Le nuage causé par l’explosion de Tianjin : extrait d’une image prise par l’instrument GOCI
le 13 août 2015 à 3:16:48 UTC. Crédit image : Korea Ocean Satellite Center
La pire catastrophe industrielle qu’ait connue la Chine…
L’explosion de Tianjin et le nuage qu’elle a créé ont été détectés par plusieurs satellites météorologiques. De nombreux médias ont repris leurs images. A ma connaissance, les images présentées ici, acquises par l’instrument GOCI du satellite coréen COMS-1, n’ont pas encore été publiées. J’ai un peu accentué le contraste pour bien mettre en évidence le nuage de l’explosion (couleur sombre). Le nuage se déplace dans la direction sud-est vers la péninsule Shangdong.
Le voile gris clair est probablement lié aux nombreux feux de végétation dans la région orientale de la Chine.
Roue de la fortune
GOCI (Geostationary Ocean Color Imager) est un instrument d’observation de la Terre étonnant, installé sur un satellite géostationnaire, qui observe la région en permanence.
Explosion de Tianjin : une série d’images qui montrent le nuage de fumée noire
causé par l’explosion et sa propagation. 7 images acquises par l’instrument GOCI le 13 août 2015
entre 00:16:48 et 06:16:48 UTC. Mise en forme : Gédéon. Crédit image : Korea Ocean Satellite Center
A la verticale de la Corée, GOCI couvre une zone d’environ 2500 kilomètres de côté et fournit des images de 500 mètres de résolution au sol dans 8 bandes spectrales. Celles-ci sont acquises à travers une roue à filtres qui tourne devant le capteur. Sur l'orbite géostationnaire, il fournit des séries d'images de la même zone centrée sur la Corée. Voici un exemple de ce qe voit l'instrument GOCI
Une image complète prise par GOCI le 13 août 2015 à 1:16:48 UTC. Le nuage est encore
à proximité de Tianjin. Crédit image : Korea Ocean Satellite Center
Double explosion
12 août 2015, 23:30 (15:30 UTC) : explosion d’un entrepôt de produits chimiques à Tianjin (Chine). Bilan provisoire (mis à jour du 24 août 2015) : 129 morts, 44 disparus, des milliers de blessés (610 encore hospitalisés dont 44 dans un état critique), une ville sinistrée et des habitants qui découvrent que leurs logements étaient installés à proximité d’un site de stockage de matières dangereuses.
Même si Airbus y a installé sa ligne d’assemblage en Chine, il n’y a pas beaucoup de ressemblance a priori entre Toulouse et Tianjin, la 3ème ville chinoise, une des plus dynamiques, avec près de 15 millions d’habitants. Implantée dans le golfe de Bohai, Tianjin est le 3ème port mondial (World Port Rankings 2013)
Carbure de calcium, cyanure de sodium et de potassium ou nitrate d’ammonium
Pourtant, les reportages et les photographies très impressionnantes publiées par les médias (voir par exemple celles site Big Picture du journal Boston Globe et d'autres liens à la fin de cet article) et montrant des les paysages de désolation présentent des ressemblances étonnantes avec celles que les habitants de Toulouse ont gardé en mémoire.
Elles réveillent de très mauvais souvenirs chez les toulousains : le 21 septembre 2001, 10 jours après les attentats du 11 septembre, l’explosion d’un stock de nitrate d'ammonium entreposé dans l’usine AZF de Toulouse avait entraîné la mort de 31 personnes, fait 2 500 blessés et des dégâts matériels dans toute la ville.
Même si le site de l’explosion de l'AZF a été réhabilité avec l’installation du campus de 220 ha de l’Oncopole, aucun toulousain présent ce jour-là ne passe à proximité sur la rocade ou sur la N20 sans un pincement au cœur.
En haut, le site de l’usine AZF à Toulouse après l’explosion du 21 septembre 2001.
Crédit image : Gédéon. En bas une image des dégâts à Tianjin. Crédit : AFP
Par où venir à pied ?
Dans moins d’un mois, Toulouse commémorera à nouveau la catastrophe de l’AZF et il est certain que l’explosion Tianjin sera de la partie.
La séquence des 7 images GOCI acquises le 13 août en 00:16 et 06 :16 UTC. Animation réalisée par Gédéon à partir d’images publiées par le KOSC (Korea Ocean Satellite Center). Egalement sur Youtube.
