« Elle gisait là si belle qu’il ne pouvait en détourner les yeux, il se pencha et lui donna un baiser. Alors qu’il l’effleurait de ses lèvres, la Belle au Bois Dormant, battit des paupières, se réveilla et le regarda avec affection. »
Extrait du conte « La belle au bois dormant »
La version des frères Grimm. Traduction de René Bories
Ce n’est pas un baiser du prince charmant qui l’a réveillée, mais plutôt une caresse, celle des rayons du soleil sur les panneaux solaires de la sonde Philae.
Sur Terre, l’été approche et c’est bientôt le solstice d’été. Dans l’espace, c’est plutôt une question de distance : depuis novembre 2014, la comète Tchouri s’est beaucoup rapprochée du soleil, suffisamment pour sortir Philae de son long sommeil…
Le réveil de Philae : le dessin publié par l’ESA sur son site et sur Twitter pour annoncer
la bonne nouvelle : « Rosetta's lander Philae wakes up from hibernation ».
Crédit image : Agence Spatiale Européenne.
@ESA_Rosetta : Incredible news! My lander Philae is awake!
On l’espérait mais cette une nouvelle presque incroyable : après 7 mois de sommeil, l’atterrisseur Philae, en hibernation depuis le 14 novembre 2014, a donné signe de vie sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko
C’était le 13 juin, dans la nuit de samedi à dimanche : les équipes du centre d’opérations de l’ESOC à Darmstadt (ESA's European Space Operations Centre) sont aux aguets. Depuis le début du mois de mars, à chaque période favorable, ils guettent tout signe de vie envoyé par Philae et relayé par la sonde Rosetta.
Philae tweete (#philae2014)
Le signal tant espéré est enfin reçu à 20:28 UTC (22:28 heure française). C’est court, seulement 85 secondes de signal, environ 300 « data packets » soit 40 secondes de données, selon une déclaration à l’AFP du Président du CNES, Jean-Yves Le Gall.
Ce petit coup de fil permet aux équipes du centre de contrôle de Philae, au DLR (German Aerospace Center, l’agence spatiale allemande) de se rassurer sur l’état de santé du premier objet à atterrir sur une comète.
A Cologne, au DLR, le centre de contrôle de la sonde Philae. Crédit image : DLR
Légère hypothermie mais en pleine forme !
Les signaux ont été reçus en parallèle au CNES à Toulouse, dans le centre de contrôle du SONC (Science Operation and Navigation Center) où les équipes du Centre Spatial de Toulouse ont pu également assister au réveil de Philae.
Signaux de Philae reçus samedi 13 juin 2015 au CNES de Toulouse.
Crédit image : CNES / N. Journo.
CIVA ? Ça va !
C’est très encourageant : « Philae is doing very well. The lander is ready for operations » selon Stephan Ulamec, le chef de projet Philae au DLR. Voici quelques informations sur son bilan de santé :
- 24 watts de puissance sont fournis par les panneaux solaires. Philae a besoin de 12 watts au minimum) pour "entendre" la sonde Rosetta et d’au moins 19 watts pour lui répondre et envoyer des données.
- La température est de -35°C : l’ordinateur à bord de Philae peut redémarrer si sa température interne est supérieure à -45°C).
- La mémoire de bord contient des données archivées, environ 8000 « data packets ». Cela semble dire que Philae s’est déjà réveillé quelques jours plus tôt sans que le contact avec Rosetta n'ait pu être établi.
Philae phone home
On attend maintenant avec impatience le prochain contact avec la Terre via la sonde Rosetta, pour récupérer ces données et, espérons-le, poursuivre la mission scientifique. Les périodes favorables correspondent aux créneaux où Philae est simultanément en situation de communiquer avec Rosetta et avec un éclairement solaire suffisant.
En janvier 2015, conférence de Jean-Pierre Bibring (astrophysicien à l'IAS d'Orsay) sur Philae
pendant les Journées R&T du CNES. Le site d’atterrissage final semble présenter un grand
intérêt scientifique. Crédit image : Gédéon
Nouveau rebond : Philae a du ressort !
Philae n’avait plus donné signe de vie depuis 7 mois : après avoir épuisé sa batterie et en l’absence de lumière solaire suffisante pour alimenter ses panneaux solaires, le petit robot était entré en hibernation le 15 novembre 2014, un peu moins de trois jours après un atterrisage historique mais mouvementé sur la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko le 12 novembre 2014.
Le système de communication de Rosetta guettait le réveil de Philae depuis le 12 mars 2015. La quatrième tentative a été la bonne.
En novembre, même si la position de Philae n’est pas parfaitement connue, il n’y avait a priori pas plus de 90 minutes de soleil par jour. 4 fois moins que le minimum nécessaire… En mars, quand les tentatives de communication entre Rosetta et Philae ont commencé, un facteur 2 avait déjà été gagné. La comète s’approchant du soleil, il semble que les rayons du soleil plus intenses aient fini par interrompre la longue grasse matinée de Philae.
