Face au Haka, yapuka…
Le coup d’envoi a été donné le dimanche 23 octobre à 10h00 à Paris, soit 21h00 à Auckland dans le stade Eden Park : c’était le moment de vérité pour le match entre les bleus et les All-Blacks. Une revanche après un match de poule au cours du quels les néo-zélandais avaient battu les français 37 à 17 ?
Chez eux, devant près de 60000 supporters, les All-blacks ont cherché à en faire voir de toutes les couleurs aux quinze titulaires français (Jean-Baptiste Poux, William Servat, Nicolas Mas, Pascal Pape, Lionel Nallet, Thierry Dusautoir, Julien Bonnaire, Imanol Harinordoquy, Dimitri Yachvili, Morgan Parra, Alexis Palisson, Maxime Mermoz, Aurélien Rougerie, Vincent Clerc et Maxime Médard) et à leurs remplaçants. Au final, un score de 8 à 7 et un tout petit point d'écart au profit des néo-zélandais qui emportent leur deuxième coupe du monde à domicile.
Vue d'artiste du satellite de télécommunication Optus D3. Construit par la société Orbital et mis
en orbite le 21 août 2009 par une fusée Ariane 5, Optus D3 pèse 2500 kg au lancement et
seulement 1200 kg une fois sur l'orbite géostationnaire, le carburant du moteur d'apogée
représentant environ 50% de la masse totale. Sa charge utile est consituée de 24 répéteurs en bande
Ku (de 10,7 à 12,5 Ghz) pour une puissance totale de 5 KW et une durée de vie nominale de 15 ans.
Avez-vous la fibre pour la télévision par satellite ?
A Toulouse, beaucoup de fans de rugby étaient devant leur téléviseur pour regarder le match qui se disputait à près de 20000 km de distance, pratiquement aux antipodes. Au total, un record d'audience pour TF1 avec plus de 15 millions de téléspectateurs.
A votre avis, combien de satellites sont-ils utilisés pour amener les images du match sur l’écran de TV de votre salon. Un seul, Deux ?
En tentant de répondre à cette question je me suis dit qu’un satellite géostationnaire de télécommunication couvrait au maximum une fraction d’un hémisphère terrestre. Par conséquent, il me semble qu’il faut au moins deux satellites pour assurer une liaison correcte entre la Nouvelle-Zélande et la France, deux pays situés à près de 20000 kilomètres l’un de l’autre.
Pour savoir exactement comment la diffusion des images était assurée, j’ai pris contact avec l’équipe technique de TF1, la chaîne qui a acquis les droits TV pour la France de la coupe du monde de Rugby 2011. J’ai eu la possibilité de m’entretenir avec Philippe Legros, le directeur technique, présent sur place en Nouvelle-Zélande, et avec Yves Bouillon, responsable des moyens techniques. Ils ont accepté de répondre à mes questions et je les en remercie vivement.
Un fil en verre pour une coupe du monde à l’envers…
On pouvait croire que seuls les satellites pouvaient assurer la transmission de signaux vidéo à une aussi grande distance.
Incroyable mais vrai, c’est surtout en empruntant plusieurs fibres optiques passant sous les océans que les images nous arrivent en France… L’endroit du monde le plus éloigné de nous est relié à la France par un câble sous-marin.
Les satellites géostationnaires sont également mis à contribution, mais pas pour les communications à grande distance :
- Au niveau de la production, Optus D3, un satellite couvrant l’Australie et la Nouvelle Zélande, est utilisé pour transmettre les signaux vidéo entre l’ensemble des stades utilisés pour les phases de qualification et Auckland.
- A l’autre extrémité, pour les spectateurs qui reçoivent la télévision par satellite, il y a également Astra 1H, positionné sur la longitude 19,2°E, qui assure la diffusion des chaînes de Canalsat, dont TF1 depuis la fusion entre Canalsat et TPS en 2007.
Entre les deux, une fibre optique, ou plus exactement plusieurs câbles sous-marins, assurent la liaison entre l’hémisphère sud et la France.
Surprenant, n’est-ce pas ! Ceal mérite quelques explications...
En savoir sur la production des images pour un grand évènement sportif international : le cas de la coupe du monde rugby 2011.
Pour comprendre les raisons des choix des moyens de télécommunications, il faut s’intéresser un peu à l’organisation de la production vidéo de la coupe du monde de Rugby.
