Juin 2013 : la crue de l’Elbe au niveau de la ville de Wittenberg en Allemagne. Extrait d’une
image acquise par le capteur OLI du satellite Landsat 8 le 7 juin 2013.
Crédit image : NASA Earth Observatory/ US Geological Survey
Vers un retour progressif à la normale
Sauf dans le nord de l’Allemagne, la décrue est amorcée dans la plupart des villes d'Europe centrale et c’est l’heure de faire le bilan des dégâts.
Depuis une dizaine de jours, l'Europe centrale faisait face à des inondations historiques en Allemagne, en Autriche, en République tchèque, en Suisse et en Hongrie. Selon un bilan humain provisoire, elles ont causé la mort de 19 personnes.
Sur le plan économique, les assureurs annoncent déjà que ces inondations devraient être plus coûteuses que celles de 2002. On parle de 12 milliards d’Euros de dommage rien qu’en Allemagne, dont environ un quart de pertes à la charge des compagnies d’assurance. En Allemagne, plus de 300 000 hectares de terres agricoles ont été touchés par les inondations.
A Passau, l’eau passe haut
La cause de ces inondations d’une ampleur exceptionnelle ? Une dépression créant des pluies diluviennes : l’équivalent de 3 mois de précipitations en quelques jours. Sur des sols déjà saturés d’eau par la fonte des neiges, les pluies ont entraîné des hausses record du niveau des principaux cours d’eau, le Danube et l’Elbe, et de leurs affluents :
- Par exemple, dimanche, à Magdebourg, le niveau de l’Elbe atteignait un niveau maximum à près de 7,50 mètres alors que le niveau normal est d’environ 2 mètres. Lundi 10, le fleuve amorçait sa décrue avec un niveau à 7,14 mètres.
- Le 7 juin, le niveau de l’Elbe atteignait 6,7 mètres à Wittenberg.
- Dans la région de Dresde, le niveau était de 8,76 mètres dans la journée du 6 juin.
- Dimanche 9 juin, le Danube atteignait à mi-journée un niveau record de 8,90 mètres.
Plusieurs villes et régions d’Allemagne ont été touchées (Fischbeck, Saxe-Anhalt, Wittenberg, Deggenfdorf, Passau, Dresde, Schärding) et des évacuations avaient été effectuées par mesure de sécurité.
En Hongrie, le Danube a également entamé sa décrue et les digues de Budapest ont tenu : la capitale hongroise n'a pas subi de dégâts majeurs. Des milliers de personnes se sont mobilisées pour renforcer les protections. L’image suivante provient du satellite Pléiades. Elle a été acquise le 5 juin et montre la situation dans le quartier de la vieille ville à Passau, au confluent du Danube, de l’Inn et de l’Ilz et à proximité de la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche. Habituellement, ce confluent entre trois cours d’eau est un spectacle étonnant. Pas cette année : la ville a connu en juin 2013 les pires inondations depuis 1501.
Extrait d’une image de la ville de Passau (Allemagne) acquise par le satellite Pléiades le 5 juin 2013. Copyright 2013 CNES – Distribution Astrium Services / Spot Image
L’eau vue du haut
Les deux images suivantes, provenant du capteur MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) du satellite américain Terra, permettent de se faire une idée de l’évolution des crues. La première date du 5 mai 2013, avant l’épisode de pluies intenses. La seconde a été acquise le 6 juin, au plus fort de la crise.
Deux extraits d’images acquises par le satellite Terra. A gauche, la situation avant les inondations
le 5 mai 2013. A droite, une image acquise le 6 juin 2013.
Crédit image : NASA / GFSC / Modis Rapid Response
Les images sont présentées ici dans la composition colorée dite « 721 » (canaux visibles et proche infrarouge), bien connue des lecteurs du blog Un autre regard sur la Terre avec plusieurs articles sur le couvert neigeux. Ici, l’avantage est de bien distinguer les cours d’eau (représentés en noir ou bleu marine) des surfaces terrestres (représentées en vert clair).
