Deux chiffres : 3 millimètres, d’une part, et 3 mètres, d’autre part.
Le premier est mille fois plus petit que le second pourtant il est au cœur des questions qui vont être traitées pendant la 16ème conférence de l’ONU sur les changement climatiques, qui s’ouvre aujourd’hui à Cancun au Mexique avec des représentants de 200 pays.
3 millimètres, c’est l’ordre de grandeur de la hausse annuelle moyenne du niveau de la mer à l’échelle de globe, telle qu’elle est mesurée par les satellites d’altimétrie spatiale depuis 1992.
3 mètres, c’est ordre de grandeur de l’altitude maximale des Maldives, le pays le plus plat du monde, auprès duquel les Pays-Bas, avec le Vaalserberg culminant à 322 mètres dans la partie continentale du pays, font presque figure de zone montagneuse !
Cancun, une nouvelle conférence de la dernière chance ?
Il y un an, à Copenhague, la conférence précédente avait eu des résultats décevants en raison des désaccords au sein de la communauté internationale : aucun objectif contraignant n’avait été décidé. Du 29 novembre au 10 décembre, à Cancun, les participants de la 16ème COP (Conference of the parties) vont rediscuter les engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES). Alors que protocole de Kyoto arrive à échéance en 2012, un éventuel progrès dépend surtout des positions respectives des États-Unis et de la Chine sur les émissions de carbone.
Après Copenhague, les attentes ont largement été revues à la baisse et, aujourd’hui, les plus optimistes attendent simplement un « paquet équilibré » de mesures, comme des décisions concernant la lutte contre la déforestation ou le transfert de technologies aux pays les plus vulnérables.
Si Cancun ne permettait pas de progrès sur les engagements internationaux dans la lutte contre le changement climatique, Artur Runge-Metzger, le négociateur en chef de la Commission européenne, avertit : « nous devrions vraiment nous demander si ce processus peut vraiment régler cette question très importante du siècle pour l'humanité ».
Les Maldives, un enjeu très symbolique : les réfugiés climatiques
L’image suivante est extraite d’une scène acquise par le satellite Envisat le 16 octobre 2009, il y a un peu plus d’un an. A gauche, l’archipel des Maldives et, à droite une image plus large permettant de la situé au sud de l’Inde et du Sri Lanka.
Deux extraits d’une scène acquise par le capteur MERIS du satellite européen Envisat le 16 octobre 2009.
A gauche, l’archipel des Malives et à droite une vue d’ensemble avec l’extrémité sud de l’Inde et le
Sri lanka. La couleur claire de l’océan indien sur la droite de l’image est liée à la réflexion de la
lumière solaire sur la surface de l’eau. Crédit image : Agence Spatiale Européenne (ESA).
Sur cette image, impossible de voir le président de l'archipel des Maldives, Mohamed Nasheed, et ses ministres, pas seulement à cause de la résolution insuffisante du capteur MERIS (environ 250 mètres) mais parce que, ce jour-là, le 16 octobre 2009, le conseil des ministres s’était réuni à près de quatre mètres sous l'eau pour dénoncer le réchauffement climatique qui menace d'effacer son pays de la surface du globe. Après le ministre Borloo, les ministres "sous l'eau". Ils avaient tracé un "SOS" sur un tableau en plastique et écrit : "Le monde entier doit s'unir dans un véritable effort de guerre pour mettre fin à la hausse des températures". En sortant de l’eau, Mohamed Nasheed avait déclaré : "C'est un message que nous voulons lancer au monde pour faire comprendre que si rien n'est fait contre le changement climatique, voilà quel sera l'avenir des Maldives".
La République des Maldives comporte près de 1200 îles, sur une zone d’environ 750 kilomètres sur 120. Sur cette superficie totale de 90000 km2, seulement 230 km2 sont des terres émergées. Environ 380.000 habitants habitent 200 îles. L’île la plus peuplée est la capitale Malé, inondée par les vagues causées par le tsunami du 26 décembre 2004. Sans lac ou cours d’eau naturel, l’approvisionnement en eau potable provient du dessalement de l’eau de mer.
