La première image du satellite SPOT 3 : Bonifacio, le sud de la Corse et les îles Lavezzi.
Image acquise le 27 septembre 1993. Copyright CNES – Distribution Airbus DS
SPOT ou encore ? STOP…
Je continue le cycle d’articles sur les accidents et les pannes dans l’espace. A l’occasion des 30 ans du lancement du premier satellite SPOT, j’ai choisi d’aborder la panne de SPOT 3. J’en profite aussi pour rattraper le retard sur le calendrier spatial. Après février, celui de mars arrive en avril… Mieux vaut tard que jamais…
Tous les satellites SPOT ont eu une durée de vie largement supérieure à la durée de vie nominale : 17 ans pour SPOT 1, 19 ans pour SPOT 2, 15 ans pour SPOT 4 et 13 ans pour SPOT 5...
Tous ? Sauf un : SPOT 3, prévu normalement pour fonctionner au moins trois aes, n’a fonctionné que trois ans et 2 mois… Le service minimum. Lancé le 26 septembre 1993 depuis le Centre Spatial Guyanais (mission Ariane), il a cessé de fonctionné le 14 novembre 1996.
SPOT 1, « l’ancêtre », dont on avait cessé l’exploitation en septembre 1990, a alors repris du service, pour fournir les images demandées par les clients de Spot Image (aujourd’hui Airbus Defence and Space).
La perte du satellite SPOT 3 : les symptômes…
Le dernier passage nominal de SPOT 3 au-dessus de la station de télémesure de Toulouse-Aussaguel date du 13 novembre 1996 à 22h31 UTC. Le dernier passage en exploitation, sur la station de réception directe de Taïwan, est daté du 14 novembre 1996 à 3h30 UTC. Le 14 novembre 1996, à 6h44 UTC, il est impossible d'acquérir la télémesure pendant un nouveau passage au-dessus de la station d'Aussaguel.
A 8h50 UTC, seules quelques secondes de télémesures peuvent être acquises sur la station de Hartebeshoek (en Afrique du Sud). A 10h06 UTC, la réception de la télémesure par la station de Kiruna (en Suède) met en évidence des perturbations caractéristiques d'une mise en autorotation du satellite. La vitesse de rotation élevée a été ensuite confirmée par l'analyse des signaux reçus par l'antenne de Kiruna lors du passage à 11h45 UTC.
A 13h30 UTC, toujours sur la station de Kiruna, les dernières lignes de télémesure disponibles ont été acquises. La perte de puissance à bord du satellite est survenue juste après, de manière définitive, à 13h31mn UTC.
Les dernières images acquises le 14 novembre 1996 par SPOT 3 au-dessus de la Chine.
Copies d’écran d’une consultation du catalogue Geostore d’Airbus DS.
Plus de roue : un peu à plat…
C’est une avarie du système de contrôle d’attitude qui a empêché la poursuite de la mission opérationnelle de SPOT 3.
Dans son rapport publié en janvier 1997, la commission d’enquête sur la défaillance de SPOT 3 a conclu que la perte du système de contrôle d’attitude (AOCS ou SCAO pour Système de Contrôle d’Attitude et d’Orbite) avait été causée par les pannes successives de trois des six gyroscopes équipant le satellite. La mise en rotation rapide (jusqu’à 50° par seconde) n’ayant pas pu être stoppée suffisamment rapidement, le panneau solaire de SPOT 3 n’a plus fourni assez d’électricité pour recharger les batteries et le satellite a fini par perdre son alimentation électrique et la possibilité de communiquer avec le sol au bout de quelques heures.
Les calculs réalisés par le centre d'orbitographie opérationnel du CNES, à partir des données issues du réseau des stations de suivi du satellite Spot 3, ainsi que grâce aux informations fournies par le NORAD américain, et par les radars de trajectographie du bâtiment d'essais et de mesures de la DGA (le Monge), ont mis en évidence une perturbation de l'orbite du satellite (d'une dizaine de kilomètres sur le demi-grand axe).
