Vol suborbital ou mise en orbite : Premier vol d’Alan Shepard ou vol historique de Gagarine. Toujours d’actualité plus de cinquante ans après…
Le lancement semble imminent : mercredi, la Corée du Nord a annoncé avoir commencé les opérations de remplissage en carburant de sa fusée. Selon le régime nord-coréen, la fusée Unha-3 décollera de la base de lancement de Tongchang-ri pour mettre en orbite un satellite civil d’observation de la Terre, baptisé Kwangmyongsong-3 pour « étoile brillante ». Les Etats-Unis, la Corée du sud et le Japon pensent que Pyongyang prépare en fait un essai de missile balistique, comme celui qui a été effectué en avril 2009, avec une spectaculaire image satellite du décollage du missile, suivi par un essai nucléaire.
La date exacte du lancement reste inconnue mais cela pourrait être avant le 15 avril, date de naissance de Kim II-Sung, fondateur de la République populaire démocratique, dont le pays célèbre le centième anniversaire. Son successeur, Kim Jong-Un, doit être nommé mercredi 11 avril au poste de secrétaire général du Partie du Travail de Corée.
Quelques journalistes et des experts étrangers ont pu visiter le centre spatial de Tongchang-ri puis le centre de contrôle des satellites.
Les satellites d’observation civils et militaires ont évidemment été programmés pour suivre les préparatifs du lancement. A titre d’exemple, voici quelques images de satellites d’observation civils à très haute résolution prises depuis environ un mois.
Image du site de lancement de Tongchang-ri prise le 6 avril 2012 par un satellite de la société
Digital Globe. Crédit image : Image (c) 2012 DigitalGlobe, Inc.
Deux autres images du même site. A gauche, image prise le 28 mars 2012.
A droite, image du 17 mars 2012. Crédit image : Image (c) 2012 DigitalGlobe, Inc.
Quelle vitesse de "libération" en Corée du Nord ?
La vitesse, c’est la question principale pour savoir s’il s’agit d’un essai de missile balistique ou de la mise en orbite d’un satellite.
Un missile balistique a une trajectoire qui lui fait quitter l’atmosphère et pénétrer, temporairement, dans l’espace, au-delà de la ligne de Karman, à 100 kilomètres d’altitude, qui définit pour la Fédération aéronautique Internationale la frontière entre l’atmosphère terrestre et l’espace.
Charge utile ou charge néfaste ?
Même si sa portée peut être très grande, plusieurs milliers de kilomètres pour les ICBM (Intercontinental Ballistic Missile), la vitesse d’un missile balistique est insuffisante pour rester dans l’espace, pour satelliser une charge utile.
Sa trajectoire est suborbitale comme celle de la première capsule Mercury (Freedom 7) à bord de laquelle l'astronaute américain Alan Shepard a effectué le 5 mai 1961 un vol suborbital d’un peu plus de 15 minutes : la fusée Mercury-Redstone ne permettait pas d’atteindre la vitesse de satellisation assurant la mise en orbite. Un mois plus tôt, le 12 avril 1961, avec le vol historique de Youri Gagarine, quatre ans après Spoutnik, l’URSS avait réussi la première mise en orbite d’un vaisseau habité, au cours de la mission Vostok-1.
Est-ce que dans cette position sur l'orbite la ligne de Karman sautera ?
Alan Shepard a atteint une altitude de près de 190 kilomètres, comme Virgil Grissom avec Liberty Bell 7 trois mois plus tard. Grâce à la fusée Mercury-Atlas, John Glenn, le cinquième américain du groupe des sept, à bord de la capsule Frienship 7, reste près de cinq heures autour de la Terre, en effectuant 3 orbites complètes. On a fêté en février 2012 le cinquantième anniversaire du premier américain en orbite.
Pour le Vostok-1 de Gagarine, le périgée (point le plus proche de la Terre) est à 181 km d’altitude et l’apogée (le point le plus éloigné) à 327 kilomètres. Une seule orbite a été bouclée en 90 minutes environ.
L’altitude est différente mais c’est surtout une affaire de vitesse qui distingue un vol suborbital d’une mise en orbite :
Après 2 minutes et 22 secondes, la vitesse maximale d’Alan Shepard est de 2,3 kilomètres par seconde (environ 8262 km/h) au moment de l’extinction des moteurs : le vol se poursuit avec une trajectoire balistique (vaisseau uniquement soumis à la force de gravité et au freinage atmosphérique) et atteint son altitude maximale en 5 minutes.
Pour Gagarine, deux minutes après le décollage de la fusée Soyouz et la séparation des quatre gros blocs moteurs latéraux, l’étage central continue sa poussée. Le système propulsif du vaisseau Vostok prend ensuite le relais pour atteindre une vitesse de 7,85 kilomètres par seconde, près de 3,5 fois celle de la Mercury-Redstone de Shepard.