Un autre exemple est donné sur des images acquises par le tout nouveau satellite Landsat 8 (LDCM pour Landsat Data continuity Mission). Les deux extraits publiés ci-dessous proviennent d’images prises le 6 mai et le 7 juin 2013 sur la région de Saxe-Anhalt (Sachsen-Anhalt en allemand, un des seize länder) autour de la ville de Wittenberg. La crue de l’Elbe est très impressionnante avec ses eaux boueuses bien visibles sur l’image en couleurs naturelles. Comme pour les images de Terra, je vous conseille d’ouvrir les images dans deux fenêtres différentes et de basculer de l’une à l’autre pour faciliter la comparaison.
Le länder de Saxe-Anhalt et la ville de Wittenberg, avant et pendant les inondations. Deux extraits
d’images acquises par le capteur OLI (Operational Land imager) du satellite Landsat 8.
A gauche, la situation avant les inondations le 5 mai 2013. A droite, une image acquise le 7 juin 2013.
Crédit image : NASA Earth Observatory/ US Geological Survey
Comme sur les images Pléiades, on note la présence de nuages : les équipes en charge de la programmation des satellites doivent faire des prouesses et exploiter au mieux les possibilités de prise de vue de leurs satellites optiques (comme l’agilité de Spot 6 et des deux satellites Pléiades) pour permettre l’acquisition d’images optiques exploitables pendant les épisodes d’inondations de longue durée.
L’alternative consiste à utiliser des satellites radar qui ont deux avantages dans ce cas :
- Ils « voient » à travers les nuages.
- Ils mettent bien en évidence les surfaces d’eau et les cours d’eau et permettent de faire rapidement une cartographie des zones inondées (vous trouverez plus d’explications sur ce sujet ici).
Voici un exemple d’image radar : une image produite par le satellite allemand TerraSAR-X. X signifie que le radar travaille dans la bande X, entre 8 GHz et 12 GHz (entre 2,5 et 3,75 cm de longueur d’onde). Très précisément, le radar de TerraSAR-X émet un signal à la fréquence de 9,65 gigahertz. Les images sont construites en combinant les signaux réfléchis par le sol.
Pour faciliter la comparaison avec les images Pléiades, l’image publiée ici couvre aussi la ville de Passau et ses environs. La résolution est réduite par rapport à l’image d’origine.
Moins photogénique et moins facile à interpréter qu’une image provenant d’un capteur optique mais les nuages ne gênent pas et les surfaces inondées sont facilement reconnaissables…
Les inondations dans la ville de Passau vue par le satellite radar TerraSAR-X. Image acquise le 3 juin
2013. Crédit image : DLR / Astrium Geo-Information Services.
Les images satellite à la rescousse
Protection civile, renforts de l’armée, des services techniques des différents ministères et mobilisation de la population : en cas de catastrophe de longue durée comme ces inondations, c’est sur le terrain que s’organisent les secours, pour renforcer les digues, limiter les dégâts, évacuer les populations des zones à risques voire porter secours aux personnes en détresse.
Les satellites sont régulièrement utilisés pour appuyer cette action de terrain : le blog Un autre regard sur la Terre l’illustre régulièrement avec les articles satellites et catastrophes.
