Les incendies de Fort McMurray au Canada vus par le satellite Spot 7.
En haut, extrait en couleurs naturelles sur une zone à l’est de la ville.
En bas, vue d’ensemble en résolution réduite d’une image acquise le 6 mai 2016.
Crédit image : Airbus DS
« La bête »
C’est ainsi que les journalistes ont baptisé le gigantesque incendie contre lequel les pompiers canadiens se battent depuis le 1er mai à Fort McMurray. Plus de 100 000 hectares (1000 km2) ont été ravagés mais la progression des surfaces brulées a ralenti dimanche 8 mai.
Dans la province de l’Alberta, la progression des incendies autour de Fort McMurray
entre le 2 et le 6 mai 2016. Série d’images acquises par l’instrument MODIS
à bord des satellites Aqua Terra. Illustration Gédéon.
Crédit image : NASA / GSFC / MODIS Rapid Response
Malgré la baisse des températures, des vents moins violents, quelques averses et un air plus humide, les pompiers de l’Alberta continuent à lutter contre les terribles incendies autour et dans la ville de Fort McMurray, dans la province de l’Alberta à l’ouest du Canada, à proximité des sites pétroliers d’exploitation des sables bitumineux. Au niveau de ces installations, au nord de la ville, le risque semble avoir diminué.
Les responsables des services d’urgence pensent qu’il faudra encore plusieurs semaines d’efforts (voire plusieurs mois en l’absence de fortes pluies) pour venir totalement à bout de l’incendie.
Pas de fumée sans feu…
Plusieurs dizaines de foyers d’incendie étaient encore actifs lundi et quelques feux étaient toujours considérés comme « hors de contrôle ». Des moyens humains et matériels impressionnants étaient mobilisés pour tenter de les contenir : 1500 pompiers, 150 hélicoptères et 30 avions bombardiers d’eau, 30 camions-citernes et des centaines d’engins de chantier chargés d’aménager des pare-feux autour des zones habités et des installations industrielles.
Deux extraits d’une image prise par le satellite européen Sentinel-2A
au début de la crise. En haut, version en couleurs naturelle montrant
les moyens mis en place par les pompiers pour tenter de retarder la progression
es flammes. En bas, composition colorée mettant en évidence les foyers
d’incendies. Image acquise le 2 mai 2016 à 18h39 UTC.
Crédit image : ESA / Commission européenne / Programme Copernicus
Les feux ont provoqué des dégâts énormes et entraîné l’évacuation de la ville entière et des villages voisins, soit environ 100000 personnes, désormais hébergées loin de la ville pétrolière de l’Alberta, jusqu’à Edmonton, la capitale de la province. A ce jour, les deux seuls décès à déplorer ont été causés par un accident de la route pendant cette évacuation.
Evolution de l’incendie au sud et à l’est de la ville
Extrait d’une image Landsat 8 acquise le 5 mai 2016 à 18h21 UTC.
Crédit image : USGS
Alors que les pompiers continuent de protéger les habitations et les infrastructures pétrolières, l’évaluation détaillée des dégâts va commencer. Les images satellites confirment que ce sont surtout les secteurs résidentiels périphériques qui ont été touchés. Ceux dont les habitations n’ont pas été détruites devront s’armer de patience avant de pouvoir retourner chez eux.
Alimentation électrique, réseau d’eau potable, gaz, etc. : toutes les infrastructures de base ont été touchées, affectant ainsi toutes les activités de la ville, avec des risques pour la santé de la population. Les compagnies pétrolières (Suncor, Syncrude, Husky, Shell, etc.) ont fermé plusieurs sites de production et évacué 10000 employés. La baisse de production est estimée à 1 à 1,5 million de barils par jour.
Addition salée
Ce ne sont pas les premiers incendies importants dans la province d’Alberta au Canada mais l’immense brasier qui a dévasté la région de Fort McMurray pourrait bien être “la catastrophe la plus coûteuse de l’histoire du pays”, avec un impact financier supérieur à celui de l’épisode de verglas massif qui avait touché l’est du Canada en janvier 1998.
Les premières estimations évoquent une facture de 9 milliards de dollars canadiens, soit environ 6 milliards d’euros. 2400 immeubles et maisons ont été détruits, environ 10% de la ville selon le premier bilan des autorités. La baisse temporaire de l’exploitation des sables bitumineux ne va pas arranger l’économie d’une région déjà affectée par la chute durable des cours du pétrole.