Point important : il s'agit bien d'une vitesse tangente à la trajectoire (on pourrait presque dire "horizontale") et non d'une vitesse dirigée verticalement du bas vers le haut : si une fusée décolle verticalement, c'est pour sortir le plus rapidement possible des couches denses de l'atmosphère. L'essentiel de la mission d'un lanceur consiste à communiquer une vitesse "horizontale", tangente à la trajectoire au point d'injection, suffisante pour assurer la mise en orbite. Regardez bien l'allure de la trajectoire au cours de la retransmission d'un lancement d'Ariane 5...
Au gauche, le décollage d'Alan Shepard dans la fusée Mercury-Redstone en mai 1961.
A droite, dix mois plus tard, John Glenn dans la capsule Mercury au sommet de la fusée
Mercury-Atlas. Presque le même nom mais quelques milliers de mètres par seconde de
vitesse supplémentaire. Crédit image : NASA
Quelle vitesse de satellisation ?
J’ai utilisé plus haut le terme de vitesse de libération. C''est bien pour le jeu de mot mais c'est inexact : très précisément, il faut utiliser le terme de vitesse de satellisation.
En orbite autour de la Terre, un satellite n’est soumis qu’à la force d’attraction terrestre (si on néglige le frottement atmosphérique résiduel qui prend de l’importance sur les orbites les plus basses).
Avec un mouvement circulaire uniforme, l’accélération est normale à la trajectoire : elle correspond à un changement d’orientation du vecteur vitesse mais pas de sa valeur. On parle d’accélération centripète :
γ = V2/D
(avec D distance entre le satellite et le centre de la Terre)
La force d’attraction terrestre s’exprime :
F = GMm/D2
(avec G constante de gravitation universelle, M masse de la Terre, m masse du satellite)
En appliquant le principe fondamental de la dynamique, on peut écrire :
F = mγ d'où V2/D= GM/D2
et V = √(GM/D)
Par exemple, à 694 kilomètres d’altitude, celle de l’orbite du satellite Pléiades, la vitesse de satellisation est de 7,51 mètres par seconde soit 27030 km/h.
On peut retrouver cette formule par une méthode géométrique en représentant la chute libre autour de la terre sur une courte durée.
Réussir un rendez-vous orbital, comme celui de l’ATV avec l’ISS, consiste à modifier la vitesse orbitale d’un objet (l’ATV) pour atteindre celle de sa cible. Un rendez-vous réussi, c’est une vitesse relative quasi-nulle même si chacun des deux vaisseaux parcourt sa trajectoire à 27671 km/h.
C'est presque fini pour les formules aujourd'hui...
Et la vitesse de libération ?
Calculée au niveau du sol, en baissant la tête, la vitesse de satellisation s’appelle aussi première vitesse cosmique, même si l’atmosphère empêche toute mise en orbite : c'est 7,9 km/s ou 28500 km/h.
La vitesse de libération existe aussi : c’est la deuxième vitesse cosmique, la vitesse au-delà de laquelle une sonde spatiale peut s’éloigner définitivement de la Terre.
Elle vaut √(2GM/D) soit 1,414 fois la vitesse de satellisation, environ 11,2 km/s ou 40300 km/h.
Bouteilles à la mer
La Troisième vitesse cosmique (ça commence à être du cosmique de répétition…) est la vitesse de libération d’un corps quittant le système solaire depuis l'orbite terrestre. On prend ici en compte la masse du Soleil. La 3ème vitesse cosmique vaut 14,8 km/s soit 49800 km/h.
Attention à votre permis à points !
Avec une vitesse de plus de 17 km/s par rapport au Soleil, les sondes Voyager 1 et Voyager 2, lancées en août et septembre 1977, seront les premiers objets construits par l'homme à quitter le système solaire. A côté des instruments scientifiques, elles embarquent, en guise de message symbolique de l'humanité, un disque de données sélectionnées par Carl Sagan et aussi, pour fournir l'énergie loin du soleil, un générateur thermoélectrique à radioisotope (Uranium 238). Son énergie sera épuisée avant d'atteindre un autre étoile de la galaxie. Une technologie pour un usage civil ou militaire, comme la fusée coréenne...
En savoir plus :
- Un autre article sur le lancement de missile en Corée du Nord en avril 2009.
- Un article sur les tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
- Un article sur le vol historique de Youri Gagarine.
- Un article sur le rendez-vous entre l'ISS et l'ATV.
- Les autres articles dans la catégorie "satellites et lancements".
- Sur le blog Big Picture du journal boston Globe, un reportage photo "aperçu de la vie en corée du Nord", un autre sur les tensions entre les deux Corée et un sur l'anniversaire du parti du travail de Corée (en octobre 2010).
- Le site www.38north.org consacré à l'analyse de la Corée du Nord, un programme de l'US-Korea Institute (USKI) dirigé par un ancien fonctionnaire du Département d'état américain.
- Dénichée sur youtube par Nicolaï et postée sur le forum "Conquête Spatiale", une vidéo très instructive (même avec un commentaire en russe) sur un lancement de Soyouz (TMA-21).