A la limite entre la mer de Norvège et la mer de Barents, le cap Nord (NordKapp), dans l’île de Magerøya, est considéré comme le point le plus au nord de l’Europe, avec plus de 70° de latitude. Du fait de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre, le soleil de minuit est visible du 13 mai au 29 juillet.
Le 17 août, l’absence de nuages a permis au capteur MERIS du satellite d’observation européen Envisat de capturer cette image montrant une spectaculaire floraison de phytoplancton au large du Cap nord. La concentration de phytoplancton crée des teintes plus ou moins profondes dont les motifs servent de marqueurs des courants marins et des tourbillons.
Extrait d’une image acquise par le satellite Envisat le 17 août 2011 à 9h25 UTC. La résolution
est réduite d’un rapport 3 par rapport à l’image d’origine. Un traitement a été appliqué par Planète
Sciences Midi-Pyrénées pour améliorer le contraste à la surface de l’océan.
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
Un extrait de la même image en pleine résolution (300 mètres).
Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
Le phénomène est également très nettement visible sur les mosaïques d’images des satellites Aqua et Terra que produit quotidiennement la NASA sur différentes régions du monde.
L’avantage des satellites d’observation en orbite basse, ceux dits à « orbite polaire », est qu’ils passent plusieurs fois par jour (à chaque cycle orbital en fait) au-dessus des régions polaires. La cadence de revisite est ainsi plus élevée qu’à la verticale de l’équateur. Il est donc possible d’avoir des images des régions à haute latitude chaque jour voir plusieurs fois par jours et de suivre les phénomènes évoluant rapidement : dérive des icebergs, surveillance et sécurité maritime.
La couverture nuageuse, assez dense dans ces régions, ne permet pas toujours d’exploiter les images optiques dans leur intégralité. Par curiosité, j’ai quand même regardé à partir de quand cette floraison de phytoplancton était détectable. Un peu plus d’un mois plus tôt, avant le 9 juillet, le phénomène n’est pas encore visible comme le montre cette mosaïque d’image du satellite Terra. On discerne une légère coloration bleue à partir du 19 juillet. A partir du 29 juillet, malgré les nuages, on peut constater que le développement du phytoplancton est bien avancé.
Devenir planton dans la marine : le rêve de Gotlib pour en voir de toutes les couleurs…
C’est le véritable poumon de la planète : à partir de l’énergie solaire, le phytoplancton produit par photosynthèse la moitié de l'oxygène que l'ensemble des êtres vivants respirent. Il est également à la base de la chaîne alimentaire (les réseaux trophiques) dans les océans et, en absorbant une partie du CO2, joue un rôle dans la machine climatique de notre planète.
La lumière est une des conditions essentielles de ce développement : le soleil du mois d’août et l’augmentation de la température de l’eau permettent ainsi ces floraisons spectaculaires (Algal bloom en anglais ou efflorescence algale) dans les océans des latitudes les plus élevées. Je vous renvoie à un précédent article du blog Un autre regard sur la Terre pour des explications plus complètes sur le sujet et sur le capteur MERIS d’ENVISAT, conçu précisément pour mesurer la couleur de l’eau.
Les nuances bleu turquoise laissent penser qu’il y a entre autres des algues coccolithophores très répandues, comme Emiliania huxleyi, ou des diatomées. L’efflorescence algale est favorisée par le réchauffement de l’eau (c’est au mois d’août qu’elle est la plus chaude) et sa stratification en couches plus au moins chaudes, la lumière du soleil de minuit, la salinité réduite des eaux de surface causée par l’afflux d’eau douce de la fonte des glaces. L’importance relative des différents nutriments (nitrates, phosphates, silicates) va faciliter le développement de telle ou telle espèce d’algue microscopique. Cette région à la limite entre la mer de Barents et la mer de Norvège est aussi l’endroit où plusieurs courants marins (le courant norvégien atlantique, le courant Persey, le courant de l’est du Spitsberg) se rejoignent.
La fonte des glace dans l'arctique
Sur la même image, plus au nord, on peut voir l'archipel François-Joseph, une ensemble de près de deux cents îles couvertes de glace et presqu’inhabitées. Entre 80° et 82° de latitude Nord, ce sont les îles les plus au nord du continent eurasiatique, à moins de 1000 km du pôle nord. Comme pour le phytoplancton, les blocs de glace de mer à la dérive servent de marqueurs des mouvements de l’océan en surface sous la forme de motifs matérialisant les tourbillons ou les courants marins. Je vous invite à consulter également le site MODIS rapid response qui propose des combinaisons des bandes spectrales particulières, comme la composition colorée dite « 3-6-7 », facilitant la distinction entre les nuages (en blanc) et les zones couvertes de glace (apparaissant en rouge). C’est très spectaculaire le long de la côte du Groënland.
