Après le Nord et le Pas-de-Calais en novembre 2023 et janvier 2024, notamment dans les environs de Saint-Omer, c’est la Bretagne qui est touchée, avec d’importantes inondations à Rennes et Redon depuis le 25 janvier 2025.
Après les tempêtes Eowyn, dévastatrice en Irlande, et Herminia, une troisième dépression, Ivo, a parcouru l’ouest de la France à partir du 29 janvier. Au cours de la dernière semaine de janvier, l’accumulation de fortes pluies a gorgé les sols d’eau, augmenté rapidement le débit des cours d’eau et causé ces inondations.
Selon le SDIS 35, six cents personnes ont été évacuées, dont les occupants d’hôtel sur la commune de Saint-Nicolas-de-Redon et les résidents d’un EPHAD. Au total, 1000 personnes ont été évacuées sur l’ensemble des communes concernées (Bruz, Pont-Réan, Rennes et Redon).
Evolution de la crue et du niveau des cours d'eau dans la région de Redon entre le 23 et le 30 janvier 2025.
Séquence d'images acquises par les satellites radar Sentinel-1 du programme Copernicus.
En bleu, les limites normales des cours d'eau. Cliquer sur l'image pour voir l'animation en grand format.
Traitement : Gédéon.
De rouge à orange
Dans la matinée du 1er février, Météo-France a descendu d’un niveau la vigilance pour crues qui était en vigueur dans les départements de l’Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de la Loire-Atlantique.
Après plusieurs jours de forte inquiétude, le niveau de l’eau s’est stabilisé dans la soirée du 31 janvier puis a enfin commencé à baisser à Redon (Ille-et-Vilaine), encerclée par les eaux depuis plusieurs jours. Météo France note un retour des conditions anticycloniques en France. Quatre pompes ont été installées à Saint-Nicolas-de-Redon pour faciliter un retour rapide à la normale mais la décrue sera lente. Une partie du port de Redon est toujours inondée. Selon les mesures publiées par Digicrues, les niveaux d'eau sont néanmoins restés en dessous des niveaux des crues récentes les plus importantes (janvier 1995 et janvier 2001).
Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique et Françoise Gatel, la ministre déléguée chargée de la ruralité, se sont rendus sur place pour constater les dégâts et l’action des secours et des pompiers. L’état de catastrophe naturelle devrait être déclaré rapidement.
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Le niveau eau mesuré au niveau de l'écluse de l'Oust (Canal de Nantes) à Redon
entre le 21 janvier 2025 et le 2 février 2025. Source : Vigicrues
L’évolution des inondations à Redon suivie depuis l’espace
La séquence d’images présentée ici provient des satellites radar Sentinel-1 du programme européen Copernicus. Elle illustre l’évolution du niveau des cours d’eau et des zones inondées entre le 23 et le 30 janvier. Vous trouverez une version en haute définition de cette animation ici.
Sur les trois images, j’ai ajouté en bleu la carte « normale » du réseau hydrographique et quelques toponymes pour donner une référence et quelques repères.
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Inondations dans la région de Redon en Bretagne : image de référence acquise par un satellite Sentinel-1
le 23 janvier 2025. On remarque simplement quelques zones noires (eau) qui dépasse des limites normale
des cours d'eau. Source : Copernicus / Union européenne. Traitement Gédéon
Même si l’image du 23 janvier montre déjà quelques différences par rapport à la normale, l’évolution est très spectaculaire à partir du 27 janvier jusqu’au 30 janvier, pratiquement au maximum de la crue.
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Inondations dans la région de Redon en Bretagne : deux images acquises par un
des satellites Sentinel-1 le 27 (en haut) et le 30 janvier 2025 à 17:56 UTC (en bas).
Source : Copernicus / Union européenne. Traitement Gédéon
La vilaine porte bien son nom…
Je ne me lance pas dans une explication détaillée du fonctionnement des instruments des satellites radar. Ici, il faut simplement se rappeler que contrairement à l’observation passive des satellites optiques (qui mesurent la lumière solaire réfléchie par les sols, un peu comme l’œil d’un observateur humain), les satellites radar fonctionnent de manière active en éclairant la scène observée avec une onde électromagnétique.
Si l’interprétation visuelle des images obtenues de cette manière, très différente de la vision humaine, est moins directe, l’avantage est de pouvoir observer une zone d’intérêt même en cas de forte couverture nuageuse. C’est notamment le cas pendant les épisodes de pluie et de fortes inondations : les images optiques acquises en Bretagne pendant la période des inondations sont souvent inexploitables.
J’ai dû remonter au 15 janvier pour trouver une bonne image acquise par un des satellites Sentinel-2. En voici un extrait en couleurs naturelles couvrant les environs de Redon.
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Une image de référence acquise avant la période de pluie intense et la crue. Extrait d'une image acquise
par le satellite optique le 15 janvier 2025 . Source : Copernicus / Union européenne.
Miroir d’eau et mer d’huile
Un autre avantage des instruments radar (ou SAR, pour Synthetic Aperture Radar, ou RSO, Radar à Synthèse d’Ouverture) est la détection des cours d’eau ou des lacs. Sans rentrer dans les détails, le signal mesuré par un instrument radar dépend beaucoup de l’état de surface de l’objet observé : un peu comme un miroir qui ne renvoie pas notre image quand on n’est pas dans l’axe, une surface d’eau calme va renvoyer l’onde électromagnétique dans une seule direction. Fonctionnant avec un angle d’incidence, l’instrument radar ne recevra qu’une très faible fraction de l’énergie émise par l’eau.