Les inondations de juin 2013 en Europe centrale en donnent un nouvel exemple. Au moins trois mécanismes différents ont été activés à cette occasion :
- Au niveau international, avec la charte internationale « Espace et catastrophes majeures ». En vigueur depuis novembre 2000, il s’agit d’un accord entre agences spatiales qui permet de mobiliser les moyens spatiaux pour acquérir et livrer des données satellites dans les cas de catastrophes de grande ampleur. Il s’agit d’une approche « best effort » (engagement de moyens). A disposition d’utilisateurs « autorisés » (par exemple les services centraux de protection civile), elle a été activée 369 fois depuis sa création, dans plus de 110 pays. Formellement l’engagement de la charte se limite à la fourniture des images. La production des cartes est assurée par des organismes spécialisés en cartograpgie rapide
- Au niveau européen, avec le service GMES, rebaptisé Copernicus depuis la fin de l’année 2012, de réponse aux situations d’urgence. Préfiguré entre 2009 et 2011 par le programme SAFER, il s’agit d’un service intégré couvrant le traitement 24h/24 et 7 jours sur 7 des demandes d’activation, l’acquisition des images en urgence, la production des cartes et leur livraison aux utilisateurs sur le terrain. GMES est désormais entré dans la phase dite d’opérations initiales. Comme pour la Charte Internationale, une des compétences essentielles est la capacité à assurer l’interface avec les utilisateurs (les services de protection civile) et à coordonner efficacement l’usage des satellites d’observation. Dans le cas de SAFER, ce sont les équipes d’Astrium GEO Information-Services qui jouaient ce rôle.
- Au niveau national, avec des moyens mis en place directement par les états. C’est par exemple le cas du DLR-ZKI (Zentrum für Satellitengestützte Kriseninformation ou centre pour l’information de crise). Le cœur de l’activité est souvent la compétence en cartographie rapide comme au ZKI en Allemagne ou, pour la France) au SERTIT (Université de Strasbourg), combiné à une très bonne connaissance des satellites d’observations et de leurs capacités. Pourquoi des moyens nationaux ? Parce que la gestion des risques et des catastrophes reste une mission régalienne des Etats. Les unités de protection civile cherchent à établir une relation de proximité avec des acteurs de confiance, travaillant dans la même langue maternelle et avec des procédures limitant le nombre d’intermédiaires.
Est-il possible de mieux fédérer ces outils ? On a ici un excellent exemple des défis auxquels doit faire face l’Europe et les personnes qui cherchent à développer les initiatives communautaires. Trouver le bon équilibre entre ce qui est mutualisé au niveau européen et ce qui doit rester une prérogative nationale… C’est une tâche très difficile.
Dans les années qui viennent, Copernicus, appliqué à la gestion des crises et des catastrophes naturelles, devrait être un moyen d’y parvenir avec une organisation mixte, combinant moyens centraux et capacités locales.
Par exemple, SAFER a montré que l’acquisition d’images dans des délais très courts était possible en s’appuyant sur une équipe centrale très opérationnelle, concentrée sur le traitement des demandes utilisateurs et sur la programmation de satellites mis à disposition par les états membres. De même, il est inutile de multiplier les capacités de cartographie rapide : deux ou trois équipes entraînée et bien dimensionnées en Europe suffisent à fournir une réponse rapide avec une possibilité de montée en puissance dans le cas de crises importantes. Pas facile à concilier avec le souhait de proximité de 27 états membres….
A ce jour, SAFER reste très certainement le modèle qui a démontré la meilleure performance opérationnelle (du point de vue du délai complet entre l'activation du service et la livraison des premières cartes). La phase totalement opérationnelle de Copernicus doit démarrer en 2014. A suivre…
Exemple de carte produite par le DLR à partir de l'image acquise par le satellite TerraSAR-X.
Crédit image : DLR / ZKI
En savoir plus :
- Les autres articles dans la catégories Catastrophes et risques naturels .
- Voir les deux images Landsat de la région de Wittenberg avec Google Earth : deux fichiers KML avec l’image du 6 mai 2013 et celle du 7 juin 2013.
- L’image Pléiades de Passau dans la galerie d’images d’Astrium GEO-Information Services.
- L’image Pléiades de Dresde dans la galerie d’images d’Astrium GEO-Information Services.
- Sur le site du DLR, les pages du ZKI avec les cartes de crise produites pendant les inondations.
- Le site de la charte "Espace et catastrophes majeures" et la page sur ces inondations.
- Le site UN-spider et l'ensemble des cartes concernant les inondations en Europe centrale.