En Arabie Saoudite, le complexe Abraj Al Bait Towers de La Mecque vu par le satellite Pléiades 1B. Représentation en 3D sous forme d’anaglyphe d’une paire d’images (extrait) prise le 12 janvier 2013.
Le nord est sur la droite de l’image. Copyright 2013 CNES – Distribution Astrium Services / Spot Image
Les films d’action ou d’espionnage véhiculent souvent des idées fausses sur les performances réelles des satellites d’observation, par exemple lire la plaque d’immatriculation d’une voiture. Ce n’est pas encore possible, parce que la résolution des satellites est insuffisante mais aussi parce que les plaques d’immatriculation ne sont pas fixées sur le toit des voitures…
Voilà cependant un exemple d’image réelle qui contredit presque ce que j’écris : lire l’heure sur une horloge depuis un satellite en orbite !
Même sans les lunettes 3D (celles avec les deux verres colorés pour les anaglyphes), on parvient aisément à lire l’heure sur la façade Est de la Makkah Clock Royal Tower, la plus haute tour de l’Abraj Al Bait Towers. Sur l’ensemble de l’image, l’impression de relief est saisissante mais c’est d’abord le niveau de détail qui attire l’attention.
D’Hugo Cabret à la Mecque : Les horloges en 3D vues du ciel
Certes, l’horloge est d’une taille impressionnante : pour fixer les idées, la tour de 85 étages, inaugurée en 2012, occupe désormais la seconde place dans le classement des plus hautes tours du monde après la Burj Khalifa de Dubaï : Makkah Clock Royal Tower mesure 601 mètres de hauteur. Avec près de 40 mètres de diamètre, l’horloge elle-même est beaucoup plus grosse que celle de Big Ben (cadran horaire de 7 mètres de diamètre) dans l’Elizabeth Tower du palais de Westminster à Londres : de nuit, on dit qu’elle est visible jusqu’à 17 km à la ronde. Néanmoins, parvenir à lire l’heure sur la façade verticale d’un bâtiment avec un satellite, à 694 kilomètres d’altitude, c’est une grande première !
Vous vous souvenez de la séquence introductive d’Hugo Cabret, le film 3D de Martin Scorsese ? Un formidable plan séquence en traveling qui part du ciel de Paris pour arriver à Hugo en passant par l'extérieur de la gare, les quais de la gare, et l’horloge.
Pour produite l’image 3D présentée ici, le satellite Pléiades n’a pas quitté son orbite à 694 kilomètres d’altitude. Il a simplement acquis deux images de la Mecque à 9 secondes d’intervalle avec un léger dépointage de 15° vers l’ouest, afin de voir la façade des constructions.
Des gyros qui tournent pour suivre la trotteuse
J’ai déjà expliqué comment les actionneurs gyroscopiques du satellite Pléiades pouvaient contrôler très rapidement et très précisément sa position sur son orbite. C’est cette agilité de Pléiades qui permet de prendre les couples ou les triplets d’images utiliser pour reconstituer le relief.
Dans le cas de l’image de la Mecque, le satellite Pléiades 1B a pivoté en 8 secondes pour avoir un décalage très faible entre les deux points de vue.
Un anaglyphe offert par le CNES : la 3D à l’œil, c’est louche…
En stéréovision, on parle de rapport B/H (base sur hauteur), le ratio entre la distance entre les deux points d’observation et la distance de la scène. A une vitesse de 27000 km/heure, Pléiades parcourt 7,5 kilomètres par seconde sur son orbite. Entre les deux images, il s’est donc déplacé d’environ 67 kilomètres. Cela fait un B/H d’environ 0,09, à peu près ce qu’un humain adulte obtient en regardant son index avec le bras bien tendu. C’est ce qui explique que l’anaglyphe présenté ici présente un assez bon confort visuel, par rapport à d’autres images où le relief est volontairement accentué. Sur le blog Un autre regard sur le Terre, vous trouverez des informations complémentaires sur la stéréovision, la restitution du relief et d’autres exemples d’anaglyphes produits par les satellites Pléiades.
La recette du succès Ce sont les équipes du CNES qui ont réussi cette prouesse à l’occasion des opérations de recette en vol du satellite Pléiades 1B. Depuis le lancement du satellite début décembre 2012 et l’acquisition de la première image (la ville de Lorient) quelques jours plus tard, la recette en vol a pour objectif de vérifier le bon fonctionnement du satellite sur son orbite. Une revue intermédiaire tenue le 10 janvier a conclu que toutes les performances attendues du système Pléiades (comme par exemple l’agilité du satellite ou la précision de localisation des images acquises) étaient tenues. La revue finale (final in-orbit acceptance dans le jargon anglais), prévue avant la fin février 2013, sera une des dernières étapes avant l’exploitation opérationnelle et commerciale. | Affiche de la conférence |
Comme l’indique l’affiche de la conférence publique d’Alain Gleyzes, chef de projet Pléiades au CNES, organisée par l’académie de l’air et de l’espace le 8 février prochain, on peut dire avec un peu d’avance de phase que le système Pléiades est totalement opérationnel !
