Demandez-nous la Lune !
C’était le 9 janvier dernier : la première pleine lune de l’année 2012. Le satellite Pléiades était là pour immortaliser l’évènement, pas seulement pour la beauté du spectacle mais parce que la Lune est une « cible » très intéressante pour les activités de recette en vol : à l’abri des perturbations atmosphériques, il est possible de calibrer finement l’instrument optique de Pléiades sur les mers et les cratères lunaires. C’est ce qu’ont fait les équipes du CNES en braquant le télescope de Pléiades vers la Lune.
Cerise sur le gâteau, Pléiades a également réalisé une première en prenant, grâce à son agilité, deux images en stéréo de la face visible de la Lune : voilà donc la première image tridimensionnelle de notre satellite naturel à partir d’un satellite d’observation de la Terre ! Pour cela, deux images différentes ont été prises, l’instrument de Pléiades étant braqué vers le centre de la Lune à partir de deux positions éloignées sur son orbite.
Restitution sous forme d’anaglyphe d’un couple d’images stéréo de la Lune prises par le satellite
Pléiades pendant la recette en vol en janvier 2012. Crédit image : CNES.
Remarque : En raison des conidtions de prise de vue et pour pouvoir utiliser les lunettes 3D, l'image est pivotée de 90 degrés par rapport à la vue "habituelle" de la Lune : Le grand cratère Tycho Brahe, ici à droite, est situé dans l'hémisphère sud de la lune, c'est-à-dire en haut quand on regarde la lune avec un télescope. Vous suivez ?
Un satellite artificiel louche sur notre satellite naturel
Pour réussir cet exploit, les deux images ont été prises alors que le satellite Pléiades occupait deux positions diamétralement opposées sur son orbite à 694 kilomètres d’altitude : deux points de vue séparés d’environ 14100 kilomètres (deux fois la rayon terrestre et deux fois l’altitude de Pléaides). C’est cet écart qui crée les différences entre la couleur rouge et la couleur cyan qui vous permet, si vous avez vos lunettes magiques, de voir l’hémisphère lunaire « sortir » de l’écran.
Cette parallaxe, effet de la différence de points de vue, est connue depuis l’antiquité en astronomie : les grecs Aristarque, Eratosthène, Hipparque, Ptolémée ont utilisé cette méthode pour mesurer distance des objets du système solaire et des astres. En 1751, l’abbé de Lacaille et Joseph de Lalande, à Berlin et au Cap, effectuent la première mesure précise de distance de la Terre à la Lune.
Plus récemment, Hipparque a donnée son nom à la mission scientifique européenne Hipparcos qui a permis de cartographier 100000 étoiles avec une précision inégalée. La sonde Gaïa, dont le lancement est prévu en 2013, établira un catalogue encore précis d’un milliard d'étoiles…
Des images 3D de qualité : partir d’une bonne base
Pour obtenir de bons couples stéréo permettant de restituer le relief d’une scène, il est important que les deux points de vue soient suffisamment espacés, relativement au relief observé et surtout à la distance de la scène.
Ce paramètre important s’appelle B/H, le rapport entre la distance entre les deux points d’observation (B) et la distance de la scène observée (H).
En général, le satellite Pléiades prend des couples stéréo avec des rapports B/H compris entre 0,15 et 0,8 permettant d’avoir des longueurs de scènes stéréo entre 20 et 280 km.
Illustration des notions de parallaxe et de B/H. Crédit image : site « Ressources naturelles Canada »,
Centre Canadien de Télédétection, glossaire des termes de télédétection.
Qu’obtient-on dans le cas de notre image de la lune ?
Le 9 janvier 2012, la lune est pratiquement à mi-chemin entre son apogée (point le plus éloigné de la Terre) et son périgée (point le plus proche), soit respectivement 404579 km le 2 janvier et 369886 km le 17 janvier. On peut prendre comme distance le 9 janvier environ 386000 kilomètres, pratiquement la distance moyenne de la terre à la lune. Donc dans notre cas, B/H vaut donc environ 0,037.
C’est très faible… Et c’est la raison pour laquelle, avec vos jolies lunettes de couleurs, vous voyez un seul relief : la forme hémisphérique de la Lune. Les conditions de prise de vue à cette distance ne permettent pas de voir le relief à la surface de la Lune, les cratères et les mers sauf... sur les bords : comme dans le cas des gratte-ciel de Manhattan, on voit ici les cratères sous un angle très incliné et l'effet de parallaxe est plus sensible.
