Jeudi 12 mai : premier comité sécheresse au ministère de l’agriculture avec plusieurs mesures annoncées par Bruno Lemaire : utilisation des jachères, y compris celles réservées à la biodiversité, comme fourrage pour les animaux, mesures agro-environnementales assouplies, « contrats fourrages paille », etc.
Lundi 16 mai : Nathalie Kosciusko-Morizet réunit, avec un mois d'avance, le "comité sécheresse" du ministère de l’écologie (MEEDTL).
La sécheresse en France devient inquiétante… Vendredi 13, 26 départements français faisaient l’objet d’un arrêté préfectoral de restriction d’eau.
En agriculture, ce sont les éleveurs qui sont les plus touchés avec l'augmentation du prix de l'alimentation animale, à la suite de l'envolée des cours mondiaux des céréales, et la sécheresse qui a impact sur le fourrage. La situation est difficile pour les céréaliers. EDF a également besoin d'eau pour produire de l'électricité avec ses barrages et refroidir ses centrales nucléaires.
Aperçu de quatre cartes publiées par le CESBIO illustrant l'évolution de l'humidité des sols entre
mars et avril 2010 et la même période en 2011. Crédit image : CESBIO
Un mois d’avril 2011 exceptionnel : sec, ensoleillé et chaud
Les conditions anticycloniques ont fait du mois d’avril 2011 un des plus secs depuis 1959. Les cumuls de précipitations dépassent rarement 30 mm sont rares et correspondent à des épisodes orageux localisés.
Météo France précise qu’avec une température moyenne supérieure de 4,0°C à la moyenne de référence (calculée sur la période 1971-2000), le mois d’avril 2011 se positionne au deuxième rang des mois d’avril les plus chauds depuis 1900, derrière avril 2007 (+4,3°C) et loin devant avril 1945 (+2.8°C), 1961 et 1949 (+2,6°C). A l’exception de quelques jours plus proches de la normale autour du 15 avril, les températures quotidiennes se sont maintenues autour de valeurs bien supérieures tout au long du mois, favorisant l’évaporation de l’eau. Entre le 6 et le 11, les températures ont atteint des valeurs record depuis 1947 pour une première quinzaine d’avril. Plusieurs records mensuels de température maximale quotidienne ont été battus dans la moitié sud de la France ainsi que dans les Alpes et en Bretagne.
La pluviométrie a également été exceptionnellement faible : avril 2011 est un des mois les plus secs depuis 1959, à l’image des mois d’avril 1984 et 1982 (les précipitations sur la France n’avaient représenté que 29 % de la moyenne de référence établie sur la période 1971-2000), 1960 (36 %) et 1997 (37 %). Le début d’année avait déjà été nettement déficitaire sauf sur les régions méditerranéennes.
Ce déficit qui se prolonge, avec les fortes chaleurs, entraîne une sécheresse importante des sols. La moitié nord de la France connaît ainsi des niveaux de sécheresse des sols superficiels jamais atteints fin avril au cours des cinquante dernières années. On espère que la fin de semaine apportera pendant plusieurs jours des précipitations salutaires : les couches supérieures des sols réagissent vite aux précipitations.
Humidité des sols au 31 avril 2011. Carte montrant les écarts par rapport à la moyenne
sur la période 1971-2000. Crédit image : Météo France.
En avril 2011, des sols plus secs qu’en 2010 : une confirmation avec les mesures du satellite SMOS.
Le CESBIO (Centre d’étude spatiale de la biosphère), un laboratoire de recherche (Université Paul Sabatier, CNRS, CNES, IRD) installé à Toulouse, a publié depuis la fin du mois d’avril plusieurs cartes élaborées à partir de mesures du satellite SMOS. Ces cartes illustrent la différence d’humidité des sols entre 2010 et 2011, pour les mois de mars et d’avril. L’unité de mesure est le m3/m3 (écrit « m3m-3 » sur les cartes), c’est-à-dire le nombre de mètres cube d’eau par mètre cube de sol. Les couleurs, comme le montre l’échelle à gauche de chaque carte, ont la signification suivante : plus c’est bleu, plus le sol superficiel est humide, plus c’est jaune-orangé, plus le sol est sec. Le cyan et le vert correspondent à des niveaux intermédiaires.
Entre 2010 et 2011, il est très clair que le bleu disparaît et que les cartes verdissent et jaunissent… Dans certaines régions du nord, du nord-ouest ou du sud-ouest, le déficit en humidité atteint parfois 0,1 m3/m3.