La qualité des atolls coraliens, des plages et des fonds marins a entraîné un important développement du tourisme (près de 660.000 touristes en 2009). Une centaine d’îles a été transformée en îles-hôtels réservées aux touristes. A côté du risque lié au réchauffement climatique, la pression démographique et les nombreux aménagements touristiques sont des sources de dégradation de l'environnement insulaire.
Revenons aux deux chiffres cités au début de cet article : le point culminant des Maldives est situé sur Villingili (ou Willingili), une île minuscule de 0,5 km2 dans l'atoll Addu, à proximité de Malé. Son altitude, qui diffère selon les sources consultées, est de l’ordre de 3 mètres. Avec une altitude moyenne de 2,1 mètres pour les îles de l’archipel, 80% des terres Maldives sont menacées par une élévation du niveau de la mer d’un mètre. 3 millimètres par an, c’est 3 centimètres en 10 ans et 30 centimètres en un siècle. Pas vraiment négligeable… Mais est-ce une menace suffisante pour pousser à passer à l’action ?
Une image acquise par les astronautes de la Station Spatiale Internationale (ISS) le 12 juillet 2001.
Elle couvre l’atoll de Malé. En bas, on voit la ville de Malé, la piste de l’aéroport et à l’ouest de Malé,
l’île de Villingili. Presque dix ans se sont écoulées entre les dates d’acquisition de cette image et de
celle présentée plus haut : plus de 3 centimètres d’élévation du niveau de la mer…
Image ISS002-709-43 (appareil Hasselblad avec objectif de 350 mm et pellicule Kodak Elite).
Un rehaussement de contracte a été appliqué par Planète Sciences Midi-Pyrénées.
Crédit image : Image Science and Analysis Laboratory, NASA-Johnson Space Center,
"The Gateway to Astronaut Photography of Earth".
En 2009, le président des Maldives a annoncé que son pays s'engageait à zéro émission de CO2 d'ici à 2020. Je ne crois pas que cet engagement prenne en compte les émissions liées aux déplacements en avions des touristes : malgré la valeur d’exemple, le cas des Maldives montre à nouveau qu’une démarche dans le domaine de gaz à effet de serre ne sera réellement efficace que si elle est décidée au niveau international. Une décision collective est par définition plus délicate à obtenir qu’une décision individuelle. Il montre aussi que lutter contre le changement climatique implique parfois des choix difficiles : moins de tourisme aux Maldives pour sauver une région où le tourisme est la principale ressource économique ?
Le niveau de la mer : un indicateur des changements climatiques
Le niveau de la mer est une indicateur « composite » ou « intégrateur » du changement climatique dans le sens où ses variations dépendent de plusieurs composantes de la machine climatique :
- L’élévation de la température de l’eau des océans entraîne une dilatation et le niveau de la mer s’élève.
- La fonte des glaciers des zones montagneuses à cause de l’élévation de la température de l’air augmente la quantité d’eau douce dans les océans : le niveau augmente…
- Pour la même raison, les changements de la masse des calottes glaciaires ont le même effet direct.
- La modification du cycle de l’eau liée aux variations du climat augmente ou diminue le ruissellement de l’eau. Cela change aussi au final le niveau de la mer.
- Les échanges entre l’atmosphère et les océans, comme l’oscillation El Niño, créent également un cycle complexe de variation du niveau de la mer.
- Même la dynamique du globe terrestre joue un rôle, par l’intermédiaire de ce qu’on appelle le rebond post-glaciaire ou ajustement isostatique (glacial isostatic adjustment ou GIA en anglais), c’est-à-dire le soulèvement de masses terrestres causé par la déglaciation qui a suivi la dernière période glaciaire.
Alors que le niveau de la mer était resté a peu près stable au cours des derniers millénaires, des changements ont commencé à être perceptibles après le début de l’ère industrielle. Ce sont les marégraphes installés depuis la fin du 19ème siècle qui ont permis de mettre en évidence ce phénomène. Le graphique suivant montre l’évolution du niveau moyen des océans entre 1900 et 2000, extrait de ces mesures (avec Google Earth, voir ici des mesures en ligne de marégraphes gérés par le Permanent Service for Mean Sea Level (PSMSL).
Variation du niveau moyen de la mer à partir de données de marégraphes entre 1900 et 2001.