Lampe à acétylène et pompiers pyromanes
Ironie du sort : il semble que c’est l’intervention des pompiers sur un premier incendie qui a causé la seconde explosion. La réaction du carbure de calcium avec l’eau a dégagé des quantités importantes d’acétylène, extrêmement inflammable, qui aurait entraîné la seconde explosion.
CN ou HCN : se faire un sang d’encre en Chine
Le cyanure de sodium, une quantité estimée à 700 tonnes, n’a pas explosé mais la dispersion de quantités importantes pose un autre problème : dans l’eau, en présence d’acide, il peut se transformer en acide cyanhydrique (cyanure d’hydrogène), également inflammable et hautement toxique : il est à la base du tristement célèbre Zyklon B utilisé dans les chambres à gaz pendant la seconde guerre mondiale.
Une semaine après l’explosion, mercredi 19 août, Le Bureau de protection de l’environnement de Tianjin a déclaré que le niveau de cyanure dans l’eau de rivière et dans l’eau de mer de la zone évacuée était 277 fois supérieur au seuil de tolérance, mais que « l’eau du robinet continuait à être potable ».
Les photographies circulant sur les réseaux sociaux montrant de milliers de poissons morts flottant à la surface du fleuve Hai He ne vont pas rassurer la population…
Sismographes et satellites témoins des explosions
Le quartier du nouveau district de Binhai où se situaient les entrepôts de l’entreprise Tianjin Rui Hai a été complètement dévasté.
Les explosions de Tianjin en 2015 ont lieu à partir du 12 août 2015 peu avant minuit dans un entrepôt chimique situé dans le nouveau district de Binhai, une importante zone économique spéciale du port de Tianjin, en République populaire de Chine.
Comme à Toulouse, l’explosion a été perçue par les sismographes comme un « petit » tremblement de Terre : l’USGS et le centre de sismologie chinois indiquent que la première explosion était équivalente à 3 tonnes de trinitrotoluène (TNT) et un séisme de magnitude 2,3 sur l'échelle de Richter. La seconde explosion est plus sévère : 21 tonnes d'explosif et une magnitude de 2,9. La presse a rapporté des chiffres similaires dans le cas de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse (magnitude 3,4) ou de l’attentat du 11 septembre 2001.
Comme souvent dans le cas de grandes catastrophes, plusieurs satellites météorologiques ont détecté les effets thermiques de l’explosion (imagerie infrarouge) ou la propagation du nuage.
Je termine cet article en présentant une compilation des images satellites qui ont « vu » l’explosion des entrepôts de Tianjin…
D’autres témoignages en provenance de l’orbite terrestre
On commence avec les satellites météorologiques…
Ils sont équipés de capteurs travaillant dans l’infrarouge thermique permettant de détecter le sommet des nuages (là il fait très froid) mais aussi de détecter des départs de feux (là où il fait très chaud).
Voilà une première séquence publiée par le CIMSS (Cooperative Institute for Meteorological Satellite Studies).
L’explosion de Tianjin en Chine vue par les satellites Himawari-8 (en haut), MTSAT-2 (au milieu)
et COMS-1 (en bas). La date et l’heure est incrustée dans la séquence d’images. Sources : CIMSS
Les images proviennent de trois satellites météorologiques en orbite géostationnaire, Himawari-8, MTSAT-2 et la charge utile météo de COMS-1 qui ont vu l’explosion qui a créé une signature infrarouge marquée dans la bande 3,75 à 3,79 µm.
C’est une des bandes classiques utilisée en météorologie, pour la détection des nuages bas et brouillards nocturnes mais aussi des incendies de forêts. Je vous renvoie à un article sur la loi de Planck et la loi de Wien pour des détails sur le lien entre la température et le spectre de la lumière générée.
Himawari-8 est le satellite le plus récent : lancé en octobre 2014, il offre une fréquence d’acquisition et une résolution au sol plus élevée (2 km au lieu de 4 pour MTSAT-2). Pour cette raison, il détecte plus facilement les points chauds correspondant à l’explosion. On distingue aussi les nuages de fumée créés par l’explosion.
Des images similaires montrent que l’explosion a également été détectée dans d’autres bandes spectrales du satellite Himawari-8. Plusieurs séquences sont proposées sur le site du CIMSS.