L’anaglyphe complet publié par le CNES sur son blog « La tête en l’air ». Représentation en 3D sous
forme d’anaglyphe d’une paire d’images prise le 12 janvier 2013.Le nord est sur la droite de l’image. Copyright 2013 CNES – Distribution Astrium Services / Spot Image
Universel, atomique, local, légal : voyage dans le temps avec les satellites d’observation
Au-delà de la démonstration de la performance du satellite Pléiades 1B, cette image est l’occasion de revenir sur l’orbite des satellites d’observation de la Terre et sur les conséquences sur les heures de passage des satellites. C’est également un bon prétexte pour faire le point sur les références de temps, au sol et à bord : pas toujours facile de ne pas perdre le nord avec les aiguilles de la montre…
Le choix dans l’heure…
Les satellites d’observation de la Terre en orbite basse comme Spot, Pléiades ou Terrasar-X (entre 500 et 800 km d’altitude) ont souvent des orbites héliosynchrones ou « orbite synchronisée avec le soleil » (SSO pour « Sun synchronous Orbit » en anglais).
Ce type d’orbite permet de garantir un niveau minimal de revisite (la fréquence de passage au-dessus d’un même point) et d’effectuer des prises de vue dans des conditions d’éclairement solaire identiques tout au long de l’année (à l’exception du cycle des saisons), permettant de comparer plus facilement des images (comme par exemple pour la cartographie rapide en cas de catastrophe majeure mais aussi pour des applications comme l’agriculture de précision).
La nature est bien faite : c’est l’utilisation astucieuse de l’aplatissement du globe terrestre qui permet d’assurer qu’un satellite, sur un orbite basse correctement inclinée par rapport à l’équateur, passera à une heure solaire fixe au-dessus d’une latitude donnée : si l’inclinaison est supérieure à 90°, la forme aplatie de notre planète entraîne une dérive naturelle vers l’est de la trajectoire, dont dans le sens de rotation de la Terre sur elle-même. Technique, on parle de précession nodale : elle vaut 0,985° par jour (il faut environ 365,24 jours pour effectuer les 360° autour du soleil).
Cette particularité des orbites héliosynchrones est caractérisée par un paramètre important : l’heure solaire locale du nœud descendant, c’est-à-dire le moment où la trajectoire du satellite coupe le plan de l’équateur du nord vers le sud. Pour Pléiades, c’est 10h30.
Quand on s’intéresse aux satellites d’observation et à l’acquisition des images, on doit donc avoir une super-montre qui indique l’heure sous au moins quatre formes différentes :
- L’heure solaire locale : C’est l’heure locale naturelle que nous pouvons percevoir avec le mouvement du Soleil et l’alternance jour-nuit. Le Soleil indique le midi au moment où il est au plus haut dans le ciel. C’est l’heure qu’on peut lire sur un cadran solaire. On définit ainsi le temps solaire vrai en un lieu comme l'angle horaire du Soleil en ce lieu pour un instant donné. Les coordonnées géographiques de la Mecque sont 21°25′08″ de latitude Nord et 39° 49′ 35″ de longitude Est. Sur le site de l’IMCCE (l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides), le calculateur d’éphémérides, déjà utilisé à plusieurs reprises sur le blog Un autre regard sur la Terre, indique qu’au moment où l’image est acquise par Pléiades, l’angle horaire est de 22h26m58s (il est compté dans le sens rétrograde). Cela veut dire qu’il faudra encore une heure et 33 minutes avant que le soleil n'atteigne le zénith. Il est donc 10h27 en heure solaire locale. Cela vous rappelle quelque chose concernant l’orbite de Pléiades ?
- L’heure légale du lieu d’observation : c’est l’heure donnée par l’horloge de la Makkah Clock Royal Tower et qu’on peut lire sur l’image de Pléiades. Il est 10h56 au moment où l’image est acquise. Pour ne pas avoir une heure qui dépende du lieu exact où on se trouve, les pays définissent une heure légale de façon que l'heure solaire moyenne sur ce territoire ne s’écarte pas trop de l'heure légale. Quand c’est possible, à l’intérieur d’un fuseau horaire, c’est pratique d’avoir une heure légale unique pour l’ensemble d’un pays. Cela ne marche pas pour les très grands pays comme les Etats-Unis, la Russie ou l’Australie qui définissent plusieurs zones. On parle par exemple d’heure EST à New York, or d’heure CST à Houston encore d’heure PST à Los Angeles. Cela se complique encore un peu avec les pays qui ont mis en place le système d'heure d'été et d'heure d'hiver.
