Accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl : le chantier de l'arche de confinement du réacteur n°4
vu par le satellite Pléiades 1B. Extrait d’une image acquise le 27 mars 2016 à 9h26 UTC,
pivoté de 90° par rapport à l'orientation d'origine (direction nord à gauche de l'image).
Copyright CNES 2016 – Distribution Airbus DS
Tchernobyl : à ce jour, la pire catastophe du nucléaire civil
Une image très spectaculaire... Elle est extraite d'une image prise par le satellite Pléiades en mars 2016. Elle montre que cet accident est toujours d'actualité en 2016, 30 ans après l'évènement. Dans le nucléaire, la demi-vie, ça peut durer longtemps ...
26 avril 1986 (ou 25 avril en temps universel) : le réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl explose… La fusion du cœur déclenche une importante pollution radioactive de l’environnement.
La catastrophe touche l’ensemble du continent européen à des degrés divers. Avant l’accident de Fukushima en 2011, c’est le seul accident nucléaire classé au niveau 7 sur l’échelle de l’INES (échelle internationale des événements nucléaires).
En 1957, l’explosion à l’usine de retraitement de Kychtym en URSS correspondait au niveau 6 actuel. Le 28 mars 1979, La fusion partielle du cœur du réacteur no 2 (TMI-2) à Three Mile Island, en Pennsylvanie aux Etats-Unis relevait de la classe 5. Destinée à l'information du public et des médias, l'échelle INES est plus un outil de communication qu'une véritable échelle de mesure scientifique.
Ironie de l'histoire, c'est un essai destiné à vérifier l'alimentation de secours du système de refroidissement du réacteur qui est à l'origine de plusieurs erreurs humaines ayant entraîné la catastrophe...
A 16 km de la frontière sud du Bélarus, à 670 km au sud-est de Moscou, quatre réacteurs de type RBMK-1000 étaient en service et deux autres étaient en construction.
Derrière le rideau de fer…
A 110 km au nord-ouest de Kiev, aujourd’hui en Ukraine, la centrale est à l’époque en URSS. Aucune information officielle n’est publiée immédiatement. Même Gorbatchev, à Moscou, semble ne pas avoir un vision complète de la situation.
Bon... Question frontières et rideau de fer, les plus âgés savent que l’information des populations a « connu des ratés » : en France, on se souvient de la controverse concernant le nuage radioactif qui serait resté à l'écart du territoire français et la validité des informations communiquées par le SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants) et le professeur Pellerin.
C'est la Suède qui donne l’alerte le 28 avril au matin, après avoir détecté un niveau de radioactivité anormal sur son territoire.
Lancé 2 mois plus tôt, le 22 février 1986, SPOT 1, qui termine sa recette en vol, est programmé pour fournir en urgence des images de la centrale accidentée. La première image panchromatique est acquise le 1er mai, reçue et traitée à Kiruna en Suède.
« Quelque part au nord de l’Ukraine » : Vous n'avez rien de plus précis ?
Gérard Brachet, alors PDG de Spot Image, se souvient du moment où il est décidé de faire appel à SPOT 1 : « Au moment où l’alerte est donnée, j’étais en déplacement à Washington chez Spot Image Corporation. J’ai immédiatement appelé les bureaux de Toulouse pour demander une programmation prioritaire du satellite SPOT 1. Nous ne savions pas exactement où était la centrale. On ne parlait pas encore du village de Tchernobyl. Pour cette raison, il a été choisi de réaliser une acquisition double avec les deux instruments HRV pour couvrir une largeur de 117 km sur une longueur de 500 km au nord de Kiev ».
Apparemment, les grands esprits se rencontrent : Satimage, le partenaire suédois de Spot Image, demande également une programmation de SPOT pour en savoir plus sur l’origine de la pollution radioactive.
La première opportunité d’acquisition est le 1er mai 1986, deux jours plus tard. Il fait un temps magnifique au-dessus de l'Ukraine. Une image panchromatique sans nuages à 10 mètres de résolution est acquise à 9:07 UTC et reçue à Toulouse et à Kiruna le jour même.
La première image SPOT 1, acquise en mode panchromatique le 1er mai 1986 à 9h07 UTC.
La résolution est de 10 mètres. La visée est assez verticale: l'angle d'incidence est de -8,32°.
Le signe - indique que le satellite est alors à l'est du point visé.
