Thomas fire : l’incendie de la forêt nationale de Los Padres. A proximité les villes côtières de
Santa Barbara, Carpinteria, La Conchita et Ventura. Au nord, le village de Ojala. Extrait d’une
image acquise par le satellite Sentinel-2A le 13 décembre 2017 à 18:54 UTC.
Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
13 décembre 2017 : depuis plus d’une semaine, les environs de Los Angeles sont la proie des flammes… Thomas Fire, l’incendie le plus important, menace désormais Santa Barbara.
Au sol, la situation est… apocalyptique. Les images prises depuis l’espace donnent une vision plus globale de l’ampleur de la catastrophe : panaches de fumées, flammes, végétation carbonisée.
Après le nord de la Californie et la Napa Valley en octobre (40 morts, 73000 hectares parcourus par les flammes et 10000 bâtiments détruits, c’est le sud de la Californie dans les environs de Los Angeles qui est touché par des incendies géants attisés par des vents violents. Vendredi 8, l’état d’urgence a été déclaré par Donald Trump.
Les images présentées, acquises par les satellites Sentinel-2, Sentinel-3, Aqua et Terra, illustrent l’évolution des feux au cours de la semaine passée.
Les astronautes de l’ISS étaient également aux premières loges pour et ont pris des photos impressionnantes.
Les incendies en Californie vue depuis la Station Spatiale Internationale.
Photographie ISS053E315812 prise le 6 décembre 2017 par l’astronaute Randy Bresnik.
Appareil Nikon D5 avec un objectif de 140 mm de focale. Crédit image : NASA
Santa Ana avant Santa Claus
Des incendies au mois de décembre en Californie ? Incroyable ? Pas vraiment, quand on connaît le phénomène des vents de Santa Ana, des vents qui soufflent de l’air chaud et sec des hauteurs arides du Grand Bassin des Etats-Unis (Great Basin) et du désert de Mojave vers les zones côtières de Californie du Sud.
L’air sec et chaud des vents de Santa Ana, en automne et au début de l’hiver, à un moment où la végétation est sèche, explique la gravité des incendies qui se produisent pendant cette période. Il y a eu dans le passé des incendies dramatiques (Cedar Fire en 2003, Esperanza Fire en 2006, San Diego County et Colby fire en 2014) mais la saison 2017, après un été très sec et un automne caniculaire avec des records de chaleur, restera certainement dans la mémoire collective avec au moins 16 incendies
Le feu le plus important est peut-être en train de devenir un des plus grands incendies de l’histoire de la Californie : le Thomas fire qui a démarré le 4 décembre 2017 et a touché la forêt de Los Padres, les environs de la ville de Ventura, Montecito, Summerland et des quartiers de Carpinteria, n’était que très partiellement maîtrisé (20%) mardi soir. En une semaine, il a déjà parcouru au moins 90000 hectares et, même si sa progression est ralentie, les rafales de vents au nord-est le poussent désormais vers la ville côtière de Santa Barbara. Plus de 6000 hommes sont sur le terrain pour tenter de le contrôler, selon l’agence californienne de lutte contre les incendies, Calfire.
Les incendies en Californie dans les environs de Los Angeles. Situation observée le 5 décembre 2017
par l’instrument MODIS du satellite Terra. Crédit image : NASA / GSFC / Rapid Response
Les images fournies par l’instrument MODIS sur les satellites Terra et Aqua montrent une nette aggravation de la situation dans la journée du 5 décembre 2017, avec plusieurs nouveaux feux : Creek fire et Rye fire près de Los Angeles, Meyers fire, Little Mountain fire et Paper fire à San Bernadino. Les départs de feux se poursuivaient ensuite jusqu’au 10 décembre : Skirball fire, au-dessus du quartier de Bel-Air et de Bervely Hills, et Lilac Fire, Liberty fire, Sweetwater fire et El Sereno fire.
Evolution des incendies en Californie du 6 au 10 décembre 2017. Images provenant de l’instrument
MODIS des satellites Aqua et Terra. Crédit image : NASA / GSFC / Rapid Response
Les deux satellites Sentinel-2, avec l’instrument optique MSI, montrent également tout leur intérêt, en combinant une résolution assez élevée, un grand nombre de bandes spectrales et une fréquence de revisite élevée (quelques jours entre deux passages).
Voici quelques exemples d’images montrant à la fois la résolution ou les possibilités offertes par les différentes bandes spectrales.
En Californie, les incendies dans les collines au nord de la ville de Ventura. Extrait d’une image
Sentinel-2 acquise le 5 décembre 2017 à 18h37 UTC. Combinaison de bandes spectrales dans le visible,
le proche infrarouge et l’infrarouge à courte longueur d’onde (SWIR).
Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
En voir de toutes les couleurs
Les lecteurs du blog Un autre regard sur la Terre le savent bien : une même image peut être représentée de manière très différente, selon le choix des bandes de longueurs d’onde utilisées. Dans le cas des incendies, la représentation en couleurs naturelles met en évidence les impressionnants panaches de fumée mais l’image paraît souvent voilée par la fumée. Les longueurs d’onde dans le proche infrarouge permettent de distinguer la végétation en bonne santé et celle très sèche ou les zones brûlées. L’infrarouge à courte longueur d’onde est très utile pour repérer les fronts actifs.
Voici un exemple avec l’image acquise le 5 décembre par le satellite Sentinel-2B et représentée de quatre manières différentes. Avec ses 13 bandes spectrales, Sentinel-2 offre beaucoup de possibilités, mêmes si elles ne sont pas toutes utilisées…
Quatre combinaisons de bandes spectrales d’une même image du satellite Sentinel-2B.