La comète 67P est actuellement 215 millions de kilomètres du Soleil et à 305 millions de kilomètres de la Terre. Elle se déplace à une vitesse de 31,24 kilomètres par seconde. Au total, la sonde Rosetta a déjà parcouru une distance de 6,9 milliards de kilomètres.
Quelques jours plutôt, Philae était déjà revenue sur le devant de la scène : des équipes du Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, du SONC et plusieurs scientifiques impliqués dans les instruments CONSERT et ROMAP disaient avoir localisé Philae. Selon eux équipes, une série de petits pixels blancs repérés à la surface de la comète pourraient être le fameux petit module scientifique.
Série d’images OSIRIS (en mode « NAC » champ étroit) prises le 22 octobre 2014
et les 12 et 13 décembre 2014 montrant la possible détection de Philae dans
un repli du terrain (champ de 20 x 20 m environ).
Crédit image : ESA/Rosetta/MPS for OSIRIS Team MPS/UPD/LAM/IAA/SSO/INTA/UPM/DASP/IDA.
Néanmoins, la découverte est encore loin d'être confirmée, affirment les équipes en charge de la sonde Rosetta.
Est-ce que les mesures transmises par Philae permettront de confirmer sa position sur la comète, par exemple à partir de l’intensité de la lumière reçue sur les panneaux solaires ? A suivre…
Une belle aventure…
Je n’ai pas de données précises mais j’ai le sentiment que Rosetta et Philae ont eu un impact médiatique plus important que la mission MSL avec l’atterrissage du rover Curiosity sur Mars.
C’est étonnant que deux pannes de réveil y aient autant contribuée : le petit retard à l’allumage du réveil de la sonde Rosetta après son hibernation et maintenant celui de Philae.
L’annonce du Réveil de Philae tombe à pic, juste avant l’ouverture du salon Paris Air Show au Bourget. Même si c’est d’abord le grand rendez-vous des avions et de l’aéronautique, nul doute qu’on va beaucoup y parler de Rosetta. J’espère qu’il y aura également d’autres annonces majeures pour la communauté spatiale.
Merci Jean-Jacques, bienvenue à Johann !
C’est aussi une fin de mandat en beauté pour Jean-Jacques Dordain, dont le 3ème mandat de directeur général de l’ESA s’achève le 30 juin 2015. Nommé en juillet 2003, il a donc suivi toute la phase opérationnelle de la mission Rosetta, lancée en 2004. Sous sa direction, l’ESA a connu de nombreux succès, dans tous les domaines techniques (science, observation de la Terre et Copernicus, vols habités et ISS, lanceurs) mais aussi au niveau politique : le nombre d’États membres de l’ESA est passé de 15 à 20, et six nouveaux pays ont été accueillis en tant qu’États coopérants. La coopération internationale a été renforcée.
En décembre 2014, le Conseil de l’Agence spatiale européenne a annoncé la nomination de Johann-Dietrich Woerner pour le remplacer pour une période de quatre ans à compter du 1er juillet 2015.
La réussite de la mission Rosetta et la saga Philae illustre une fois de plus l’importance des efforts de recherche technologique dans le spatial
Au cours de la journée R&T du CNES en janvier 2015, pendant la conférence sur Rosetta et Philae, Jean-Pierre Bibring et Marc Pircher, directeur du Centre Spatial de Toulouse avaient beaucoup insisté sur ce point en prenant l’exemple des caméras CIVA (Comet Infrared and Visible Analyser).
Jean-Pierre Bibring (Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay) :
« Les R et T des années 90 ont permis, 25 ans plus tard, le succès de Rosetta et Philae.
Celles d’aujourd’hui pavent l’exploration des 25 prochaines années ». Crédit image : Gédéon
La comète 67P/Churyumov-Gerasimenko vue par la caméra Navcam de la sonde Rosetta
le 5 juin 2015. Au moment où l’image est prise, rosetta est à environ 208 km du centre de la comète.
Chaque pixel correspond à un détail de 17,7 mètres. L’image couvre un champ de 18 km.
Elle a été traitée pour bien mettre en évidence l’activité du noyau de la comète.
Crédit image : ESA/Rosetta/NAVCAM – CC BY-SA IGO 3.0
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, la série d’articles sur Rosetta et Philae :
- Sur le site de l’ESA, le communiqué de presse en anglais sur le réveil de Philae.
- Les premiers articles sur le réveil de Philae :
- Sur le site de l’ESA et le blog sur la mission Rosetta.
- Sur le site du CNES.
- Sur le site du DLR, avec les pages spéciales sur la mission Rosetta.