Extrait d’une image acquise par le satellite américain Terra le 17 août 2011. Représentation selon
la composition colorée appelée “3-6-7”. Crédit image : NASA/GSFC, Rapid Response.
Voir le pays vert en rouge, ça laisse froid…
La composition colorée “3-6-7” facilite l’identification des zones couvertes de glace : dans cette combinaison de bandes spectrales, une bande visible (centrée sur la longueur d'onde 0,479 µm) pour laquelle la glace a une forte réflectance est affecté au canal rouge sur l’écran de représentation. Les canaux verts et bleus sont utilisés pour deux bandes spectrales dans le proche infra-rouge (1,652 µm et 2,155 µm) qui sont très absorbées par la glace. C’est la raison pour laquelle la glace et la neige apparaissent en rouge vif. Les petites gouttes d’eau en suspension dans les nuages ont une réflectance équivalente dans les trois bandes et apparaissent en blanc ou en gris clair. Les cristaux de glace dans les nuages les plus hauts prennent une coloration orangée ou rouge clair.
La végétation, qui absorbent les bandes 3 et 7 et réfléchit la bande 6 apparaît donc plutôt verdâtre. Les sols nus, comme c’est le cas sur la côte du Groënland, réfléchissent davantage les bandes 6 et 7 que la bande 3. Ils apparaissent donc en couleur cyan clair. C’est très net sur l’image présentée ci-dessus où les différentes situations sont visibles (les traits obliques correspondent aux limites des images utilisées dans la mosaïque).
Vu d'avion entre Amsterdam et Los Angeles, le 20 juillet 2011, au large du Groënland : ça fond !
Crédit image : Alice
Protéger la peau de l’ours avant de l’avoir tué…
Ces images, si elles sont esthétiques, rappellent également les risques liés aux effets du réchauffement climatique dans cette région. Les ours polaires pourraient en être les victimes. En hiver, ils chassent les phoques à la surface de la banquise. Avec le début de l’été et la fonte de la banquise, les phoques remontent vers le nord. Les ours polaires des régions les plus au sud ne parviennent pas toujours à suivre le rapide recul des glaces et s’échouent sur la terre ferme. C’est une période de jeûne pour eux.
Selon le WWF, “lors de ces quatre dernières décennies, le nombre d’ours polaires a diminué de 70% et cette évolution négative se poursuit.… Une des raisons principales [de ce recul] est la fonte de la banquise provoquée par le réchauffement climatique. Les animaux ne peuvent plus constituer de réserves de graisse suffisantes pour survivre aux longs mois de disette de l’été ».
Au nord du cap Nord, un autre extrait de l’image acquise par le satellite Envisat le 17 août 2011à 9h25 UTC.
L’image est centrée sur l’archipel François-Joseph. La résolution est réduite d'un facteur 2 par rapport à
l'image originale. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
En savoir plus :
- D’autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur les floraisons de phytoplancton et les océans.
- Un article du blog Un autre regard sur la Terre sur le soleil de minuit.
- Le site MIRAVI de l’ESA pour trouver les images MERIS et ASAR du satellite européen Envisat.
- Sur le site MODIS Rapid Response de la NASA, les images quotidiennes de la région arctique vue par les satellites Aqua et Terra.
- Sur le site Wikipedia, un article sur le phytoplancton.
- Sur le site de l’Ifremer, des pages pédagogiques sur le phytoplancton.
- Sur le site de l’académie de Lyon, une présentation Powerpoint sur la diversité du plancton et son rôle dans le cycle biogéochimique du carbone.
- Sur le site du WWF (World Wildlife Fund), une page sur les effets du changement climatique sur les ours polaires.
- Une publication (en anglais) d’Harald Loeng (Institute of Marine Research, Bergen, Norvège) sur les conditions océanographiques physique en mer de Barents.
- D'autres spectaculaires images de floraisons de phytoplancton vues de l'espace.
Suggestions d’utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur la synthèse chlorophyllienne et le phytoplancton, son rôle dans la chaîne alimentaire et la production d’oxygène.
- Travail sur le cycle des saisons dans les différentes régions du monde. En sélectionnant des images sans nuages sur les sites MIRAVI et Modis Rapid response ou en utilisant des images du radar ASAR d’Envisat, comparer d’une année à l’autre la situation dans l’arctique au cours de l’été.
- Toujours en utilisant les sites MIRAVI ou MODIS rapid response, trouver d’autres exemples d’efflorescence algale dans d’autres régions du monde et à d’autres périodes de l’année.
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