Image acquise le 5 décembre 2017 à 18h37 UTC. De haut en bas, couleurs naturelles, proche infrarouge, « false color urban » et SWIR. Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
Sécheresse et urbanisation
Au total, au moins 16 incendies ont déjà dévasté plus 100.000 hectares…
La surface brûlée n’est pas le seul indicateur de la gravité d’un incendie : la proximité des habitations donne des sueurs froides aux pompiers. Au total, 200.000 personnes ont été évacuées, dont 150.000 pour le seul Creek Fire qui menaçait Santa Clarita, Glendale, Lake View Terrace, Shadow Hills ou Sylmar.
Au fil des années, l’extension des zones urbaines, avec des habitations installées de plus en plus profondément dans les vallées et les espaces naturels, s’ajoute aux épisodes de sécheresse de longue durée et complique le travail des pompiers. La fumée dense empêche les avions de voler et de lâcher l’eau ou les produits retardants (dont les traces sont visibles sur certaines images.
Après une semaine très difficile, avec des rafales de vents à 130 km/h dans la journée de mercredi, les services de secours indiquaient dimanche qu’à l’exception notable de Thomas, la plupart des feux étaient sous contrôle.
Deux extraits d’une autre image du satellite Sentinel-2B. Image acquise le 8 décembre 2017 à 18h47.
Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
Les conditions météorologiques restent « très critiques » selon le NWS (National Weather Service) : toujours des rafales de vents, l’humidité est quasi nulle, des températures plus élevées que les normales saisonnières et pas de précipitations en vue. Pas besoin de Johnny Hallyday pour allumer le feu… La moindre étincelle suffit.
Extrait à haute résolution de l’image Sentinel-2B acquise le 5 décembre 2017.
En haut, avec le canal proche infrarouge mettant en évidence l’état de la végétation.
En bas, avec le canal SWIR, permettant d’identifier la progression des feux actifs.
Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
L'image du haut, la représentation utilisant le canal proche infrarouge, met bien en évidence la sécheresse de la végétation sauvage (couleur ocre sur l’image), en dehors des espaces verts arrosés (en rouge sur l’image).
Résolution et revisite : pourquoi choisir ?
Avec les deux satellites Aqua et Terra équipés de l’instrument MODIS, il est possible d’obtenir une image de tous les points de la Terre presque deux fois par jour. Mais avec une résolution moyenne : au mieux 250 mètres car ce sont des satellites d’abord conçus pour la météorologie.
Les images fournis par les satellites Sentinel-2 pour le suivi de l’évolution des incendies en Californie montrent tout l’intérêt du programme européen Copernicus : en ayant choisi d’investir dans une capacité autonome d’observation de la Terre, l’Europe dispose désormais d’un outil performant pour la surveillance de l’environnement.
Les instruments optiques des deux satellites Sentinel-2A et Sentinel-2B fournissent non seulement des images à assez haute résolution (10, 20 ou 60 mètres) selon les bandes spectrales mais aussi une revisite élevée : avec deux satellites exploités conjointement en orbite, chaque région des terres émergées peut être observée par l’instrument MSI avec moins de cinq jours entre deux passages (plus fréquemment selon la latitude). Cet article est ainsi illustré d’images acquises le 5, le 8 et le 13 décembre 2017.
Les américains disposent du satellite Landsat-8 avec un instrument OLI qui a des caractéristiques similaires (avec néanmoins une résolution inférieure) mais il n’y a qu’un seul exemplaire en orbite, offrant ainsi une revisite de seulement 16 jours.
Même si leur mission est sensiblement différente, les deux satellites Sentinel-3A et, bientôt, Sentinel-3B, avec une résolution plus grossière, complètent la panoplie des outils permettant le suivi des phénomènes environnementaux à grande échelle.
Les impressionnants panaches de fumée de feux en Californie vue par le satellite Sentinel-3A. Deux représentations d’une image acquise le 7 décembre 2017 à 18h11. En haut, couleurs naturelles. En bas, représentation avec le canal proche infrarouge. Crédit image : ESA / Copernicus / Commission européenne
Copernicus : la maturité opérationnelle
Avec Copernicus, l’Europe dispose aujourd’hui de la capacité d’observation optique et radar globale la plus performante au monde, pour servir ses besoins propres. Les images étant accessibles gratuitement et librement, les pays tiers en bénéficient également (au point que les images reprises par la presse sont parfois attribuées à tort à la NASA !).
Les deux satellites Pléiades ou les deux SPOT 6 et SPOT 7 apportent une capacité complémentaire : ils offrent une résolution supérieure (image à 50 cm pour Pléiades) mais sur des zones choisies chaque jour. Leur rôle est très complémentaire des missions Sentinel, un peu comme le téléobjectif qui complète l’objectif grand angle du photographe.
Au total, la flotte européenne Copernicus compte aujourd’hui 6 satellites en orbite, sans compter les contributions des satellites d’observations fournies par les états membres.
Moins connu du grand public que le système de navigation Galileo, Copernicus est très certainement une des infrastructures les plus innovantes et les plus utiles mises en place par l’Europe. Au service de ses citoyens et de la communauté internationale. L’Europe sait faire de belles choses. ça mérite qu’on en parle un peu !
En savoir plus :
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre sur les incendies en 2017.
- Les articles sur le programme européen Copernicus (anciennement GMES).
- Les articles sur le rôle des satellites en cas de catastrophe naturelle.
- Les articles sur les satellites Sentinel du programme Copernicus.
- Sur Flickr, la série de photographies prises depuis la Station Spatiale Internationale.
- Sur les pages Big Picture du Boston Globe, les photographies des incendies en Californie : "California fires roar again".