Quatre cartes publiées par le CESBIO. En haut à gauche, la moyenne d’humidité des sols en mars 2010.
A droite, la même période en 2011. En bas à gauche, la moyenne d’humidité des sols en avril 2010.
A droite, avril 2011. Crédit image : CESBIO
D’autres cartes, visibles sur le blog SMOS sur le site Internet du CESBIO, montrent que le sud de la Grande-Bretagne partage les mêmes soucis de déficit de précipitation et de sécheresse. Les équipes du CESBIO, dans le cadre des travaux de validation et de l'Observatoire Spatial Régional, effectuent également des mesures terrain qui permettent de qualifier ces résultats.
Relevés d'humidité des sols à 30 cm de profondeur sur les 4 premiers mois de l'année entre
2005 et 2011. Mesures effectuées à Lamasquère (Haute-Garonne). Crédit image : CESBIO
SMOS, un satellite pour mieux comprendre le cycle de l’eau : un seul instrument pour mesurer la salinité des océans et d’humidité des sols
L’acronyme SMOS signifie « Soil Moisture and Ocean Salinity ». A partir d’une idée proposée pendant le Séminaire de prospective scientifique d’Arcachon (1998), SMOS est un programme de l’ESA en collaboration avec la France (CNES) et l’Espagne (CDTI).
L’objectif de SMOS est d’observer à l’échelle globale de l’humidité superficielle des terres émergées et de la salinité de la surface des océans.
Les objectifs scientifiques visent à établir de meilleurs bilans du cycle de l'eau à l'échelle du globe et des interactions entre océan et atmosphère. Sur les terres émergées, il s'agit d'améliorer la connaissance de l'humidité de surface pour les modèles de circulation générale, les modèles d'hydrologie et les prévisions météorologiques (précipitations). SMOS mesure également le contenu en eau de la végétation.
A la surface des océans, SMOS mesure la salinité de l'eau, un des paramètres importants de la circulation océanique, agissant sur le couplage océan / atmosphère. Avant SMOS, il n’existait aucune mesure de cette nature à l'échelle globale.
La NASA a dans ses cartons le satellite SMAP qui prendra la relève de SMOS en 2015.
Vue d’artiste du satellite SMOS en orbite avec les trois bras de son capteur MIRAS déployés.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Du sel sur l’aqueux : un capteur unique pour mesurer deux paramètres différents
Il est assez inhabituel qu’un capteur unique mesure des paramètres apparemment aussi différents que la salinité et l’humidité. C’est parce qu’il y a un phénomène physique commun : l’humidité et la salinité ont une forte influence sur les propriétés électriques de la matière. Celle-ci émet de l’énergie sous forme de rayonnement électromagnétique qui dépend des propriétés électriques. SMOS exploite la fait que l’humidité et la salinité réduisent l’émissivité du sol et de l’eau de mer.
MIRAS, le capteur de SMOS, fonctionne entre 1,400 et 1,427 GHz, dans la bande L. C’est une bande utilisée sur certains capteurs radar de satellites, comme le capteur PALSAR sur ALOS (qui vient de terminer sa carrière). Dans le cas de SMOS, l’instrument est passif : il n’émet pas d’ondes et mesure uniquement des sources de rayonnements. Comme en radioastronomie, le signal reçu est très faible, « noyé dans le bruit » et la capteur doit avoir un grande sensibilité.
Le rayonnement émis par la Terre est proportionnel à un paramètre appelé la « température de brillance » de la surface observée (surface du sol ou surface de l’océan), qui dépend de la température, de l’humidité et de la salinité. Plus le sol est humide ou plus l’eau est salée, plus la température de brillance est faible.
Relation entre la température de brillance et la salinité (à gauche) ou l’humidité (à droite).
Crédit image : CESBIO.
En fait, d’autres éléments interviennent : sur un sol qui s’humidifie, la signature angulaire, c’est à dire la manière dont le rayonnement est émis dans les différentes directions, varie beaucoup et cette variation est plus importante sur un sol lisse que lorsque la végétation est dense.
Le choix de la bande 1400-1427 MHz est un compromis retenu pour les raisons suivantes :
- C'est une bande réservée à l’observation passive pour les services de radioastronomie et de recherche scientifique (voir plus loin les difficultés rencontrées).
- Très bonne sensibilité à l’humidité.
- Bonne sensibilité à la salinité.
- Faible sensibilité à la couverture végétale, ce qui permet de mesurer l’humidité d’un sol couvert de végétation.