- Le Temps universel coordonné (UTC) : si l’heure légale s’applique sur un territoire donné, il n’est pas possible de l’appliquer partout dans le monde. La coordination d’activités internationales a amené les états à se mettre d'accord pour définir un temps universel, référence unique pour tous, et des temps locaux qui ne différent que d'un nombre entier d'heures (il y a quelques exceptions), par la création des 24 "fuseaux horaires". Chaque pays définit donc son heure légale par rapport à l’heure UTC, soit UTC ± N heures. L’image présentée ici a été acquise le 12 janvier à 7h56 UTC, correspondant à 10h56 en heure locale pour l’Arabie Saoudite. L’ancienne appellation « temps moyen de Greenwich » (sigle « GMT » en anglais) reste très utilisée. Pour la petite histoire, l’abréviation UTC est certainement le résultat d’une âpre négociation entre les anglais et les français. En anglais, « Coordinated universal time » devrait donner CUT. En français, on attendrait plutôt TUC pour « Temps Universel Coordonné ». UTC, un compromis diplomatique ?
- Le Temps Atomique International (TAI) : c’est une échelle de temps de référence liée à la définition officielle de la seconde : depuis 1967 et la 13ème Conférence générale des poids et mesures une seconde est la durée de 9 192 631 770 périodes de la radiation associée à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de césium 133 (ouf !). Le TAI est établi par le Bureau international des poids et mesures : il représente la moyenne de la marche de plusieurs centaines d'horloges atomiques dans le monde. Depuis le 30 juin 2012, jour de la dernière insertion d'une seconde intercalaire, le temps TAI est en avance de 35 secondes sur le temps UTC, soit 10 secondes de différence initiale auxquels ont été ajoutées 25 secondes intercalaires au temps UTC depuis 1972.
Besoin d'aspirine ? Ou plutôt un petit dessin au tableau noir pour tenter d'y voir plus clair :
Heure GMT, heure solaire locale, heure légale : à la bonne heure avec le satellite Pléiades.
Illustration : Gédéon / Planète Sciences Midi-Pyrénées
DORIS, le métronome de Pléiades
A bord d’un satellite, il est important d’avoir une référence horaire stable et précise pour dater et synchroniser toutes les opérations et les évènements liés au bon fonctionnement de la mission.
Par exemple, le capteur panchromatique de Pléiades acquiert une ligne de 30000 pixels élémentaires 10000 fois par seconde (pendant ce laps de temps, le capteur balaie ainsi une distance de 70 centimètres le long de la trace du satellite). La datation précise de chacune de ces lignes est indispensable pour localiser précisément les images acquises.
Sur Pléiades, le temps utilisé est le Temps Atomique International (TAI) fourni par l’équipement DORIS avec une précision d’environ une microseconde (un millionième de seconde). DORIS joue également le rôle de navigateur : en plus de l’heure précise, il fournit en temps réel au calculateur de bord la position et la vitesse du satellite sur son orbite (voir cet article sur les premières opérations en orbite).
A toute allure, à tout à l'heure
A tout moment, grâce à DORIS, Pléiades sait où il est sur son orbite avec une précision très grande. En complément, les senseurs d'étoiles et la central gyroscopique laser fournissent une mesure précise de l'orientation du satellite (son attitude) donc de la direction de la ligne de visée du télescope. C’est grâce à ces deux informations qu’un satellite qui se déplace à 27000 kilomètres par heure peut fournir des images dont la position de chaque pixel est connue avec une précision de quelques mètres. C’est la précision de localisation, un élément essentiel de la performance d’un satellite d’observation de la Terre : après traitement, elle permet de superposer facilement une image à une carte ou de s’en servir pour la navigation d’un mobile.
On dit que le temps, c’est de l’argent. C’est aussi de la précision de localisation…
En savoir plus :
- Sur le blog « la tête en l’air » du CNES, un anaglyphe de la Mecque vue par le satellite Pléiades 1B.
- Sur le site de l’IMCCE (Institue de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides), une page sur la définition des heures, les pages grand public sur la connaissance du temps et la page de calcul des éphémérides.
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, la galerie d’anaglyphes (représentations 3D) des satellites Pléiades.
- D’autre articles du blog Un autre regard sur la Terre sur la stéréovision et la représentation 3D :
- Un article sur les plus hautes tours du monde et un autre sur les premières opérations en orbite après le lancement de Pléiades 1B.
- Ariane 5, un cadran solaire géant : un quiz du blog Un autre regard sur la Terre avec une méthode originale de mesure d’altitude de la fusée Ariane 5.
- Sur le site Big Picture du journal Boston globe, deux séries de photographies sur le pélerinage à la Mecque, en 2008, en 2010 et en 2011, avec, en particulier, des vues des Abraj Al-Bait Towers (encore en construction en 2008) et des environs du site.
Suggestions d'utilisation pedagogiques en classe :
- Travail sur la mesure du temps et les différentes définitions. Expériences avec des cadrans solaires.
- Travail sur l'orbite des satellites d'observation de la Terre.
- A Toulouse, le 8 fevrier 2013, à la Cité de l’espace une conférence d’Alain Gleyzes, chef de projet Pleiades au CNES.
- Les ateliers pédagogiques de Planete Sciences Midi-Pyrénées sur le fonctionnement et les applications des satellites Pléiades.