De manière générale, si vous souhaitez observer la Lune à l'oeil nu ou au télescope, sachez que la pleine lune n'est pas le moment idéal : la lumière du soleil verticale "écrase" le relief. Au moment d'un premier quartier ou d'un dernier quartier, l'éclairage rasant et les ombres mettent en relief... le relief, en particulier le long du terminateur, la limite entre zone éclairée et zone sombre.
Je n’ai pas trouvé de bonne source sur les altitudes des sommets de la Lune. Si vous en connaissez une, merci de poster un commentaire. Sachez que le mont Leibnitz culmine à 8200 mètres (par rapport à quoi ?). Après la Sonde Clementine lancée par la NASA en janvier 1994, c’est maintenant le capteur LOLA (Lunar Orbiter Laser altimeter) de la sonde LRO (Lunar Reconnaissance Orbiter) qui doit établir une cartographie détaillée de la Lune.
Une image du site d’alunissage d’Apollo 11 vu le 7 mars 2012 par la caméra de la sonde LRO en orbite
à 24 kilomètres au dessus de la surface de la Lune. En la comparant avec des images prises par Neil
Armstrong et Buzz Aldrin en juillet 1969, on peut localiser la position du LEM, de l’appareil photo, du
Passive Seismic Experiment Package (PSEP) et du Laser Ranging RetroReflector.
Crédit image : NASA/GSFC/Arizona State University
30000 colonnes à la lune : quelle résolution sur la lune ?
30000 : c’est le nombre de pixels de chauqe ligne du capteur de l’instrument Pléiades. Sur terre, il mesure des détails de 70 cm. Quelle résolution obtient-on sur la Lune ?
La capteur de Pléiades couvre un champ d’environ 29 millièmes de radians, soit environ 1,65°. Le diamètre apparent de la Lune est lui d’environ 30 minutes d’angle soit 0,5°. La lune occupe donc environ 30% du camp de vision de Pléiades.
Sur les 30000 pixels du capteur, environ 9000 couvre donc l’équateur de la Lune. Le diamètre de celle-ci étant de 3474 kilomètres, le satellite Pléiades peut donc voir, à cette distance des détails d’environ 386 mètres. On retrouve le même chiffre plus simplement en faisant le rapport des distances d’observation.
Parallaxe mais presque : la méthode de Lacaille et Lalande pour mesurer la distance de la lune
En 1871, c’était un travail d’équipe pour obtneir une bonne précision : Lalande gèrait et Lacaille se débrouillait…
Le schéma suivant illustre la méthode utilisée par Lacaille et Lalande pour obtenir la première mesure précise de la distance de la Terre à la Lune. Vous pouvez facilement l’adapter pour la configuration de prise de vue de Pléiades. De fil en aiguille, un peu de trigo…
Illustration de la méthode de mesure de la distance Terre-Lune utilisée par Lacaille et Lalande.
Crédits : Illustration créée par Planète Sciences Midi-Pyrénées. Image de la Terre : source
Eumetsat (Météosat 9). Image de la Lune : sourcec NASA (sonde spatiale LRO)
En savoir plus :
- Un article sur l’image de la Lune en 3D sur le blog « La tête en l’air » du CNES.
- D’autres articles avec des images en 3D produites par le satellite Pléiades :
- D’autres images dans la catégorie « satellites insolites ».
- Un article sur la mesure de la distance Terre-Lune par télémétrie LASER.
- Sur le site de l’IMCCE, un outil pour le calcul des éphémérides de la Lune et des corps du système solaire.
- Sur le site du Centre Canadien de Télédétection, le glossaire en français des termes de télédétection et une page de ressources éducatives pour les enfants que je recommande à tous les enseignants.
- Sur le site de la NASA, les pages de la mission Lune Reconnaissance Orbiter.
- Les sites d’alunissage des missions Apollo avec Google Moon.
- Sur le site d'Astrium, une page sur la mission Gaia pour la cartographie de la galaxie.
- Sur le site de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), les pages sur la mission Hipparcos (en anglais).
- Dans la galerie d'images d'Astrium GEO-Information Services, des exemples de modèles numériques de terrain.