- Très grande transparence de l’atmosphère dans cette bande : l’atténuation du signal est faible même lorsqu’il pleut.
En observation passive en bande L, la mesure peut être effectuée de jour comme de nuit, quelle que soit la couverture nuageuse. Il y a enfin ce qu’on appelle la « rotation Faraday », une modification de la polarisation de l’onde qui se propage, créée par le champ magnétique terrestre. Elle diminue avec le carré de la fréquence. La bande L est moins perturbée qu’une fréquence plus basse.
L’interférométrie : un principe de mesure également utilisé en astronomie
Le radiotélescope VLA (Very Large Array), dans l’état du nouveau Mexique aux Etats-Unis, à 80
kilomètres à l’ouest de Sorocco, avec ses 27 antennes de 25 mètres de diamètre implantées selon
un motif en forme de Y. Les antennes sont installées sur des rails et peuvent selon les configurations correspondre à une antenne de 1 kilomètre à 36 kilomètres de diamètre. La résolution angulaire
maximale est d'environ 0,05 seconde d'arc. Crédit image : National Radio Astronomy Observatory
(NRAO) / Associated Universities, Inc. / National Science Foundation
Vous voyez un petit air de ressemblance avec SMOS ? Vous avez raison !
Pour obtenir une résolution de l’ordre de 50 kilomètres, adaptée aux besoins des modèles météorologiques, il fallait pour le satellite SMOS une antenne d’un diamètre de l’ordre de 8 mètres (la résolution spatiale est fonction de la longueur d’onde et de la taille de l’antenne), impossible à embarquer sous la coiffe des lanceurs existants.
Plutôt qu’une antenne déployable complexe et coûteuse, il a été décidé d'appliquer à SMOS le principe interférométrique utilisé en radioastronomie : on utilise plusieurs capteurs élémentaires et on mesure la différence de phase du signal arrivant sur chaque antenne. Pour SMOS comme pour les radiotélescopes, c’est un dispositif bidimensionnel trois bras qui a été retenu. Par rapport à une antenne classique « réelle », le défaut principal est la sensibilité réduite qui limite la finesse d’analyse de la salinité.
Une tentative d'explication :
- Un réseau d'antennes élémentaires correctement disposées, sans occuper toute la surface d'une grande antenne, "voit" le signal comme une antenne unique, à condition de mesurer l'information de phase, c'est-à-dire la différence de temps de parcours du signal entre chaque antenne élémentaire.
- La sensibilité est néanmoins réduite car le réseau d'antenne ne capte pas autant d'énergie qu'une grande antenne unique.
Cela se complique avec… des émissions électromagnétiques parasites
La bande de fréquence utilisée pour SMOS est en théorie réservée à l’observation scientifique. Pourtant, au cours de leurs travaux de calibration et de validation après le lancement, les équipes de recherche ont eu la désagréable surprise de constater qu’elle était « parasitée » par de puissants radio-émetteurs, dont un grand nombre de radars militaires. « On pouvait voir tout l’arc d’antennes aux Etats-Unis et au Canada, qui a servi pendant la guerre froide à détecter les lancements de missile et qui est encore en activité, disait alors Yann Kerr, et même les radars engagés aujourd’hui dans les conflits du Moyen-Orient ! ».
Sous les yeux de MIRAS apparaissaient une multitude de points rouges, jusqu’à rendre certains pays quasiment opaques aux capteurs du satellite. L’exemple suivant montre une perturbation qui couvrait entièrement l’Espagne et une partie de l’Afrique du Nord. En France, seule la zone du site militaire de Cazaux (près de Bordeaux) posait problème.
Une réclamation officielle a été déposée auprès de l’Union Internationale des Télécommunications, pour demander aux militaires de changer de fréquence ou de cesser d’émettre aux heures de passage du satellite au-dessus de leur territoire.
Carte globale des interférences radio pertubant les mesures de SMOS entre le 15/12/2009
et le 14/01/2010. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Ce problème d'interférences radio touche aussi les radioastronomes mais leur antennes étant tournées vers le ciel, ces perturbations sont moins critiques, étant reçus par ce qu'on appelle les "lobes secondaires" . Pour SMOS, dont la mission est d'observer la terre, l'antenne est tournée directement vers les sources parasites.
Un long travail a donc été entrepris par l'ESA auprès de l'Europe et des pays européens, afin que les émetteurs soient mieux réglés, lorsque les émissions autorisés "bavent" dans la bande de travail de SMOS ou que les émetteurs illégaux soient coupés. Cet effort a porté ses fruits comme le montre les deux cartes ci-dessous, illustrant la situation en Espagne respectivement en mars 2010 (à gauche) et en juillet 2010 (à droite).