Il y a d’abord le diffuseur hôte, ou « host broadcaster », qui est chargé de produite les images TV sur les stades. Il installe les caméras sur place et assure la production avec de gros cars de production, à l’intérieur desquels un réalisateur et équipe de production donnent les consignes aux cadreurs et choisissent à tout moment quelle caméra passe à l’antenne. Ils assurent également les ralentis et l’habillage de l’image (score, incrustations, etc.)
C’est la société SKY Television New Zealand qui a été choisie par RWCL (Rugby World Cup Limited), filiale de l’IRB (International Rugby Board), comme « host broadcaster » pour la coupe du monde de rugby 2011. SKY assure la couverture des 48 matchs en haute définition.
Le signal produit est appelé « signal international ». Il est mis à disposition des chaînes de télévision qui ont acquis les droits pour la diffusion dans les différents pays. Pour la diffusion en France, c’est TF1 qui a acquis droits TV exclusifs de la compétition pour une somme de 28 millions d'euros.
Malgré l’heure matinale des matches, c’est probablement un bon investissement : plus de 15,38 millions de téléspectateurs (82,3% de part d’audience) étaient devant leur télévision dimanche 23 octobre à 10h00 pour assister à la rencontre entre les Bleus et les All-blacks. Il y a même eu un pic d’audience à 18,3 millions de téléspectateurs à la fin du match.
A côté du signal international, fourni clé en main, les diffuseurs comme TF1, qui est par ailleurs partenaire de l’équipe de France de Rugby mettent également en place leurs propres moyens techniques pour fournir leurs propres images. Il ne s’agit pas des matches mais de l’environnement : les interviews des joueurs et des entraîneurs, les images à la sortie du terrain ou dans les vestiaires, voire les images des bleus dans leur bus entre l’hôtel et le stade Eden Park. C’est le signal privatif produit par TF1 pour répondre plus spécifiquement aux attentes du public français.
Pour cela, TF1 a mobilisé en Nouvelle-Zélande une soixantaine de personnes, ainsi qu'une dizaine de tonne de matériel technique (caméras, régies...) acheminé par avion. Ces moyens sont également utilisés par Eurosport et LCI. Parmi les moyens sur place, on peut mentionner un petit car SNG (satellite news gathering), sur groupe électrogène, équipé pour la production à partir de cinq caméras et pouvant assurant la transmission par satellite vers Auckland dans la salle centrale technique. TF1 utilise aussi un moyen plus léger, une fly-away.
Le car SNG utilisé par TF1 pendant la coupe du monde de rugby en nouvelle-zélande.
Crédit image : Philippe Legros (TF1)
Dans les deux cas, signal international et signal privatif, le signal vidéo doit être acheminé en France pour permettre la diffusion sur le territoire national. L’enjeu principal est la fiabilité de la communication : les moyens et itinéraires choisis sont différents pour chacun des deux signaux et chaque canal de transmission est redondé (avec des routes différentes).
Une fois en France, on retrouve les différentes possibilités de diffusion des images : réseau hertzien, qui est en train de basculer intégralement sur la TNT (télévision numérique terrestre), réseau Internet ADSL ou réseaux à fibre optique ou encore réception directe par satellite (avec Canalsat).
Revenons à nos moutons en Nouvelle-Zélande : le rôle des satellites
Organiser la production TV pour un évènement sportif de cette taille est toujours un beau challenge et demandait des moyens techniques inhabituels pour la Nouvelle-Zélande.
Les rencontres des phases de poule et des phases finales se sont tenus dans 12 stades. Tous les matches des demi-finales, du Play-off et de la finale se sont déroulés à l’Eden Park d’Auckland. Par contre pour les phases qualificatives et pour les quarts de finale, 11 autres stades ont été utilisés sur une période relativement courte, du 9 septembre au 9 octobre 2011.
Je vous laisse imaginer le nombre de caméras mobilisées pendant le premier mois, à raison de 7 ou 8 caméras autour du terrain, plus celles dans les coulisses et les vestiaires. Sky Sports a donc fait venir des cars de production par avion d’Australie et de Grande-Bretagne.
Les stades n’étant pas tous reliés par fibre optique, le diffuseur hôte a utilisé une liaison satellite pour ramener les images à l’International Broadcast Centre, le centre névralgique de la production, au téléport d’Auckland. C’est le satellite Optus D3, en orbite à la verticale de l’équateur sur la longitude 156°E, qui assure cette fonction : un premier bond entre le stade où se déroule le match et Auckland.
