome de Kessler, avec un accroissement du nombre de collisions avec des effets en cascade, pouvant au pire rendre certaines orbites inutilisables.
Des conséquences bien plus graves mais illustrées par l’impact (40 cm) d’un débris sur le panneau solaire du satellite Sentinel-1A en août 2016. Un des sept débris créés par cette collision, suivis par le réseau de surveillance spatiale américain, s’est dangereusement rapproché de Sentinel-1B, le jumeau de Sentinel-1A, sur la même orbite.
A titre d’exemple, l’Agence Spatiale Européenne reçoit environ une alerte collision par semaine pour ses dix satellites actifs en orbite basse.Les débris les plus petits (d’un diamètre inférieur à 5 à 10 cm) ne peuvent actuellement pas être suivis. Cela veut dire qu’il est impossible d’alerter les opérateurs de satellites d’un danger immédiat. Selon les chiffres cités pendant la conférence, il y aurait environ 750000 débris d’environ 1 cm de diamètre, et 150 millions de 1 mm. Les débris spatiaux seraient désormais la première cause de mortalité des satellites.
Les deux graphiques suivants son extrait de la dernière édition de la lettre d’information Orbital Debris Quaterly News (Février 2017) publiée par la NASA. Ils montrent l’évolution du nombre de débris catalogués et de la masse des débris au cours des années, par type d’objects spatiaux (satellites, étages supérieurs de lanceurs, débris provenant de collisions et d’opérations dans l’espace, etc.)
“Fragmentation debris” regroupe les débris liés aux dégâts causés aux satellites et les évènements anomaux. “Mission-related debris” concernent tous les objets perdus ou abandonnés au cours d’opérations normales et planifiées.
Evolution annuelle du nombre d’objets en orbite terrestre catalogués par type d’objets.
Synthèse de tous les objets officiellement recensés par le réseau de surveillance spatiale américain
(U.S. Space Surveillance Network). Source : Orbital Debris Quaterly News (Février 2017)
Evolution annuelle de la masse totale des objets en orbite terrestre catalogués par type d’objets.
Synthèse de tous les objets officiellement recensés par le réseau de surveillance spatiale américain.
Source : Orbital Debris Quaterly News (Février 2017)
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans la catégorie satellites et lancements.
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, un article sur la rentrée atmosphérique de l’ATV-4 Albert Einstein.
- Sur le site du journal New Scientist, un article sur les débris spatiaux et les satellites « zombies ».
- Sur le site de l’IADC, une présentation des recommandations pour limiter les débris spatiaux.
- Sur le site spacenews.com, un article sur la législation sur les débris et l'amélioration des systèmes de surveillance de l'espace.
- Sur le site fredzone.org, un article sur la conférence sur les débris spatiaux.
- Sur le site d’Eumetsat :
- Sur le site eoportal, une page sur la première génération de satellites Meteosat.