Images utilisées pour l’inventaire des dégâts causés
par l’incendie de Fort McMurray. Extraits d’images à haute
résolution publiées par la société Digital Globe
Digital Globe vient également de publier une première série d’images « avant / après » provenant du satellite WorldView-2. La première image date du 29 mai 2015. La seconde a été acquise le 5 mai. On ne peut pas vraiment parler d’image « après » car les feux sont encore en plein développement.
C’est d’ailleurs une des difficultés que rencontrent les équipes de cartographie rapide, travaillant pour la Charte Internationale « Espace et catastrophes majeures » ou le service Copernicus « Emergency Mapping » dans le cadre de crises qui durent plusieurs jours comme les incendies les plus importants.
« Avant – Après » (Before - After) : deux extraits d’images du satellite WorldView-2 acquises
respectivement le 29 mai 2015 et le 5 mai 2016. Représentation utilisant le canal proche infrarouge
faisant apparaître la végétation active en rouge. Les zones brûlées (plus de chlorophylle) sont sombres.
Crédit image : Digital Globe
Comparer une image de référence avec une image acquise juste après la catastrophe pour identifier les changements reste le principe de base en cartographie rapide. Si les dégâts sont visuellement très faciles à identifier (c’est le cas ici) ou si on dispose d’une autre carte de référence, l’image de référence n’est pas indispensable. L’image du 5 mai 2016 est utile pour l’inventaire des dégâts dans les zones déjà parcourues par le feu au moment où l’incendie faisait encore rage.
C’est donc plutôt une image d’actualité qu’un outil pour un inventaire exhaustif des habitations détruites. On ne va pas se plaindre et la mettre précieusement de côté : l’arrivée de nuages peut empêcher d’avoir des images exploitables. Il faudra attendre quelques jours ou quelques semaines pour une cartographie plus complète…
Satellite et instruments d’observation : quelques commentaires sur les images des incendies de Fort McMurray
Au-delà de leur caractère spectaculaire, les images illustrant cet article sont l’occasion de passer en revue quelques caractéristiques des satellites d’observation :
- L’orbite des satellites.
- Les performances de la plate-forme.
- Les performances de l’instrument d’observation.
Manège enchanté
Toutes les images présentées ici proviennent de satellites opérant sur une orbite polaire héliosynchrone : l’altitude est relativement basse (entre 700 et 800 km d’altitude). A un instant donné, ils ne voient qu’une fraction de la surface de la Terre.
La plateforme des satellites comme Aqua, Terra, Landsat 8 ou Sentinel-2A oriente toujours l’axe de l’instrument d’observation dans la direction verticale. On dit parfois qu’ils fonctionnent comme une « machine à laver » : ils tournent indéfiniment et acquièrent les images des régions qui défilent en dessous…
Ces satellites ont ainsi accès à un « corridor de prise de vue » de largeur limitée (quelques centaines ou un peu plus de 2000 kilomètres au maximum), correspondant à la fauchée (swath en anglais) du satellite. Balayer entièrement la surface terrestre demande plusieurs jours. La durée exacte, la période de revisite, dépend de la fauchée du satellite, par exemple 10 jours pour Sentinel-2A ou 16 jours pour Landsat 8. Elle dépend de la latitude : le satellite survole plus fréquemment les régions polaires.
Lassé de tanguer : au bout du roulis
Un moyen de réduire ce délai (période de revisite) consiste à faire travailler plusieurs satellites de manière simultanée : les deux satellites Aqua et Terra, avec la large fauchée de l’instrument MODIS (2330 km), survolent chaque point de la Terre deux fois par jours, une fois le matin (à 9:30 en heure locale) et une fois l’après-midi (à 13:30 en heure locale). Quand Sentinel-2B rejoindra son frère jumeau, la période de revisite maximale descendra à 5 jours.
Comme les satellites Pléiades, les satellites SPOT 7 et Worldview-2 sont « agiles » : la plateforme peut s’orienter pour pointer leur instrument vers la région d’intérêt. C’est une caractéristique qu’on retrouve sur la plupart des satellites à très haute résolution : leur fauchée est beaucoup plus réduite (de 10 à 20 km par exemple) et l’agilité est un moyen de retrouver un corridor d’accès de largeur suffisante. Evidemment, la résolution des images diminue que la visée s’éloigne de la verticale.
Toutes les images présentées ici proviennent de satellites optiques. Même s’ils voient à travers les nuages, les satellites radar ne sont pas très utiles dans le cas des incendies : ils ne sont pas adaptés à la cartographie des zones brûlées.
L’œil du satellite
Les instruments des satellites optiques sont des gros télescopes. L’analogie avec un appareil photo n’est pas très bonne car la formation de l’image est rarement (jusqu’à présent) obtenue par une matrice de détecteurs comme sur votre réflex ou votre smartphone.