Moyennes annuelles reconstituées par Church et al en 2004 (points rouges) et par Jevrejeva
et al. en 2006 (point bleus). Source : Graphique fourni par Anny Cazenave
(extrait de "Contemporary Sea Level Rise", voir "en savoir plus").
Le rôle des satellites et des mesures in situ :
Depuis maintenant près de vingt ans, les satellites d’altimétrie spatiale (Topex-Poséidon suivi de Jason 1 et Jason 2, en combinaison avec les radar altimétriques des satellites européens ERS et Envisat) ont apporté une nouvelle source de données : à l’échelle globale, la hauteur moyenne du niveau de la mer est désormais mesurée tous les dix jours, en continu sur l’ensembles des océans. Ces mesures, illustrées sur la courbe ci-dessous, montrent clairement une élévation du niveau moyen en fonction du temps. Ces mêmes mesures mettent également en évidence une importante variation du rythme d’élévation selon les régions du monde. Par exemple, les Maldives se situent dans une région où la vitesse d’évolution serait plus faible.
Global mean sea level : courbe d'élévation du niveau global moyen de la mer établi à partir
de données d'altimétrie spatiale entre janvier 1993 et décembre 2008. Le cycle annuel a été enlevé.
Les points bleus correspondent aux données brutes collectées tous les dix jours. La courbe
en rouge est la moyenne glissante sur 90 jours. Source : Graphique fourni par Anny Cazenave
(extrait de "Contemporary Sea Level Rise", voir "en savoir plus")
Carte des variations spatiales de l'évolution du niveau de la mer observé entre janvier 1993 et
décembre 2008. La veleur moyenne de 3,4 mm par an a été soustraite pour mettre en évidence
les variations. Source : Graphique fourni par Anny Cazenave
(extrait de "Contemporary Sea Level Rise", voir "en savoir plus")
Par rapport aux mesures provenant des marégraphes, l’avantage des satellites d’altimétrie est de fournir des couvrant presque la totalité du globe (seules les latitudes les plus élevées ne sont pas couvertes en raison de l’inclinaison de l’orbite du satellite). Une limite est qu’ils fournissent une mesure « intégrée » qui ne permet pas directement de quantifier le rôle respectif des différentes causes de l’élévation du niveau de la mer.
Depuis quelques années, des efforts ont été faits pour compléter ces mesures avec des réseaux globaux de mesure de température in situ, permettant d’identifier la contribution de l’échauffement de l’eau, par dilatation, à l’élévation du niveau de la mer. C’est le cas du programme Argo avec un réseau de flotteurs océanographiques appartenant à 25 pays. 3 000 flotteurs couvrent les zones sans glace et collectent les profils de température et de salinité. Les mesures effectuées sont collectées par le système Argos. On note ici l’intérêt de combiner les observations spatiales et les observations in situ, permettant ainsi de distinguer l’élévation totale du niveau de la mer et ce qu’on appelle sa composante stérique (provenant de la dilatation thermique et des changements de salinité).
Egalement depuis les années 1990, les satellites complètent également les dispositifs de mesure et de surveillance des glaciers de montagne et des calottes glaciaires et contribuent ainsi à déterminer l’impact de la fonte des glaces sur l’élévation du niveau de la mer.
Elever le niveau sur l’élévation du niveau de la mer :
Dans cet article, je ne fait qu’évoquer rapidement les différents phénomènes entraînant une élévation du niveau de la mer, sans fournir d’explications détaillées.
Dans les semaines qui viennent, j’ai l’intention de publier quelques articles pédagogiques sur l’élévation du niveau de la mer, ses causes, les techniques de mesure ou de modélisation, et le rôle des satellites. Je m’appuierai sur des discussions que j’ai pu avoir récemment avec Anny Cazenave et sur des documents qu’elle a aimablement mis à ma disposition. Anny Cazenave est chercheur au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiale (LEGOS) à Toulouse, membre de l’Académie des Sciences et fait partie de la liste des auteurs principaux du futur rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du climat) à paraître en 2014.