Infrarouge thermique : garder la tête froide
Voici un petit tableau qui résume sommairement l’utilisation des différentes bandes spectrales de l’infrarouge thermique utilisées en météorologie. J’ai ajouté quelques repères illustrant la relation entre température et longueur d’onde et j’ai mentionné les bandes spectrales de Meteosat Second Generation (le plus récent en service) comme référence. Le site d’Eumetsat et des pages pédagogiques en français sur le site de l’Université Paris 1 vous donneront plus de détails.
Relation entre température, spectre d'émission et longueur d’onde principale : un tour d’horizon des
longueurs d’onde utilisées en météorologie. Illustration créée par Gédeon.
Crédit image : Eumetsat
A cache-cache avec les longueurs d'onde : de Wien qui se Planck ?
Gardez en tête que la température n’est pas le seul critère de choix des longueurs d’onde. Il faut évidemment choisir celles correspondant aux fenêtres de transparence de l’atmosphère (là ou la lumière passe). Les bandes spectrales sont également choisies en fonction des constituants de l’atmosphère que l’on souhaite caractériser (vapeur d’eau, ozone, etc.)
Le tableau des températures vous donnera aussi une idée des applications de l'infrarouge thermique en dehors du domaine de la météorologie. Savoir détecter des départs de feu intéresse aussi beaucoup les militaires qui travaillent dans la défense anti-missile. Les images de GOCI, sur lesquelles figure la péninsule de Corée, illustrent bien cette préoccupation dans la région (voir d'autres articles sur la Corée du nord sur du blog Un autre regard sur la Terre). Evidemment, on cherche à obtenir des temps de réponse très réduits et une très bonne discrimination des points chauds.
Couleurs naturelles
J'ai également trouvé une longue séquence d’images en couleurs naturelles (dans le spectre visible) provenant également du satellite Himawari-8.
Elle est visible sur le site de l’Université du Colorado sur les pages du RAMMB (Regional and Mesoscale Meteorology Branch, Cooperative Institute for Research in the Atmosphere) et montre la propagation du nuage de fumée sombre qui s’est formé après l’explosion.
J’en ai fait une petite vidéo pour faciliter la consultation.
Séquence d’images en couleurs naturelles du satellite Himawari-8 montrant la propagation
du nuage après l’explosion de l’entrepôt de Tianjin. Montage : Gédéon.
Crédit images : RAMMB (Regional and Mesoscale Meteorology Branch, Cooperative Institute
for Research in the Atmosphere, Colorado State University). Egalement sur Youtube.
Le nuage a également été vu par des satellites météorologiques en orbite basse. Evidemment, sur une orbite à défilement, ils survolent rapidement la zone : il n’y a qu’une ou deux images. C’est le cas pour les instruments MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) embarqués sur les satellites Aqua et Terra. La NASA a publié l'image suivante sur son site NASA Earth Observatory. Aqua est passé quelques heures plus tard.
Nuage de l’explosion de Tianjin : extrait d'une image de l’instrument MODIS acquise
le 13/08/15 à 2:30 UTC par le satellite Terra. Crédit image : NASA /GSFC / MODIS Rapid Response.
Et la très haute résolution ?
A ma connaissance, ni la charte internationale « Espace et catastrophes majeures » ni le service de cartographie d’urgence du programme européen Copernicus (Emergency Mapping) n’ont été activés. Il est probable que les autorités chinoises n’aient pas souhaité y faire appel.
Avec la couverture nuageuse (visible sur les images GOCI), cela explique certainement pourquoi on a vu très peu d’images à haute résolution du site de l’accident. A ce jour, je n’ai encore rien vu en provenance des satellites Pléiades (Airbus Defence and Space) ou WorldView-3 (Digital Globe).
Les seules que j’ai trouvées ont été publiées par la société Skybox qui opère les satellites Skysat (0,9 mètre de résolution en panchromatique, 2 mètres en multispectral) dont les images ont également été reprises dans plusieurs médias.
Les dégâts de l’explosion de l’entrepôt de Tianjin vus par le satellite SkySat.
En haut, image acquise juste après l’explosion. En bas, image de référence prise avant la catastrophe.
Crédit image : Skybox Imaging.
Le meilleur des deux mondes ? Haute résolution et vision permanente
Est-il possible d'avoir à la fois la haute résolution et la permanence de l'observation ? Pas facile !