Carte montrant la couverture du satellite Optus D3 en australie et en Nouvelle-Zélande.
Les zones de couleurs correspondent à différents niveau de réception exprimés en décibel-watt (dBW), une unité de mesure de puissance d'un signal, ici de 38 à 52 dBW selon les zones.
Au préalable, les images en haute définition sont compressées au format H264. C’est d’ailleurs la technique de compression qui entraîne les délais les plus significatifs (plusieurs centaines de millisecondes) et non la durée du « bond » satellite, entre deux points de la terre reliés par satellites. A une vitesse de 300000 km/seconde, un signal électromagnétique met 240 millisecondes pour faire l’aller-retour entre la Terre et le satellite à près de 36000 kilomètres d’altitude.
Au total, le retard cumulé, pour la partie production doit être de l’ordre de 800 millisecondes, avec un beau casse-tête pour la synchronisation du son et des images via des lignes à retard adaptées et une difficulté pour les duplex. Voilà pourquoi les interviews sont réalisées avec des journalistes sur place…
TF1, pour sa propre production, utilise le même dispositif et le même satellite pour envoyer ses images à Auckland à partir de son car SNG (voir l’illustration dans cet article).
A ce stade, les images sont toujours en Nouvelle-Zélande.
Ensuite, dans le cas de la coupe du monde de rugby 2011, les images voyagent… par la mer et par fibre optique, avec des routes redondées par sécurité : d’Auckland à Sydney ou Melbourne, puis un câble transpacifique jusqu’à la côte ouest des Etats-Unis, la traversée terrestre des USA et, à nouveau, une fibre optique à travers l’atlantique pour rejoindre Londres ou Paris…
C’est seulement à partir de là que le satellite entre à nouveau en piste, pour ceux qui regardent la TV par satellite…
Carte des câbles sous-marins entre la Nouvelle-Zélande et la France.
Extrait du site cablemap.info, tenu à jour par Greg Mahlknecht.
Conception et fabrication des antennes satellites : une question de pure forme
La carte montrant la couverture du satellite Optus D3, couvrant le continent Australien et la nouvelle-Zélande, est une très bonne illustration d'un défi que doivent relever les fabricants de satellites de télécommunication : comment émettre l'énergie uniquement vers les zones de diffusion visée (là où sont les installations de réception) et ne pas consommer de la puissance inutilement en dehors des zones d'intérêt (par exemple les océans, quand il ne s'agit pas de communications vers les navires, ou les zones désertiques).
Eh bien, c'est un savoir très particulier des fabricants de réflecteurs d'antennes pour les satellites illustré par la photographie suivante.
La forme très particulière d'un réflecteur d'antenne pour satellite de télécommunication.
Un savoir-faire du site Astrium des Mureaux en région parisienne. Crédit image : Astrium
Vous n'accepterez jamais de prendre livraison d'une voiture neuve avec une carrosserie dans cet état... Pourtant cette antenne "cabossée" ne fait pas partie d'un lot de pièces endommagées. Malgré les apparences, elle est parfaite ! Sa forme est étudiée dans les moindres détails afin d'obtenir un diagramme de rayonnement coïncidant parfaitement avec les régions devant être couvertes par le satellite. C'est ainsi qu'on obtient des couvertures épousant précisant la forme des continents et desservant aussi des îles isolées.
Moins impressionnant que l'épée laser des Jedi mais plus réaliste pour concentrer l'énergie...
En savoir plus :
- Sur wikipedia, un article sur les câbles sous-marins.
- Le site cablemap.info, tenu à jour par Greg Mahlknecht.
- Sur le site de la société Orbital, une fiche de présentation du satellite Optus D3.
- Et d'autres articles publiés sur le blog Un autre regard sur la Terre à l'occasion de la coupe du monde de Rugby :
- Marée noire au pays des All-Blacks : en Nouvelle-Zélande, au large de Tauranga, la pollution du Rena vue par les satellites TerraSAR-X et Envisat
- Aux antipodes, les quarts de finale de la coupe du monde de Rugby : quinze bleus contre le quinze de la rose au pays des All Blacks
- La réponse au quiz d’août 2011 : la Nouvelle-Zélande, pays du rugby et du ballon ovale, vue depuis une orbite circulaire par le satellite Envisat