C’est la raison pour laquelle les cours d’eau, les étangs et les marais apparaissent en noir ou en gris sombre sur les images radar présentées ici, avec un contraste facilitant la lecture du réseau hydrographique. Un extrait en champ plus large de l’image acquise par le satellite Sentinel-1 le 27 janvier couvre une partie de l’océan atlantique, le Golfe du Morbihan et des zones humides facilement identifiables. Notez l'influence des vagues et de la houle sur le signal radar (autour de Belle-Ile par exemple)
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Une version en plus large champ de l'image acquise par une des satellites Sentinel-1 le 27 janvier 2025.
Source : Copernicus / Union européenne.
Les satellites Sentinel-1 : la composante radar de Copernicus
Les satellites radar Sentinel-1 font partie des missions Sentinel du programme européen Copernicus. Le premier exemplaire, Sentinel-1A, a été lancé le 3 avril 2014, suivi deux ans plus tard par Sentinel-1B. Le fonctionnement en « binôme » améliore la revisite, c’est-à-dire la fréquence de passage au-dessus d’une région donnée.
Le satellite Sentinel-1B a cessé de fonctionner le 23 décembre 2021, à cause d'une panne de l'électronique alimentant son instrument radar.
Sentinel-1C, le petit dernier, a été lancé le 5 décembre 2024, pour assurer la continuité de la composante radar de Copernicus. Un quatrième satellite, Sentinel-1D, devrait être lancé au deuxième semestre de l’année 2025.
Les caractéristiques des images obtenues, en particulier dépend de la longueur d’onde du signal électromagnétique utilisé. L’instrument des satellites Sentinel-1 fonctionne en bande C, avec une fréquence centrale de 5,405 GHz, soit une longueur d’onde de 5,6 cm. La surface couverte à chaque passage varie de 20 à 250 km selon les modes d’acquisition (Strip Map, Interferometric Wide Swath, Extra Wide Swath, Wave Mode).
La résolution des images, entre 5 mètres et quelques dizaines de mètres, dépend également du mode d’acquisition. Les images présentées ici ont été acquises en mode Interferometric Wide Swath (IW). Le niveau de détail est moins bon que celui de satellites SAR fonctionnant avec une longueur d’onde plus petite, autour de 3,1 cm (par exemple TerraSAR-X, Cosmo-Skymed ou les petits satellites de la société finlandaise Iceye opérant tous en bande X) mais il est suffisant pour caractériser l’ampleur et l’emprise globale des inondations. Ces satellites, qui complètent les missions Sentinel, sont appelés Missions Contributives (Contributing Missions) de Copernicus. Leur utilisation fait l'objet de contrats spécifiques signés entre la Commission Européenne et les principales sociétés fournissant des données d'observation de la Terre.
Copernicus en action
Un petit tour d'horizon des cartes produites par le service Copernicus de gestion des situations d'urgence et notamment sa composante de cartographie rapide permet de comparer les contributions de différents types de satellites radar. Dans le cas des inondations en Bretagne de janvier 2025, le service de cartographie rapide a été activé le 29 janvier (activation EMSR788) par le Centre Opérationnel de Gestion Interministériel de Crises (COGIC).
Après une première carte produite à partir de l'image du satellite Sentinel-1 présentée dans cet article, plusieurs cartes de situation ont été livrées. Elles utilisent des images provenant de satellites radar à plus haute résolution : PAZ (images du 30/01, du 01/02 et du 02/02), Iceye (image du 31/01), COSMO-Skymed (image du 31/01) et Radarsat (images du 01/02 et du 02/02). Dans ce cas précis, compte tenu des dates d'acquisition, les images acquises après le 31 janvier 2025 permettent surtout de surveiller la phase de décrue.
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Inondations autour de Redon : exemple de carte de situation produite par le service Copernicus
de cartographie d'urgence (action EMSR 788). L'image de référence provient du satellite Sentinel-2.
L'image de crise a été acquise par un satellite COSMO-Skymed le 31 janvier 2025 à 05:30 UTC.
Crédit : Copernicus / Union Européenne
Le service Copernicus avait déjà été activé pour des inondations en Bretagne et autour de Redon en janvier (activation EMSR065) et février 2014 (activation EMSR068).
Mer d'huile : le radar de la méduse
Evoqué plus haut, « L’effet miroir » du signal radar est également utilisé pour détecter en mer les nappes d’hydrocarbures, qu’il s’agisse de pollutions volontaires ou accidentelles : flottant en surface, une fine couche d’huile rend la mer plus lisse, permettant sa détection par les satellites radar.
En Europe, un service baptisé CleanSeaNet est opéré par l’Agence Européenne de Sécurité Maritime (EMSA) depuis 2007 et utilise notamment des satellites radar acquises en temps réel pour détecter et identifier les navires pollueurs ou, en cas de situation d’urgence, contribuer à la lutte contre les pollutions après une catastrophe maritime.
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre, d’autres articles sur :
- Sur le site du SDIS 35, le bilan de situation du 30 janvier 2025 sur les crues en Ille-et-Vilaine.
- Le site Vigicrues et la page sur le Territoire Vilaine-Côtiers Bretons.
- La liste des activations du service Copernicus de gestion des situations d'urgence (Copernicus emergency Management Service).