C’est le titre de la conférence Météo-France qui était organisée jeudi 16 mai par Météo-France, le Centre européen de recherche et de formation avancée en calculs scientifiques (CERFACS), et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le même soir, à la TV, il y avait « Dumb et Dumber » sur la chaîne D8 ou la demi-finale de l’Eurovision sur France O. Difficile de faire un choix… Je ne regrette pas d’être allé au Centre International de Conférences de Météo France : la conférence organisée par Guy Lachaud et animée par Jean-Claude André était vraiment passionnante. Les intervenants ont fait preuve de beaucoup de pédagogie pour permettre à chacun de mieux comprendre la prévision du temps et du climat. | |
Le fil conducteur des interventions ? Les échelles de temps, depuis la prévision météo immédiate ou à l’échéance de quelques jours jusqu’aux scénarios du climat futur, en passant par les prévisions saisonnières et décennales. Cinq interventions successives cohérentes et très didactiques…
Boules de billards, chenilles et papillons : peut-on prévoir ce qui change tout le temps ?
Oui mais pas tout le temps… C’est par cette question-réponse sous forme de boutade que Laurent Terray, chercheur au CERFACS, a commencé son intervention.
En s’appuyant sur des peintures de William Turner, des textes de Victor Hugo ou de Jules Verne, il a rappelé la difficulté de prévoir les variations du temps et du climat et expliqué les grandes notions en jeu et le rôle déterminant de scientifiques comme Jacques Hadamard (1865-1963), Henri Poincaré (1854-1912) ou Edward N. Lorenz (1917-2008), qui a découvert les attracteurs étranges et inventé l’expression « Butterfly effect » :
Un extrait de l’intervention de Laurent Terray, chercheur au CERFACS. Hommage à Edward Lorenz.
Crédit image : Gédéon
Le lien avec les boules de billards ? Pour illustrer un des aspects essentiels de la théorie du chaos (la sensibilité aux conditions initiales, Laurent Terray a utilisé un extrait d’un petit film très pédagogique montrant comment la trajectoire d’une boule changeait totalement si on modifiait très légèrement la position d’une autre boule sur le billard. Je vous recommande de regarder le film en entier, disponible sur le site www.chaos-math.org.
Image extrait du film « Chaos – Math, le film ». A voir absolument sur le site www.chaos-math.org
Quel temps fera-t-il ce week-end ?
Je n’ose pas donner la réponse mais prévoyez un parapluie…
C’est Joël Collado, prévisionniste de Météo-France bien connu des auditeurs de Radio France, qui a abordé la météorologie proprement dite, c’est-à-dire le temps qu'il fait à l’instant présent, mais aussi demain et après-demain, jusqu'à une dizaine de jours.
Arome sent bon !
En commentant et en comparant les observations et les sorties de modèles de prévision correspondant à la situation météo actuelle (eh oui, c’est bien le mois de mai…), Joël Collado a montré le rôle des différents moyens d’observation (satellites, radars, bouées) et les enjeux de la recherche sur les nouveaux modèles de prévision.
Deux extraits de la présentation de Joël Collado. En haut, comparaison entre la situation observée
et les sorties du modèle de prévision AROME, en service opérationnel depuis fin 2008.
En bas, illustration des dispersions des prévisions au fil du temps. Crédit image : Gédéon
C’est la chenille qui redémarre…
En insistant sur le comportement très instable de l'atmosphère, il a expliqué la différence entre les modèles de prévision déterministes (pour la prévision du temps dans les prochains jours) et les modèles probabilistes (avec un indice de confiance) pour les plus longues échéances, au-delà de cinq jours. Les satellites d’observation, en orbite géostationnaire ou en orbite basse, jouent un rôle majeur. C’est le cas notamment de l’instrument IASI du CNES qui équipe les satellites européens Metop. Lancé le 17 septembre 2012, Metop-B a été déclaré bon pour le service opérationnel le 24 avril 2013.
Exemple typique d'acquisition progressive des données par un satellite défilant en orbite basse.
Ici, le cas de Metop pour la journée du 17 mai 2013. Crédit image: Eumetsat
L’été sera-t-il chaud ? Peut-on prévoir les tendances climatiques de la prochaine saison ?
Cette question relève de la prévision saisonnière, abordée par Jean-Pierre Céron, Directeur Adjoint Scientifique de la Climatologie chez Météo France. Affirmer que la prévision du temps est limitée à environ 15 jours et, en même temps, fournir des prévisions pour des échéances de plusieurs mois peut sembler paradoxal.
Avec quelques expériences simples (faire tomber une feuille de papier…) et en décrivant les grands mouvements de l’atmosphère et le rôle des océans, Jean-Pierre Céron a présenté très simplement ce qui se cachait derrière les prévisions saisonnières, leurs principes scientifiques, leurs incertitudes, comment on les réalise et comment on peut utiliser ces informations.
Il a expliqué en particulier qu’il existait des situations où l’expert était confiant sur la prévisibilité et d’autres où l’absence de signature (« quand le ventilateur n’est pas allumé ») rendait la prévision très aléatoire.
Extrait de la présentation de Jean-Pierre Céron. Quelques feuilles de papier, un ventilateur :
suffisant pour faire comprendre les principes et les limitations de la prévision saisonnière.
Crédit image : Gédéon
Quel climat pour 2023 ?
Comment, à l'échelle d'une dizaine d'années, les températures de la planète peuvent-elles rester stables, se refroidir ou se réchauffer ? Christophe Cassou, chercheur au CERFACS a commencé son intervention en instant sur les risques à tirer des conclusions sur l’évolution du climat à partir d’une ou deux années de référence, un truc régulièrement utilisé par les climato-sceptiques.