Exemples de résultats obtenus en Espagne, après les actions menées pour réduire les émissions
parasites. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA)
Une première carte globale d'humidité des sols et de salinité des océans publiée en août 2010
Première carte globale d'humidité des sols et de salinité des océans établie en août 2010 à partir des
mesures du satelite SMOT. Crédit image : Ifremer - CATDS - CESBIO
SMOS, quelques repères…
- Lancement : 2 novembre 2009 par une fusée Rockot depuis le cosmodrome de Plesetsk.
- Instrument : MIRAS (Microwave Imaging Radiometer using Aperture Synthesis). Interféromètre 2D passif à microondes.
- Durée de vie : 3 ans minimum.
- Antenne : 3 bras, 8 mètres d’envergure, 69 capteurs.
- Bande de fréquence : 1400-1427 MHz (longueur d’onde de 21 cm)
- Résolution radiométrique (sur la température de brillance) : 0,8 à 2,2 K.
- Masse totale au lancement : 658 kg (355 kg pour la charge utile, 275 kg pour la plateforme et 28 kg de carburant).
- Puissance électrique : 1075 W dont 511 W pour la charge utile. Batterie Li-on de 78 AH.
- Revisite : 3 jours à l’équateur.
- Altitude : 758 km.
- Orbite : héliosynchrone quasi-circulaire. Passage au nœud ascendant à 6h00 (heure locale).
- Centre de contrôle : CNES Toulouse.
- Responsabilités industrielles : Thales Alenia Space (responsable de la plateforme, de l’intégration d’ensemble et de la qualification), Astrium (responsable de la charge utile et de l’instrument MIRAS).
- Principal investigateur (PI) : Yann Kerr, directeur du CESBIO.
Sources utilisées :
- Le site du CESBIO et le blog SMOS (voir les liens ci-dessous).
- Un exposé de Yann Kerr, présenté pendant les journées R&T du CNES en janvier 2011.
- Les informations communiquées par du CESBIO. Je remercie Yann Kerr et Catherine Leprieur pour les informations et illustrations et le temps qu’ils m’ont accordé.
- Le bulletin de suivi hydrologique publié par Météo France le1er mai 2011.
En savoir plus :
- Sur le site du CESBIO, les pages sur le satellite SMOS, une vidéo pédagogique et la page SMOS Next sur les projets futurs.
- Toujours sur le site du CESBIO, un dossier sur le thème de l’eau, de la neige, de l’humidité des sols et de la sécheresse en France. Des graphiques et des cartes et des explications très claires, réalisés par l'équipe SMOS et celle de l'Observatoire Spatial Régional.
- Un blog sur l’actualité scientifique de SMOS, animé par le CESBIO. C’est en anglais et d’abord destiné à la communauté scientifique travaillant sur SMOS mais cela permet de « voir » la recherche en action. Certains articles sont « pointus », d’autres présentent des cartes et des résultats en lien avec l’actualité (sécheresse en France, inondations en Australie) ou racontent la bagarre pour éliminer les émissions radio non autorisées qui perturbaient les mesures de SMOS…
- Une page sur le satellite SMOS sur le site du CNES et une autre sur le site des missions scientifiques du CNES.
- Sur le site de l’Agence Spatiale Européenne, les pages, en anglais, sur le satellite SMOS et un dossier complet très clair, en français.
- A venir, un colloque scientifique sur SMOS du 27 au 29 septembre 2011 à Arles.
- Sur le site de Météo France, le bulletin de suivi hydrologique publié le 1er mai 2011 et un dossier pour comprendre les conditions anticycloniques.
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, un article sur les premières mesures du satellite SMOS et un autre sur le déficit de précipitations en France.
Suggestions d’utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur le cycle de l’eau.
- Travail sur la circulation océanique (voir en particulier les ateliers proposés par Planète Sciences Midi-Pyrénées).
- Des expériences d'interférométrie en émission et en réception avec la lumière et les sons. Par exemple, en acoustique, assembler un réseau linéaire de haut-parleurs ou de microphones et comparer la directivité avec un haut-parleur ou un microphone unique. Représenter le diagramme de rayonnement. Aller plus loin : notions de gain et de directivité d'une antenne.
- Voir également les pistes proposées dans les articles suivants : Salinité des océans et humidité des sols : les premières mesures du satellite européen SMOS analysées par les chercheurs.