Informations extraites du catalogue Geostore d’Airbus DS
Fête du travail : muguet et champignons...
1er mai ? A l’époque, les mécanismes d’astreinte mis en place aujourd’hui pour l’imagerie d’urgence n’existent pas encore. Les services satellitaires de support à la gestion de crise, comme la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures » ou le service Copernicus de cartographie d’urgence (Emergency Mapping Service) ne verront le jour que près de quinze ans plus tard.
Rien de tel n’est prévu le 1er mai 1986. Gérard Brachet raconte : « Svante Astermo, le directeur général de Satimage, m’appelle chez moi pour me dire que, même si c’est également férié en Suède, ils sont capables d‘effectuer le traitement avec les moyens de Kiruna. Il me demande l’autorisation de communiquer l’image à la presse. Je donne mon accord. J’aurais préféré que l’image soit produite à Toulouse mais ce n’était tout simplement pas possible… »
La demande de programmation transmise le 29 avril 1986 par les responsables de Satimage en Suède.
Source : Johan Gärdebo (KTH Royal Institute of Technology)
Cet « exploit du 1er mai » a certainement contribué à construire la réputation et la notoriété du satellite SPOT : il y avait bien des images acquises par le satellite américain Landsat, mais d’une résolution très inférieure. Et, pour les satellites militaires, également américains, pas question d’une publication dans la presse. Ce jour-là, l’image panchromatique à 10 mètres de résolution de SPOT 1 a fait la différence.
Les caractéristiques de l’image multi-spectrale acquise le 7 mai 1986 à 8h51 UTC.
Le contour noir matérialise l'emprise de la scène du 1er mai. La forme rectangulaire de l'image du 7 mai
montre que la visée est beaucoup plus oblique : l'angle d'incidence est ici de -26,85°
Copie d’écran d’une consultation du catalogue Geostore d’Airbus DS
Un satellite pour viser dans les coins
La possibilité de visée oblique, grâce au miroir orientable de l’instrument HRV (on ne parle pas encore d’agilité du satellite en 1986), a permis d’obtenir plusieurs autres images dans les jours suivants. Celle présentée ici a été acquise le 7 mai. C'est une des premières images multi-spectrales. L’illustration montrant son emprise, comparée à celle du premier montre que la visée a effectivement été beaucoup plus oblique. Cette fonctionnalité permet d'augmenter la revisite effective, avant que l'orbite du satellite ne l'éloigne trop de la zone d'intérêt. Sur les satellites Pléiades (ou SPOT 6 et SPOT 7), c'est l'agilité (le basculement de l'ensemble du satellite) qui joue le même rôle
La centrale nucléaire de Tchernobyl vue par le satellite SPOT 1.
Image multi-spectrale d’une résolution de 20 mètres acquise le 7 mai 1986 à 8h51 UTC.
En bas, extrait centrée sur la centrale et le réacteur n°4. En haut, vue générale.
La scène complète est "plus carrée". Copyright CNES 2016 – Distribution Airbus DS
Le vrai début des opérations pour le satellite SPOT 1
Reprises par la presse et la télévision, les images de SPOT 1, premier satellite civil offrant une résolution de 10 mètres, ont un impact considérable.
Ces images sont considérées comme la première utilisation opérationnelle du satellite SPOT, montrant sa capacité de fournir des informations partout dans le monde, indépendamment des frontières ou des contraintes politiques, ou très rapidement après une catastrophe.
Il est probable que cet épisode ait facilité la décision de lancement effectif du programme de satellite de reconnaissance Hélios, prise par le gouvernement français en juin 1986, en pleine péridoe de cohabitation (François Mitterand Président, Jacques Chirac, Premier ministre).
Après l’imagerie d’urgence, le suivi dans la durée…
Depuis 1986, les satellites SPOT puis Pléiades ont régulièrement suivi l’évolution du site de la centrale.
En 2011, Airbus Defence and Space (anciennement Spot image) avait publié sur son site Internet un livret (flip-book) contenant des images et des textes retraçant comment les satellites d’observation de la Terre ont scruté l’évolution de la région de Tchernobyl depuis 25 ans.
Ce document, préparé par Pascal Michel, très intéressant, est toujours accessible en ligne ici. L’illustration suivante en montre quelques extraits. Les liens à la fin de cet article donnent accès à quelques images des satellites SPOT de la galerie d’images d’Airbus DS utilisées pour ce suivi.