A côté des constellations proposant l'Internet à haut débit depuis l'espace (Oneweb par exemple), on parle aussi des constellations d'observation de la Terre : des dizaines voire des centaines de petits satellites en orbite basse à défilement pour augmenter la fréquence de passage au-dessus d'un même site, très utile en cas de catastrophe majeure ou pour surveiller un site sensible.
Un des projets les plus médiatisés est celui de Skybox qui a fourni les images présentées ici.
Mais revisite très élevée ne pas exactement synonyme de "observation permanente" : le satellite, mêrme s'il est agile et change son axe de visée pour rester en directement de la zone ciblée, continue à se déplacer sur son orbite. Le point de vue et la perspective changent... C'est à la fois un avantage et un inconvénient (surtout quand on est sensible au mal de mer...)
Et puis,il ne faut pas rêver : un satellite agile, capable de fournir des images à très haute résolution de qualité élévée, ne peut pas être miniaturisé à l'infini : le miroir du télescope doit être assez grand, la plateforme très performante... Cela veu dire un satellite d'au moins quelques dizaines voir plus de cent kilogrammes.
Les lecteurs du blog Un autre regard sur la Terre savent qu'une seule orbite permet d'avoir un point de vue rigoureusement fixe par rapport à la Terre : l'orbite géostationnaire, à près de 36000 km d'altitude.
C'est beaucoup plus loin que l'orbite basse de Pleiades ou SPOT 6/7 (694 km d'latitude) et il faut un télescope de plusieurs mètres pour atteindre la haute résolution (quelques mètres). Le champ de vision se ressere et, contrairement aux images des satellites météorologiques présentées ici, il est impossible de voir la totalité d'une hémisphère terrestre sans avoir également une plateforme agile, qui va orienté son instrument vers la zone d'intérêt.
Vu de loin, cela ressemble à Hubble ou au futur JWST
Plusieurs sociétés européennes, comme Airbus Defence and Space, proposent de tels concepts très innovants et ont parfois engagé des travaux de recherche et développement.
Qui sera le premier opératuer d'un tel système d'observation ? L'Europe ? Un pays dans la région équatoriale ?
En savoir plus :
- Sur le site du KOSC (Korea Ocean Satellite Center), la page pour accéder aux images de l’instrument GOCI.
- Un article sur le blog CIMSS Satellite Blog (University of Wisconsin-Madison, Space Science and Engineering Center) avec des séries d’images dans l’infrarouge des satellites météorologiques Himawari-8, MTSAT-2 et COMS-1.
- Sur le site RAMMB (Regional and Mesoscale Meteorology Branch, Cooperative Institute for Research in the Atmosphere, Colorado State University) une longue séquence d’images en couleurs naturelles du satellite météorologique japonais Himawari-8.
- Sur le site NASA Earth Observatory, un article sur les images prises le 13 août 2015 par l’instrument MODIS des satellites Aqua et Terra.
- A propos de l’instrument GOCI du satellite COMS-1 et de son successeur GOCI-II :
- Un article du blog Un autre regard sur la Terre sur les images GOCI de la tempête Talas en août 2011.
- La page GOCI sur le site d’Airbus Defence and Space.
- Un descriptif en anglais sur le site de l’IOCCG (International Ocean-Colour Coordinating Group) et une présentation des évolutions de GOCI à GOCI-II par le KORDI (Korea Ocaen Research & Development Institute). C'est Airbus Defence and Space qui réalise la nouvelle génération de l'instrument GOCI, avec notamment une résolution améliorée.
- Les articles du blog Un autre regard sur la Terre sur l’explosion de l’AZF à Toulouse en septembre 2001 :
- Dix ans après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, l’évolution du site de la catastrophe vue par les satellites Spot
-
De Spot 1 à Pléiades : 25 ans de développement de la ville de Toulouse à travers le regard des satellites
- Le site de l’Oncopole à Toulouse.
- Des photographies et des vidéos de la catastrophe de Tianjin et des conséquences de l'explosion :
- Sur le site Big Picture du journal Boston Globe.
- Sur le site de journal International Business Times, "des milliers de poissons morts font craindre une pollution au cyanure".
- Une vidéo de Greenpeace filmée par drone et publiée sur le Huffington Post.
Explosion de Tianjin : Greenpeace dévoile de... par LeHuffPost- Sur Youtube, la chaîne Un autre regard sur la Terre et les séquences vidéo présentées dans cet article :