Pour déterminer les causes de la panne, des essais ont également été réalisés sur deux bancs de simulation des satellites SPOT, installés au CNES et chez Matra Marconi Space (aujourd’hui Airbus Defence and Space), ainsi qu’un simulateur numérique utilisé pour le développement du contrôle d’attitude et d’orbite
Architecture du contrôle d’attitude et d’orbite des satellites SPOT 1 à SPOT 3.
Figure adaptée d’un article paru dans « Automatic Control in Space 1982: Proceedings of the
Ninth IFAC/ESA Symposium ». Attention : un petit chat s’est perdu dans le système de
contrôle d’attitude. Aidez-le à en sortir. Crédit : Gédéon
Lassé du lacet
Par souci de redondance, SPOT 3 était équipé de deux gyroscopes pour chacun des trois axes du contrôle d’attitude (roulis, tangage et lacet).
Deux des gyroscopes, le n°1 et le n°6 avaient déjà donné des signes de faiblesse. Le n°1 avait été mis hors service en février 1996 après 23000 heures de fonctionnement. Le n°6 est tombé en panne le 9 novembre 1996, après 30000 heures de fonctionnement. Depuis cette date, le pointage fin du satellite (MPF), le mode utilisé pour l’acquisition des images était assuré par les gyroscopes n°2, 3 et 4.
Tous les autres équipements du satellite, notamment les gyroscopes 3, 4 et 5, avaient un fonctionnement nominal.
Dans ce contexte, la cause primaire identifiée dans le rapport d’enquête est la défaillance du gyroscope n°2, celui qui mesure la vitesse angulaire autour de l’axe de lacet (axe Z), entraînant une saturation de la roue à réaction qui contrôle cet axe.
Lacet défait
Cette saturation, détectée par le logiciel de vol, a entraîné le passage du satellite en mode MAG (le Mode d'Acquisition Grossier) : c’est le mode de repli du satellite en cas d'anomalie du contrôle d'attitude : le pilotage s'effectue alors au moyen des tuyères de la propulsion et en utilisant toutes les mesures gyroscopiques disponibles.
Repère local et axes de roulis, tangage et lacet du satellite SPOT 3 sur son orbite.
Dessin de SPOT adapté du manuel de référence SPOT. Crédit image : Gédéon
Cercle vicieux
Au bout de trois minutes, le mode MAG et les capteurs dédiés ont a permis un pointage vers la terre et le passage en mode MAF 1 (le Mode d'Acquisition Fine). Le mode MAF 1 utilise les mêmes actuateurs et les mêmes senseurs que le mode MAG : il cherche à réorienter l'axe de tangage (axe X) du satellite par rotation autour de l'axe Z.
Malheureusement, à cause du mauvais fonctionnement du gyroscope n° 2, la rotation autour de l'axe Z a continué à vitesse incontrôlée, empêchant la convergence du mode MAF : avec des mesures gyroscopiques saturées, et un dépointage de l’axe Z, le logiciel de vol a déclenché le retour en mode MAG.
Calculateur débordé
Au retour dans le mode MAG, les valeurs de mesures gyroscopiques très élevées, incompatibles avec la plage de fonctionnement du logiciel de vol ont entraîné un débordement numérique (un peu comme #DIV/0! ou #N/A quand Excel voit rouge) et une inversion de signe des commandes calculées : cette commande a engendré une poussée des tuyères inverse à ce qu’il aurait fallu faire pour ralentir la rotation.
En fait, le logiciel de vol du satellite Spot 3 comprend un module de vérification de la cohérence des mesures provenant des gyroscopes. L'algorithme a été conçu pour identifier deux gyroscopes défaillants parmi les 6, ou un seul parmi cinq maintenus en service.
Trop d’inconnues, pas assez d’équations
Si un troisième gyroscope tombe en panne, l'algorithme détecte bien une incohérence des mesures mais n’est pas capable d'identifier le nouveau gyroscope défaillant. Faute de mieux, le logiciel de vol conserve le même triplet de gyroscopes utilisés pour le pilotage. En bref, le satellite Spot 3 a été conçu pour faire face à un maximum de deux pannes de voies gyroscopiques.