Refroidissement ou réchauffement : on peut conclure n’importe quoi si on s’appuie sur des cas
particuliers. Décryptage de la prévision décennale avec Christophe Cassou du CERFACS.
Crédit image : Gédéon
Christophe Cassou a confirmé que la décennie passée était bien la plus chaude depuis 1900 et expliqué le rôle des océans et de leur dynamique (avec des phénomènes comme El Nino ou la Nina) dans les fluctuations du climat à l’échelle d’une décennie et à l’échelle régionale. Préoccupant : la diminution des surfaces de glace pendant l’été dans l’océan arctique.
Comparaison de la surface minimale de la glace de mer dans l’hémisphère nord en septembre 2012
et septembre 2007. Le trait rose représenté le périmètre de référence (valeur médiane sur la
période 1979-2000). Extrait du publié par l’Organisation Météorologique Mondiale en mai 2013.
Source : National Snow and Ice Data Center (USA). Crédit image : Gédéon
A titre d’exemple, dans un compte rendu annuel publié en mai 2013, l’Organisation Météorologique Mondiale indique que le fait climatique le plus significatif de l'année écoulée est sans conteste la «fonte record» de la banquise arctique. À la mi-septembre, elle a atteint « le niveau le plus bas de son cycle annuel, avec 3,41 millions de kilomètres carrés ». Soit une superficie inférieure de 18 % au précédent minimum, en 2007, qui, à l'époque, était également un record. « Le chiffre de cette année représente une diminution de 49 %, soit 3,3 millions de kilomètres carrés, par rapport à la moyenne des minima calculés pour la période 1979-2000 », précise l'organisation internationale.
A contrario, du côté du pôle Sud, la banquise de l'Antarctique affichait en effet une santé florissante. À la fin du mois de septembre, à l'heure où elle s'étend, elle a atteint une superficie jamais observée depuis le début des relevés en 1979, avec 19,4 millions de kilomètres carrés.
En ce qui concerne les températures, l'OMM rappelle donc que l'année 2012 a présenté une anomalie positive estimée à 0,45 °C par rapport à une normale établie entre 1961 et 1990 à 14 °C. Une année plus chaude malgré l'influence, comme en 2011, d'un phénomène météo connu sous le nom de « La Niña » et qui a pour effet de refroidir le climat. Cela fait en tout cas vingt-sept ans que, à une ou deux exceptions près, la température moyenne à la surface de la terre mais aussi dans les océans se trouve au-dessus de cette normale.
Un bon indicateur du climat pour 2100 ? Guy Lachaud…
C’est Serge Planton, responsable de l'Unité de recherche climatique au Centre de recherches de Météo-France et membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui a traité le sujet de l’évolution du climat aux échéances lointaines et la question du changement climatique. Il a expliqué comment on pouvait construire des scénarios de l'évolution future du climat s'appuyant sur des méthodes proches de modèles de prévision météorologique et climatique.
Extrait de l’intervention de Serge Planton. Des scénarios pour le 21ème siècle : changement de la
température globale et incertitudes des modèles. Ici un exemple de résultats récents publiés en 2012 par
Reto Knutti et Jan Sedláček (Institute for Atmospheric and Climate Science, Ecole Polytechnique Fédérale
de Zurich) utilisés par les experts du GIEC. Crédit image : Gédéon.
En réponse à une question sur le peu de prise en compte des recommandations des experts par les politiques, il a néanmoins rappelé que les rapports du GIEC étaient le résultat d’une demande politique et que c’était un point très important.
Avec son dernier rapport, le quatrième, publié en 2007, le GIEC a largement contribué à installer la lutte contre le réchauffement climatique dans l'agenda diplomatique et a reçu à cette occasion le prix Nobel de la paix. Le cinquième état des lieux, très attendu, sera publié en plusieurs temps, à partir de septembre 2013. Serge Plan a confirmé que le résumé pour les décideurs (« executive summary ») sera publié le 26 septembre pendant la conférence de Stockholm. Les deux autres parties (adaptation au changement climatique et solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre) seront adoptées au printemps 2014. La synthèse globale est prévue en octobre 2014.
Pour conclure, Jean-Claude André a rappelé les grands axes d’amélioration de la prévision du temps et du climat :
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La qualité et la densité des systèmes d’observation et de mesure (avec en particulier les satellites d’observation).
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L’optimisation des algorithmes et la performance des super-ordinateurs (pour faire tourner suffisamment rapidement les modèles de prévision très gourmands en puissance de calcul).
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L’amélioration des modèles et de la compréhension des phénomènes (avec, en particulier, la compréhension des interactions entre atmosphère, océans, glaces voire biosphère).
Et une rupture ou une innovation majeure ? Par définition, encore plus difficile à prévoir que la météo…
En savoir plus :
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Sur la théorie du chaos et les questions théoriques liées à la modélisation et à la prévision : le site www.chaos-math.org et le film. -
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Un petit livre (58 pages) très pédagogique de Christophe Cassou, illustré par Louise Pianetti-Voarick, à l’intention des plus jeunes, aux éditions Le Pommier dans la collection Minipommes. Qannick passe l’été au Groënland chez ses cousins Hugo et Théo : un prétexte pour aborder la science simplement avec des questions-réponses sur le climat et la prévision météo.
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Sur le site de l’Organisation Météorologique Mondiale, en anglais, le compte rendu annuel pour 2012 sur l’état du climat. Il confirme que 2012 se classe parmi les dix années les plus chaudes jamais observées depuis les premiers relevés de températures effectués en 1850. -
- Sur Picasa, d'autres photographies prises pendant la conférence avec quelques explications complémentaires.