Extraits d’images acquises par les satellites SPOT entre 1986 et 2006 et montrant les évolutions
majeures dans les environs de la centrale de Tchernobyl. Du haut vers le bas, disparition du parcellaire
agricole, limites e la zone de contamination et mise en place du chantier, création de nouveaux
ponts et routes, endiguement de la rivière Pripryat, sites de stockae des déchets.
Illustrations extraites du livret publié par Pascal Michel (Spot Image) en 2011.
30 ans à Tchernobyl, de SPOT à Pléiades : la situation en avril 2016
Depuis 2011, les satellites Pléiades ont pris le relais de SPOT. L'image acquise par Pléiades-1B le 27 mars 2016 montre l'évolution spectaculaire des performances des satellites d'observation. Je vous renvoies à d'autres articles...
Les environs de la centrale nucléaire de Tchernobyl vue par le satellite Pléiades 1B le 27 mars 2016
à 9h26 UTC. Vue générale en résolution réduite. Le nord est en haut de l'image. L'angle d'incidence
est de 22,6°. Copyright CNES 2016 – Distribution Airbus DS.
Concernant Tchernobyl, je termine avec quelques observations qu’on peut faire sur cette image à très haute résolution sur deux sujets précis :
- La ville de Pripryat.
- Le chantier de l’arche de confinement de la centrale.
Vous avez certainement vu comme moi des reportages ou des photographies étonnantes ou émouvantes de la ville de Pripryat : juste à côté de la centrale, dans le périmètre de la zone contaminée, c’est une ville fantôme.
Si vous ne l’avez pas encore regardé, je vous conseille en particulier le film « La Terre outragée » de Michale Boganim, avec Olga Kurylenko, Andrzj Chryra et Ilya Iosifov, sorti en 2011. Je crois qu'il existe en DVD.
Les illustrations suivantes, extraites de l’image Pléiades prise le 27 mars 2016, montrent par exemple le développement de la végétation dans la ville abandonnée.
Ne pas perdre le nord
Les ombres portées accentuent l’impression de relief. Notez que, sur ces extraits comme pour l’arche de confinement, le nord n’est pas en haut : l’image a été pivotée de 90° dans le sens inverse des aiguilles d’une montre (le nord à gauche de l’image) afin que le point de vue de l’observateur soir cohérent avec l’orientation du satellite Pléiades au moment de la prise de vue.
Un autre extrait de l'image acquise par le satellite Pléiades-1B le 27 mars 2016,
centrée sur la ville de Pripryat, à proximité immédiate de la centrale de Tchernobyl.
En bas, un détail émouvant : le manège d'enfants vu sur des nombreuses photographies.
Note : j'ai appliqué un réglagle différent des couleurs et du contraste entre les deux images.
Copyright CNES 2016 – Distribution Airbus DS.
Manège pas enchanté
m'a gentiment permis de reprendre une photo du haut de ce manège. Elle est extraite d'une vidéo prise à partir d'un drone réalisée par Danny Cooke (à voir !) à l'occasion d'une reportage pour CBS en 2014.
Le chantier géant de l'arche de confinement de Tchernobyl
30 ans après, le chantier de décontamination et de protection du bâtiment du réacteur se poursuit. L’image acquise par le satellite Pléiades le 27 mars 2016 montre également l’impressionnante arche de confinement en cours d’assemblage à côté du réacteur 4.
Un projet ambitieux : enfermer sarco
Une fois mis en place, l'arche visible sur l'image Pléiades doit servir à confiner les matières radioactives, abriter le premier sarcophage partiellement dégradé (pluie et gel) et protéger les équipes participant aux travaux de décontamination et de démantèlement.
L’arche, réalisée en deux tronçons, a des dimensions impressionnantes : 108 mètres de hauteur, 162 mètres de largeur et près de 260 mètres de longueur. Assez grande pour contenir le stade de France et le Sacré Cœur (façon de parler pour un réacteur nucléaire…) et un poids estimé à 32000 tonnes !
Alliance pour l'arche
Les travaux sont réalisés sous la responsabilité de Chernobyl Nuclear Power Plant (ChNPP), avec un consortium international auquel participent les entreprises françaises Vinci et Bouygues.
Après un appel d’offre lancé en 2004, le chantier démarre en 2009. Il est très en retard : il aurait dû être normalement achevé en 2012. Un premier report avait fixé la nouvelle échéance à 2015.