C’est en fait le défilement d’une ligne de détecteurs dans l’instrument causée par le déplacement du satellite sur son orbite qui crée la deuxième dimension de l’image, un peu comme sur un scanner à plat ou une photocopieuse.
Trois paramètres principaux définissent les caractéristiques de l’instrument :
- L’angle de prise de vue : pour une altitude donnée, il définit la fauchée au sol.
- La distance d’échantillonnage au sol (Ground Sampling Distance ou GSD), souvent appelée résolution.
- Le nombre et les longueurs d’ondes des différentes bandes spectrales.
La fauchée, ça coute cher…
Les instruments qui ont produit les images présentées ici ont des résolutions et des fauchées très variables, en gros de la moyenne résolution / très large champ de MODIS (250 à 500 mètres de résolution, 2330 km de largeur de champ) à la très haute résolution / champ étroit de WorldView-2 (46 cm en panchromatique / fauchée de 16,4 km).
Sur SPOT 6 et SPOT 7, un choix original a été fait dans la continuité de la famille SPOT : une résolution assez élevée (images échantillonnées à 1,5 mètre) tout en conservant une largeur de champ de 60 km. C’est un très bon compromis pour ce type de crise affectant une surface large : une seule image (3600 km2) peut couvrir l’ensemble des surfaces brûlées autour de Fort McMurray.
Comparaison des fauchées (largeur de champ vu au sol)
des satellites d'observation cités dans cet article (hors Aqua et Terra).
Fond image : Google Earth. Illustration : Gédéon
Un rapport qui fait du bruit
D’autres articles vont présenteront plus en détail les questions de résolution et de fauchée, ainsi qu’un autre élément important de la performance, en gros le piqué des images. Les experts onttrouvé un joli nom : la fonction de transfert de modulation (MTF ou Modulation Transfer Function en anglais).
Un dernier détail : la résolution dépend souvent des bandes spectrales. Elle est souvent plus élevée pour les images panchromatiques, en général deux fois moins bonnes pour les spectre visible et réduit encore quand la longueur d’onde augmente.
Le spectre : 0,07 j’aime cette bande
L’élément peut être le plus marquant des images illustrant cet article est la diversité des types de représentation des couleurs. Le nombre relativement de bandes spectrales des instruments de ces satellites permet des combinaisons mettant bien en évidence tel ou tel aspect des régions survolées : état couvert végétal, caractéristiques des sols nus, eau, turbidité, nuages, etc.
En complément des bandes du spectre visible, la présence d’une ou deux bandes dans le proche infrarouge et une ou deux bandes SWIR (Short Wavelengh InfraRed) est très utile dans le cas des feux de forêt.
Purple sans rain
Il y a quelques images en couleurs naturelles (celle de SPOT 7 et la première représentation 432 de l’image Sentinel-2A) mais j’ai surtout utilisé deux compositions colorées assez classiques :
- La combinaison des bandes proche infrarouge, rouge et verte qui met bien en évidence la végétation active : elle apparaît en rouge. C’est par exemple la composition 543 sur Sentinel-2 ou les derniers extraits d’image WorldView-2.
- La combinaison des bandes SWIR, proche infrarouge et rouge, qui permet d’identifier plus facilement les foyers actifs. J’ai utilisé dans la série d’images Aqua et Terre la célèbre combinaison 721 de l’instrument MODIS. Sur Landsat 8, elle correspond à ce qui est bizarrement appelé « natural colors » par l’USGS, une combinaison des canaux 6, 5 et 4. Sur Sentinel-2, on obtient quelque chose de similaire en combinant les canaux 12, 8A et 4. Dans le cas des images violet / jaune de Digital Globe, les surfaces jaunes correspondent aux zones brûlées, les surfaces violettes à la végétation en bon état et les points brillants aux feux encore actifs.
Pour les amateurs : un tour d'horizon des bandes spectrales des satellites d'observation
cités dans cet article. Cliquer sur l'image pour l'agrandir : Si! Si ! On arrive à lire...
Crédit image : Gédéon
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre :
- Un article sur les incendies dans l’Alberta en juin 2015.
- Un article sur les sables bitumineux de l’Athabasca et de Fort Mc Murray.
- Les autres articles dans la catégorie "espace et catastrophes majeures".
-
Sur le site d’Airbus Defence and Space, la galerie d’images satellites avec l’image de Fort Mc Murray prise le 6 mai par le satellite Spot 7.
-
Sur le site de la NASA, une page en anglais avec des images satellites.
-
Sur le site du journal Boston Globe, une série de photographies sur les incendies de Fort Mc Murray.