L’enquête a également établi que le gyroscope n°2 avait montré des signes de dégradations à partir de septembre 1996, mais suffisamment faibles pour ne pas permettre une détection en temps réel par les moyens au sol et donc une anticipation de la troisième panne d’un gyroscope.
Silence, on tourne…
L'autorotation du satellite s'est alors accélérée (jusqu'à 50°/s) et le mode MAG n'a pas convergé. Au bout du délai maximum fixé pour ce mode (2300 secondes en durée cumulée), le satellite est alors passé, « normalement », en mode survie.
Le mode de survie est le mode de repli ultime de sauvegarde du satellite : il consiste à pointer le satellite sur le soleil pour en garantir la puissance électrique à bord, et ainsi attendre et permettre une intervention du sol.
Mais la force centrifuge résultant de la mise en rotation de SPOT 3 avait déjà entraîné le blocage du moteur d'entraînement du générateur solaire, empêchant ainsi son orientation dans la bonne direction. Cette première condition du mode de survie n’étant pas remplie, le pilotage en survie n'a pas démarré.
La perte de contrôle de l'attitude était alors définitive, avec un générateur solaire mal éclairé par le soleil. La perte de puissance à bord était désormais irréversible et, cinq orbites après le passage en mode survie, le satellite SPOT 3 a été définitivement perdu.
Importance de la qualité du contrôle d’attitude pour l’acquisition des images SPOT.
Les barrettes CCD de chaque instrument HRV acquièrent chaque pixel des colonnes de l’image.
C’est le défilement du satellite sur son orbite qui produit la deuxième dimension :
les lignes successives de l’image. Figure adaptée du Guide utilisateurs des données SPOT.
Le chat va vraiment se fourrer partout… Crédit image : Gédéon.
Retour d’expérience
Pour éviter qu’une telle panne ne se reproduise, la commission d’enquête a émis quinze recommandations portant sur les opérations et le suivi en orbite (par exemple faciliter la télécommande de certains organes critiques du satellite en mode de survie), sur la conception du système de contrôle d’attitude et sur les gyroscopes.
Le détail des recommandations n’a pas été rendu public.
Le satellite SPOT 4 a été lancé, de manière anticipée, le 23 mars 1998 par une fusée Ariane 40 (vol 107). D’une conception différente de SPOT 1 à 3, son système de contrôle d’attitude comprend 4 gyroscopes biaxes au lieu de six mono-axes.
SPOT 4 a été exploité opérationnellement jusqu’en janvier 2013. Il a ensuite été utilisé quelques mois pour l’expérience SPOT 4 Take 5, renouvelée avec SPOT 5 pour travailler sur le fonctionnement opérationnel du satellite Sentinel-2 de l'ESA, lancé le 23 juin 2015.
SPOT4 a été désorbité à partir du 29 juin 2013, SPOT 5 en fin d’année 2015.
Comme le satellite européen Envisat tombé, SPOT 3 n’a donc pas été désorbité. Ils font tous les deux partie des gros débris en orbite basse.
Pour information, voici les paramètres orbitaux au 20 mars 2016 des satellites de la famille SPOT. SPOT 1, SPOT 2, SPOT 4 et SPOT 5 ont été désorbités. SPOT 6 et SOPT 7 sont en opération sur une orbite plus basse, comme celle des satellites Pléiades.
Paramètres orbitaux (excentricité, apogée, périgée et période) des satellites de la famille.
Valeurs estimées à partir des éléments orbitaux disponibles sur le site Celestrak.com
à la date du 21 mars 2016. Crédit image : Gédéon
En savoir plus :
- Sur le blog Un autre regard sur la Terre :
- Une page sur la famille de satellites SPOT.
- Un article sur l’expérience SPOT 5 Take 5 et un autre sur la désorbitation de SPOT 5.
- Le calendrier spatial du mois de février 2016.
- Les autres pages du calendrier spatial.
- Sur le site du CNES, une page sur la désorbitation de SPOT 2.
- Sur le site Celestrak.com, une page pour accéder au catalogue des éléments orbitaux (TLE) des satellites.
- Sur le site sat-net.com, un article paru en 1997 sur le rapport de la commission d’enquête sur la panne du satellite SPOT 3.