Un exemple d'alea ? sous le poids de la neige, l'effondrement d'un bâtiment d'appui de l'ancien sarcophage en février 2013 qui entraîne l'arrêt du chantier le temps de vérifer le niveau de radioactivité.
Vue panoramique du chantier autour du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl prise en juin 2013.
Crédit image : Ingmar Runge (travail personnel) [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons
Arche 2 nouée ?
Non assemblée à partir de deux tronçons boulonnés…
Avec le retard du chantier, la première opération de levage sur l'arche n’a eu lieu qu’en novembre 2012. Le raccordement des deux tronçons a été effectué en juillet 2015, avec le support de la société néerlandaise Mammoet, spécialisée dans la manutention lourde.
Bien qu'elle soit plus récente que l'opération de raccordement, l’image du satellite Pléiades donne une idée du gigantisme du chantier et des moyens de levage utilisés pour une opération de grande précision.
On parle désormais de 2017 pour la fin du chantier.
Photographie de l’assemblage des deux parties de l’arche de confinement du réacteur 4 de la
centrale de Tchernobyl. Crédit image : Mammoet
Avenir radieux
J’ai écrit d’autres articles sur Tchernobyl et les satellites d’observation, déjà pour les 25 ans de SPOT, un anniversaire qui coïncidait presque à la date de la catastrophe de Fukushima, après le séisme et le tsunami du 11 mars, ou à l’occasion des incendies violents qui ont touché le sud-ouest de la Russie : on craignait alors que les fumées emportent des cendres provenant de la combustion des sols et de végétaux irradiés dans la région de Briansk et déclenchent une nouvelle pollution.
Avec un peu de recul, on se rend compte de l’impact à long terme des accidents nucléaires. Fin avril 1986, pour la télévision publique nippone NHK, il était quasi certain que Tchernobyl resterait "le plus grave accident nucléaire de l'histoire". Le 12 avril 2011, l'agence japonaise de sûreté nucléaire a finalement classé au niveau 7, le niveau maximum, sur l'échelle internationale des événements nucléaires (INES) l'accident survenu à la centrale de Fukushima-Daiichi.
J'espère que cet article vous donnera envie de consulter davantage de littérature sur le sujet. Tchernobyl, le nucléaire et la question des choix stratégiques concernant les sources d'énergie restent un sujet majeur et complexe pour tout ceux qui s'intéressent à la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI), particulièrement d'actualité en France, dont la production électricité est très majoritairement d'origine nucléaire, au moment où EDF rencontre des difficultés avec le développement des réacteurs EPR et où des décisions doivent être prise concernant l'avenir du parc de centrales et le traitement des déchets.
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, d’autres articles sur les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima :
- Japon, Tchernobyl... Pour en connaître un rayon sur la radioactivité : les unités de mesure des rayonnements et de leurs effets biologiques
- 25 ans après, l’explosion de la centrale de Tchernobyl résonne encore, à Fukushima et dans tous les pays équipés de centrales nucléaires
- Les incendies en russie menacent des zones irradiées dans la région de Briansk au moment de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, la série d’articles sur les 30 ans de SPOT :
- 30 bougies pour un Spot : 22 février 1986, le satellite SPOT 1 en orbite. Bon anniversaire !
- La première image du satellite SPOT : un nouveau regard sur la Terre
- SPOT, Un Satellite pour Occuper Toulouse ? Mission accomplie !
- Toulouse : 30 ans de développement à travers l’œil des satellites Spot et Pléiades
- 30 ans de SPOT : SPOT 3, le mauvais élève de la famille ?
- Sur le site d’Airbus Defence and Space :
- Une série d’images prises par les satellites de la famille SPOT de l’évolution du site de Tchernobyl : SPOT 1 en 1986 et 1988, SPOT 3 en 1996 et SPOT 5 en 2006.
- Le chantier du sarcophage et des environs de la centrale (avec la ville de Prypriat) : une image prise par le satellite Pléiades le 27 mars 2016.
- Un livret sur 25 années de suivi de l’évolution site par les satellites d’observation.
- Sur le site du CNES, une version résumée de cet article.
- Sur le site chnpp.gov.ua, une webcam sur le chantier de l’arche de confinement de Tchernobyl.
- Sur le site de la société néerlandaise Mammoet, une page sur l’arche de confinement de Tchernobyl.
- Sur le site nuclearstreet.com, une vidéo du chantier de construction de l’arche de confinement filmée par un drone.