C’est un challenge pour moi car c’est un domaine que je connais moins que d’autres sujets que j’ai pu aborder sur le blog Un autre regard sur la Terre. Je me rends compte également que le sujet est complexe, si on veut traiter les différentes causes, indiquer où se situent les incertitudes, etc. Mais c’est justement pour cette raison qu’il est intéressant d’essayer d’en parler de manière abordable et factuelle… Un autre défi sera de trouver quelques expériences simples pour mettre en évidence les différents phénomènes. Le glaçon dans le verre d’apéro m’a donné quelques idées (dans ce cas pour montrer un niveau qui n’augmente pas…) mais, si vous avez vous-même quelques suggestion à proposer, n’hésitez pas à poster un commentaire à la fin de cet article.
Sources utilisées :
- Un article scientifique, en anglais, sur l’élévation du niveau de la mer par Anny Cazenave et William Llovel (LEGOS) : "Contemporary Sea Level Rise", Annual Review of Marine Science, Vol. 2, pages 145 à 173, janvier 2010.
- Une page sur le Tourisme dans l'archipel des Maldives.
- Un article de l'encyclopédie Wikipédia sur les Maldives, croisé avec d'autres sources. Note : si vous savez me confirmer l'altitude actuelle du point culminant des Maldives, merci de me contacter ou de poster un commentaire à la fin de cet article.
- Le site MIRAVI de l'Agence Spatiale Européenne pour les images du satellite ENVISAT.
- Le site Gateway to Astronaut Photography of Earth pour les images prises par les astronautes de la NASA.
En savoir plus :
- Les pages en français sur le site du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du climat ou IPPC en anglais).
- En anglais, les pages sur la conférence de Cancun sur le site de l’UNFCCC (United Nations Framework Convention on Climate Change), avec le programme détaillé et des documents de référence. Il y a également quelques documents de référence en français.
- Un résumé des perspectives scientifiques sur la site de Université Catholique de Louvain.
- Sur le site de l'Observatoire Midi-Pyrénées, les pages du département Géophysique, Océanographie et Hydrologie Spatiales et une courbe d'évolution du niveau moyen de la mer par altimétrie spatiale (1993-2007).
- Sur le site du club des argonautes, une foire aux questions (FAQ) sur l'élévation du niveau de la mer.
- Le site du Permanent Service for Mean Sea Level (PSMSL).
- Sur le site du CNES (Centre National d'Etudes Spatiales), "La quête du millimètre", un entretien vidéo avec Anny Cazenave.
- Pour ceux qui veulent aller encore plus loin, en anglais, le rapport d'un séminaire scientifique de l'IPCC qui s'est tenu du 21 au 24 juin 2010 à Kuala Lumpur en Malaisie.
- D’autres articles sur le blog Un autre regard sur la Terre : 2009, année record pour les gaz à effet se serre : le dernier bulletin de l’Organisation Météorologique Mondiale, Jeudi 7 octobre : « Evolution du climat : que nous apprend le passé ? », une conférence exceptionnelle de Jean Jouzel dans le cadre de la Novela, Déforestation, développement durable et changement climatique : un exemple de suivi de longue durée et à grande échelle de la forêt amazonienne (Mato Grosso) avec les satellites d'observation, Université d'été Espace Education du CNES : retour en images sur une semaine studieuse pour 105 enseignants, De Topex-Poseidon à Jason 2 : bientôt 20 années de mesure d’altimétrie pour améliorer la compréhension du fonctionnement des océans.
- Les autres articles sur le thème du changement climatique.
Suggestions d’utilisations pédagogiques en classe :
- Travail sur les grandeurs physiques liées au niveau de la mer : niveau de la mer, référence, niveau moyen, moyenne spatiale, moyenne temporelle, vitesse, etc. avec toujours une importance particulière pour les ordres de grandeur et les unités de mesures.
- A partir des références mentionnées dans cet article, un travail de sensibilisation sur la mesure en physique et les incertitudes de mesure. Que signifie 3,4 mm ±1 mm ? Pourquoi une mesure avec indication de son incertitude a-t-elle plus de valeur qu’une mesure simple ? Faire des mesures en classe, estimer les erreurs de mesure.
- Questionnement et travail expérimental sur les phénomènes de base contribuant à l'élévation du niveau de la mer.
- Travail bibliographique sur le changement climatique et l'élévation du niveau de la mer.