En Italie, déformation de la surface terrestre causée par le tremblement de Terre du 24 août. Interférogramme construit à partir de données des satellites Sentinel-1A et Sentinel-1B. Programme Copernicus. Crédit image : ESA / CNR-IREA
Le dernier article du blog Un autre regard sur la Terre montrait comment les satellites à très haute résolution permettaient de faire l’inventaire des dégâts après un tremblement de Terre.
L’Agence Spatiale Européenne (ESA) a publié le 29 août des cartes montrant l’apport des satellites radar. Les données utilisées proviennent des deux satellite jumeaux Sentinel-1A et Sentinel-1B, développés dans le cadre du programme européen Copernicus, financé par l’Union européenne.
Interférométrie et analyse des mouvement du sol autour de l’épicentre
Alors que les images optiques des satellites Pléiades sont utilisées pour établir une cartographie des dégâts en urgence, les données transmises par les satellites radar permettent aux scientifiques d’analyser les mouvements de la croûte terrestre causés par le tremblement de Terre et d emieux comprendre ce qui s'est passé.
Il s’agit ici d’une technique appelée interférométrie. Les astronomes la connaissent bien, lorsqu’il s’agit de réseaux d’instruments remplaçant un grand télescope trop complexe à fabriquer. C'est le cas par exemple du grand réseau d'Antennes millimétriques de l'Atacama (ALMA). NDLR : cela faisait longtemps que je voulais faire un pont avec l'ALMA.
La technique de l’interférométrie en télédétection est un peu différente : elle consiste à combiner deux ou plusieurs images acquises successivement par un radar aéroporté ou embarqué à bord d’un satellite (SAR pour Synthetic Aperture Radar ou Radar à Synthèse d’ouverture). L’analyse des différences de « phase » entre des signaux dont les caractéristiques sont parfaitement connues (sources cohérentes) permet de déterminer finement les déplacements ou les changements.
Cette technique a de nombreuses applications : cartographie de la végétation, analyse des déformations de terrain (subsidence) au cours de grands chantiers (métro, voies ferrées, barrages, etc.), suivi de l’activité des volcans ou, dans le cas qui nous intéresse ici, analyse des déformations de terrain de part et d’autre d’une ligne de fracture après un tremblement de Terre.
Pourquoi si souvent en Italie et si rarement en France ?
La situation de l’Italie, à la frontière entre les plaques tectoniques africaines et eurasiennes, en fait une zone à fort risque sismique. Plus précisément, c’est entre la plaque tyrrhénienne et la plaque adriatique que s’est produit le dernier séisme. Cette faille passe entre la chaîne des Apennins et la mer adriatique. Après le tremblement de Terre de l’Aquila en 2009, le drame du mois d’août 2016 vient le rappeler douloureusement.
Selon un article récent du Journal du CNRS, « Il s’agit d’un tremblement de terre en "faille normale", des failles qui sont générées par un écartement, contrairement aux failles dites "inverses", qui elles sont crées par une collision entre deux plaques. Sur toute la chaine des Apennins où le séisme a eu lieu, nous avons énormément de failles normales qui produisent des tremblements de terre depuis des années. Le séisme de L’Aquila en 2009 et celui d’Assise en 1997 étaient sur des failles normales alors que celui de Ferrara en 2012 était plutôt lié à une faille inverse. Cette partie de la chaine des Apennins est en train de s’écarteler entre la plaque tyrrhénienne et la plaque adriatique. »
Italie centrale : mouvements du sol causés par le séisme du 24 août 2016. A gauche, déplacement vertical. Rouge : valeurs negatives. Bleu : valeur positives. Carte établie à partir de données des satellites radar Setinel-1 acquises le 15, le 21 et le 27 août 2016. Crédit image: ESA / CNR-IREA
Héritage d'ERS et Envisat
En coordination avec la direction de la protection civile italienne (DPC), deux équipes de scientifiques, celles de l’INGV (Istituto Nazionale di Geofisica e Vulcanologia ou Institut National de Géophysique et de Vulcanologie) et de l’IREA (Istituto per il Rilevamento Elettromagnetico dell'Ambiente ou institut pour la mesure électromagnétique de l’environnement) ont analysé une série de données provenant des satellites Sentinel-1A et Sentinel-1B pour cartographier les déformations de la surface.
En comparant finement des images radar acquises avant (données Sentinel-1B du 15 et du 21 août) et après le séisme (données Sentinel-1B du 26 août et du 27 août), les scientifiques ont pu mesurer :
- Une subsidence (déplacement vertical) atteignant environ 20 cm dans la zone d’Accumoli.
- Des déplacements latéraux (horizontaux) de 16 cm d’est en ouest.
Des données provenant d’autres satellites radar, comme les satellites italiens Cosmo-SkyMed, ont également été utilisées.
Des analyses similaires avaient été réalisées au moment du tremblement de Terre de l'Aquila. A l'époque, les satellites Sentinel-1 n'étaient pas encore lancés mais Envisat était toujours opérationnel.
L'interférométrie radar est un domaine d'excellence européen, qui s'est construit sur l'expérience des satellites européens ERS-1, ERS-2 et ENVISAT lancés par l'ESA et plus récemment Cosmo-Skymed et TerraSAR-X. A côté des équipes scientifiques, plusieurs sociétés, comme Altamira, filiale de CLS, proposent leurs services dans ce domaine.
C ma bande, avec les franges
Au début de ce texte, l’image avec les motifs et les couleurs psychédéliques montre les franges d’interférence. On peut compter par endroit sept franges correspond à une déformation de la surface de 20 cm dans la direction de visée du satellite.
Chaque frange (cycle de couleur) correspond à un déplacement de 2,8 cm, soit une demi-longueur d'onde du signal radar émis par l’antenne de 12 mètres de Sentinel-1. La fréquence centrale correspondante est de 5,405 GHz. Comme pour les satellites ERS et Envisat, il s’agit d’une fréquence correspondant à la bande C.
Glissements du terrain le long de la ligne de fracture mesuré par les scientifiques de l’INGV à partir de données des satellite Sentinel-1 du programme Copernicus. Les répliques (points noirs) se produisent au voisinage de deux zones bleues. L’étoile rouge matérialise la position de la secousse principale. Les étoiles vertes correspondent aux répliques les plus fortes (magnitude supérieure à 4,3). Crédit image : ESA / INGV
Les jumeaux montent la garde
Sentinel-1A a été lancé en 2014 et fourni ses premières images quelques jours plus tard. Son frère jumeau, Sentinel-1B, l’a rejoint en orbite le 25 avril 2016. Le satellite termine actuellement sa recette en vol et devrait être rapidement déclaré bon pour le service. Les deux satellites identiques fournissent des données radar couvrant une large zone : leur fauchée (champ balayé à chaque orbite) est de 250 km.
Malgré cette fauchée, il a fallu deux passages (26 et 27 août) du satellite Sentinel-1B pour couvrir toute la zone touchée par le séisme du 24 août.
Copernicus a aussi une composante d'observation optique, avec les satellites Sentinel-2, bien connus des lecteurs du blog Un autre regard sur la Terre, et Sentinel-3. D'autres satellites sont dédiés à l'étude et au suivi de l'atmosphère.
En savoir plus :
- Un autre article sur le tremblement de Terre d’août 2016 en Italie.
- Un article de Saman Musacchio sur le site du journal du CNRS : « Pourquoi la terre tremble-t-elle en Italie ? »
- Les images Sentinel-1 et les produits interférométriques sur le site de l'ESA.
- Les autres articles du blog Un autre regard sur la Terre dans la catégorie "satellites et catastrophes majeures".